Un malheureux incident bouleversa la vie d’un riche marchand et de sa femme : leur fille unique fut atteinte d’un épisode psychotique. Malgré les nombreuses qualités de la jeune fille, vivre avec elle devint rapidement insupportable en raison de son comportement bizarre et imprévisible.

C’est à cette même époque que le Baal Chem Tov commençait à être connu comme faiseur de miracles. Conscient que sa fille ne pourrait pas entreprendre même un court voyage dans son état, le marchand attela deux chevaux à une voiture et partit seul, espérant pouvoir ramener le Baal Chem Tov à Politz avec lui.

Le Baal Chem Tov passait alors plusieurs jours à Tluste, dans sa maison d’enfance, et les gens de la ville étaient ravis de pouvoir accueillir un invité aussi important. Ils profitèrent également de la présence de ce saint homme pour demander des bénédictions et des conseils pour leurs divers maux.

Lorsque le marchand arriva à Tluste et demanda au Baal Chem Tov de revenir avec lui à Politz, les habitants de la ville n’étaient pas contents. Bien qu’ils compatissaient sincèrement avec le marchand, ils étaient réticents à l’idée de voir le Baal Chem Tov partir. Le besoin d’un individu l’emportait-il sur les besoins de toute une communauté ?

Mais le Baal Chem Tov rassura les habitants de la ville, leur assurant qu’il partait effectivement pour le bien d’un grand nombre. Au-delà de cette déclaration énigmatique, il ne donna aucune justification à son départ soudain.

Au cours du voyage, le Baal Chem Tov et le marchand s’arrêtèrent dans une auberge à Pistyn. À en juger par la mine défaite des habitants, il était clair que quelque chose n’allait pas.

Le duc local, qui tourmentait régulièrement les Juifs avec des impôts injustes et des décrets sévères, en était responsable. C’était sa fille, leur dit-on. Elle était devenue folle, et le duc en avait rejeté la faute sur les Juifs et leurs prières, les menaçant de les expulser de leurs maisons et de confisquer tous leurs biens si sa fille ne guérissait pas dans les trois jours.

Il apparut clairement au marchand que leur étape à Pistyn était le résultat indéniable de la Providence Divine. Il informa les anciens de Pistyn que le Baal Chem Tov, célèbre pour ses miracles, pourrait certainement les aider. Le Baal Chem Tov accepta et les anciens se dépêchèrent d’informer le duc.

Mais le duc ne se laissa pas facilement convaincre. Pourquoi devrait-il faire confiance à un homme qui ne possédait aucun diplôme médical alors qu’il avait déjà contacté tant de médecins qualifiés ? En outre, les médecins avaient interdit que l’on administre quelques médicaments que ce soit à sa fille dans son état fragile. Le duc n’était pas disposé à jouer avec la vie de son enfant.

« Dites au duc que j’ai seulement besoin de chuchoter à l’oreille de sa fille sans lui donner aucun médicament ni accomplir aucune procédure », dit le Baal Chem Tov après avoir entendu le refus du duc.

Rassuré, le duc accepta de rencontrer le mystérieux visiteur. Accompagné du marchand et des anciens de Pistyn, le Baal Chem Tov se dirigea vers le domaine du duc et demanda que la jeune femme soit amenée dans une pièce sans croix et qu’elle soit solidement attachée.

Le Baal Chem Tov sortit de son manteau un volume de Talmud, le traité Méila, et se mit à lire à partir de la page 17a au sujet de Rabbi Chimone Bar Yo’haï :

Il arriva que le roi de Rome décréta qu’il était interdit aux Juifs d’observer leurs commandements, comme le Chabbat et la circoncision. Pour abolir le décret, les Sages choisirent Rabbi Chimone Bar Yo’haï, connu pour sa réputation de faiseur de miracles. Alors que Rabbi Chimone entamait son voyage, D.ieu envoya un mauvais esprit du nom de Ben Temalion dans le corps de la fille du roi romain. Cette possession fit perdre la tête à la jeune femme.

Elle se mit à hurler sans cesse : « Faites venir Rabbi Chimone Bar Yo’haï pour me guérir ! »

Lorsque Rabbi Chimone arriva à Rome, les messagers du roi lui ordonnèrent de se rendre immédiatement au palais, où il fut conduit dans la chambre de la fille malade.

Rabbi Chimone se tint à son chevet et cria : « Ben Temalion, je t’ordonne de quitter la fille du roi ! »

L’esprit obéit à Rabbi Chimone et partit, et la fille se rétablit peu après.

Se sentant redevable envers le vénérable rabbin, le roi voulut le récompenser. « Prends ce que tu désires de mes coffres comme récompense », proposa-t-il.

Rabbi Chimone fouilla les coffres du roi jusqu’à ce qu’il trouve ce qu’il cherchait. D’un mouvement rapide, il déchira le décret mettant en péril le sort spirituel du peuple juif.

Le Baal Chem Tov se tut et leva les yeux vers le duc.

« Si vous jurez que vos sujets juifs ne souffriront plus jamais, votre fille se remettra complètement de cette maladie. Êtes-vous d’accord ? »

Rien n’importait plus pour le duc que son précieux enfant, alors il jura sur sa vie et celle de sa fille. Le Baal Chem Tov se pencha près de la fille et murmura : « Tout comme Rabbi Chimone ordonna à l’esprit de quitter la fille du roi romain, je commande aussi à l’esprit de quitter la fille du duc. Et Celui qui a guéri la fille du roi romain guérira aussi la fille du duc. »

Le long silence qui suivit fut interrompu par le Baal Chem Tov ordonnant au personnel du château de délier la jeune fille. Celle-ci ouvrit les yeux et s’assit, se demandant à voix haute pourquoi les présents la regardaient d’un air inquiet. Au grand plaisir de son père, elle redevint la fille qu’elle avait toujours été, libérée des forces qui s’étaient si fortement emparées d’elle.

Quant aux Juifs de Pistyn, ils marquèrent ce miracle sur leur calendrier pour célébrer leur salut d’un terrible sort.

Le riche marchand avait du mal à contenir son émerveillement. Il réussit cependant à raconter tout cela dans une lettre qu’il envoya au philanthrope de Tluste, Reb Éphraïm. Leur départ soudain avait été, comme l’avait prédit le Baal Chem Tov, pour le bien d’un grand nombre.

Le lendemain, le Baal Chem Tov et le marchand quittèrent Pistyn, accompagnés d’une grande foule. Lorsqu’ils arrivèrent à Politz, le Baal Chem Tov pria pour la fille du marchand, et celle-ci, tout comme la fille du duc, se remit complètement de son accès de folie.

Adapté et traduit de Si’hat Hachavoua 1166