D’année en année, le petit Mena’hem Mendel regardait son père, qui était un hassid dévoué, entreprendre le long voyage depuis Vitebsk en Biélorussie pour aller rendre visite au Baal Chem Tov à Medzibodzh. À 9 ans, il fut jugé assez vigoureux pour accompagner son père, et il rencontra finalement le saint Baal Chem Tov dont il avait tant entendu parler.

Les années passèrent et le garçon devint un jeune homme très capable, désormais à même de voyager seul à Medzibodzh. Il arriva vendredi à midi et se présenta à l’auberge locale suffisamment tôt pour se préparer au Chabbat.

Le Baal Chem Tov avait pour coutume de commencer le Chabbat tôt, alors que le soleil était encore haut au-dessus de la cime des arbres. Cette semaine-là, cependant, il semblait attendre quelque chose. Lorsque le visiteur se glissa dans la salle de prière, le Baal Chem Tov se retourna et commença les prières d’accueil du Chabbat. Pour les autres fidèles qui avaient attendu une heure entière, il était clair que le Baal Chem Tov avait retardé l’office pour que le jeune visiteur puisse terminer ses préparatifs et les rejoindre.

Tout au long du Chabbat, le Baal Chem Tov ne dit pas un mot au jeune visiteur. Mais à l’issue du Chabbat, cependant, il invita deux de ses meilleurs disciples, Rabbi Dovber et Rabbi Yaakov Yossef, ainsi que le jeune Mena’hem Mendel, à le rejoindre dans son bureau. Une fois la porte fermée, le Baal Chem Tov raconta une curieuse histoire. Il y mêla des détails, des références obscures et des métaphores profondes. Ses disciples comprirent que ce n’était pas là une histoire ordinaire. Elle concernait le jeune visiteur qui se tenait à leur côté. C’était l’histoire de sa vie, de sa naissance jusqu’au jour de sa mort.

Avant de quitter la pièce, le Baal Chem Tov fit signe à Rabbi Dovber de se rapprocher et lui murmura à l’oreille : « Ce garçon n’est pas du tout ce qu’il semble être. Ne vous laissez pas berner par son aspect superficiel. Sa tenue élégante implique un souci de bien paraître, mais sachez qu’à l’intérieur, il est véritablement humble. Son apparence sert à masquer la sainteté de sa personnalité et sa soumission absolue devant D.ieu. »

Une fois sortis, les trois hommes discutèrent de l’histoire. Rabbi Dovber dit qu’il avait tout compris, Rabbi Yaakov Yossef n’en comprenait que la moitié, et le jeune visiteur n’en comprenait qu’une petite partie : tout ce qui s’était passé jusqu’à ce Chabbat. Tout ce que l’avenir laisserait présager restait un mystère pour lui.

Avec le temps, ce jeune homme devint le grand Rabbi Mena’hem Mendel de Vitebsk, auteur du Peri Haarets. Après le décès du Maguid de Mézeritch, il fut considéré comme l’un des plus grands maîtres ‘hassidiques, ayant lui-même de nombreux disciples.

Tragiquement, Rabbi Mena’hem Mendel contracta une maladie grave et son état se détériora au point que son cas fut jugé sans espoir. Pâle et inconscient, il gisait dans son lit, entouré de disciples et de membres de sa famille en larmes qui tenaient des livres de prières et imploraient D.ieu du fond de leur cœur.

Soudain les yeux de Rabbi Mena’hem Mendel s’ouvrirent et scrutèrent les visages larmoyants qui firent immédiatement silence. « Il n’y a rien à craindre, dit-il doucement. Je sais, selon l’histoire du Baal Chem Tov, que je dois aller en Terre d’Israël. Il est donc clair que mon heure n’est pas encore venue. »

Effectivement, il se remit et conduisit un groupe de disciples dévoués en Israël en 5537 (1777).

Avant de se lancer dans ce voyage ardu, il s’arrêta à Polana, la ville natale de Rabbi Yaakov Yossef. Il attendit à l’extérieur de sa maison, vêtu d’une tunique de soie légère, une pipe fumante pendant à ses lèvres. Et contrairement à la coutume ‘hassidique, il ne portait pas de ceinture. Cela ne passa pas inaperçu auprès des ‘hassidim qui essayèrent de le refouler, avertissant que Rabbi Yaakov Yossef n’appréciait pas ceux qui entraient sans la tenue appropriée. Rabbi Mena’hem Mendel ne leur prêta aucune attention. Il pénétra dans la maison et entra directement dans le bureau de Rabbi Yaakov Yossef.

À la vue de son ami du temps où il étudiait à Medzibodzh, Rabbi Yaakov Yossef se leva et l’embrassa avec enthousiasme. Puis il recula et regarda le visage de Rabbi Mena’hem Mendel.

– Comprends-tu maintenant l’histoire du Baal Chem Tov ?

– Je comprends l’intégralité de l’histoire.

– Savais-tu que sur ton chemin vers la Terre d’Israël, tu devrais me rendre visite ?

– En effet, c’est pourquoi je suis ici.

– Et à quel stade de l’histoire te trouves-tu actuellement ?

Cette question suscita un petit soupir de Rabbi Mena’hem Mendel. « Il semble que je sois à mi-chemin. »

Ils parlèrent pendant un bon moment et, quand il fut temps de se séparer, Rabbi Yaakov Yossef accompagna Rabbi Mena’hem Mendel jusqu’à son auberge. À son retour, les ‘hassidim de Rabbi Yaakov Yossef s’approchèrent de lui, curieux d’en savoir plus sur le mystérieux visiteur qui s’habillait de manière si opulente.

« C’est comme quand le roi décide d’enterrer son joyau le plus précieux et qu’il doit en premier lieu trouver l’endroit le plus inattendu pour cela. Où le cache-t-il finalement ? Dans la poubelle, là où personne ne penserait jamais le chercher ! », expliqua Rabbi Yaakov Yossef.

« C’est ainsi que se conduit Rabbi Mena’hem Mendel. L’humilité est un trait qui lui est cher et il souhaite la préserver de son mauvais penchant. Il la dissimule donc dans un comportement que le mauvais penchant ne soupçonnerait jamais : une fausse expression d’arrogance et de condescendance. Mais sachez que ce ne sont que des artifices pour occulter sa véritable modestie. »

Adapté de Si’hat HaShavoua n° 1339