À Bergen-Belsen, la veille de ‘Hanouka, une sélection eut lieu. Tôt le matin, trois commandants allemands, méticuleusement vêtus de leurs uniformes noirs d’apparat et visiblement de bonne humeur, entrèrent dans le baraquement des hommes. Ils ordonnèrent aux prisonniers de se tenir au pied de leurs lits superposés à trois niveaux.
La sélection commença. Aucun passeport ne fut demandé, aucun papier ne fut vérifié, il n’y eut pas d’appel ni de compte. L’un des trois commandants leva simplement son index dans son gant blanc et le pointa en direction d’un visage pâle tandis que sa bouche prononçait un seul mot qui signifiait la peine de mort : « Komme ! », « Viens ! »
Tel un tir de mitrailleuse, les mots allemands claquaient : « Komme, komme, komme, komme, komme. » Les hommes sélectionnés sortirent à l’extérieur. Des S.S. munis de matraques en caoutchouc et d’aiguillons de fer les attendaient. Ils tabassèrent et torturèrent les victimes innocentes. Lorsque le corps torturé ne répondait plus, le revolver était utilisé...
La sélection aléatoire se poursuivit dans les baraquements et le massacre brutal se poursuivit à l’extérieur jusqu’au coucher du soleil. Lorsque les anges noirs de la mort partirent, ils laissèrent derrière eux des tas de corps torturés et tordus. Des centaines de corps.
Puis ‘Hanouka arriva à Bergen-Belsen. Il était temps d’allumer les lumières de ‘Hanouka. Point de carafe d’huile, aucune bougie en vue et une ‘hanoukiah appartenait à un passé lointain. À la place, le sabot de bois d’un prisonnier devint une ‘hanoukiah ; des fils arrachés d’un habit de prisonnier, une mèche ; et le cirage à chaussures noir du camp, de l’huile pure.
Non loin des tas de corps, les squelettes vivants se rassemblèrent pour participer à l’allumage des lumières de ‘Hanouka.
Le Rabbi de Bluzhov alluma la première lumière et chanta les deux premières bénédictions de sa voix agréable. La mélodie festive était empreinte de chagrin et de douleur. Alors qu’il était sur le point de réciter la troisième bénédiction, il s’arrêta, tourna la tête et regarda autour de lui comme s’il cherchait quelque chose.
Mais aussitôt, il tourna son visage vers la petite flamme tremblante et d’une voix forte, rassurante et réconfortante, il chanta la troisième bénédiction : « Béni sois-tu, Éternel notre D.ieu, Roi de l’Univers, qui nous a gardés en vie, nous a préservés et nous a permis d’atteindre ce moment. »
Parmi les personnes présentes à l’allumage des lumières se trouvait M. Zamietchkowski, l’un des notables du Bund de Varsovie. C’était une personne intelligente, sincère, passionnée par les discussions sur les questions de religion, de foi et de vérité. Même ici, au camp de Bergen Belsen, sa passion pour la discussion ne s’était pas calmée. Il ne manquait jamais une occasion d’engager une telle conversation.
Dès que le Rabbi de Bluzhov eut terminé la cérémonie d’allumage des lumières, M. Zamietchkowski se fraya un chemin jusqu’à lui et dit : « Spira, vous êtes une personne intelligente et honnête. Je peux comprendre votre besoin d’allumer des bougies de ‘Hanouka en ces temps misérables. Je peux même comprendre la note historique de la deuxième bénédiction “Qui a fait des miracles pour nos pères dans les temps anciens, en cette saison”. Mais que vous ayez récité la troisième bénédiction me dépasse. Comment avez-vous pu remercier D.ieu et dire : “Béni sois-tu, Éternel notre D.ieu, Roi de l’Univers, qui nous a gardés en vie, nous a préservés et nous a permis d’atteindre ce moment” ? Comment avez-vous pu dire cela alors que des centaines de cadavres juifs gisent littéralement dans l’ombre des lumières de ‘Hanouka, alors que des milliers de squelettes juifs vivants se promènent dans le camp et que des millions d’autres sont massacrés ? C’est pour cela que vous dites merci à D.ieu ? C’est pour cela que vous louez l’Éternel ? Vous appelez cela “nous garder en vie” ? »
« Zamietchkowski, vous avez raison à cent pour cent, répondit le rabbin. Quand j’ai atteint la troisième bénédiction, j’ai aussi hésité et je me suis demandé ce que je devais faire de cette bénédiction. J’ai tourné la tête pour demander au rabbin de Zaner et aux autres rabbins distingués qui se tenaient près de moi si je pouvais effectivement la réciter. Mais au moment où je tournais la tête, je remarquai que derrière moi se tenait une foule, une grande foule de Juifs vivants, leurs visages exprimant la foi, la dévotion et la concentration alors qu’ils écoutaient le rite de l’allumage des Lumières de ‘Hanouka. Je me suis dit que si D.ieu, béni soit-Il, a une nation telle que dans des moments comme celui-ci, quand pendant l’allumage des lumières de ‘Hanouka ils voient devant eux les tas des corps de leurs pères, frères et fils bien-aimés et que la mort les regarde de tous les coins, si malgré tout cela, ils se tiennent en foule avec dévotion en écoutant la bénédiction de ‘Hanouka “Qui a fait des miracles pour nos pères dans les temps anciens, en cette saison”, si, en effet, j’ai été béni de voir un tel peuple avec tant de foi et de ferveur, alors j’ai le devoir de réciter la troisième bénédiction. »
Quelques années après la libération, le Rabbi de Bluzhov qui résidait désormais à Brooklyn reçut les salutations de M. Zamietchkowski. Celui-ci avait demandé au fils du Rav de Skabin de dire à Israel Spira, le Rabbi de Bluzhov, que la réponse qu’il lui avait faite cette sombre nuit de ‘Hanouka à Bergen Belsen était restée avec lui depuis lors et était une source constante d’inspiration pendant les périodes difficiles et troubles.
Basé sur une conversation du Grand Rabbin de Bluzhov, Rabbi Israel Singer, avec Aaron Frankel et Baruch Singer, le 22 juin 1975. Je l’ai entendue chez le rabbin.
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