Dans la ville de Safed vivait le grand kabbaliste Rabbi Its’hak Louria, appelé « le saint Ari ».1 Il emmenait souvent ses disciples étudier dans les vallées et les collines entourant la ville sainte. Parfois, ils se rendaient auprès des tombes des grands tsadikim (justes) enterrés dans la région, où ils priaient et étudiaient les parties ésotériques de la Torah.

Un jour, le Ari emmena un groupe à la sépulture du prophète Hochéa ben Beeri (le prophète Osée) et se tint silencieusement en prière, entouré de ses élèves. Peu de temps après, ils s’assirent pour écouter ses paroles de Torah et de Kabbale.

Soudain, les élèves remarquèrent un changement chez leur maître. Son expression joyeuse et heureuse fut remplacée par une expression d’inquiétude et de tension. Après une pause silencieuse, le Ari déclara : « J’ai été informé d’en haut qu’il y a un décret imminent sur la ville de Safed. Un essaim de sauterelles va totalement dévorer les récoltes de la région et nous sommes en danger de famine. »

Surpris, les disciples demandèrent : « Maître, pour quel méfait une punition aussi sévère est-elle infligée aux citoyens de Safed ? Quel est notre péché ? »

Le Ari répondit : « Il y a un Juif dans la ville du nom de Yaakov Alterin. C’est un homme très pauvre et il a perdu sa source de revenus. Il s’est plaint à D.ieu de sa situation catastrophique. Lorsque la cour céleste vit qu’aucun des citoyens de Safed ne faisait quoi que ce soit pour l’aider, le décret fut énoncé. »

– Mais Rabbi, s’enquirent les élèves, y a-t-il encore quelque chose que nous puissions faire pour éviter ce terrible décret ?

L’Ari demanda à ses élèves de mettre en commun leurs ressources. Puis il rassembla l’argent qu’ils avaient rassemblé et le remit à son fidèle disciple, Rabbi Its’hak HaKohen, lui demandant de donner l’argent au pauvre homme.

Its’hak parcourut les ruelles de la ville jusqu’à ce qu’il trouve la maison délabrée de Yaakov Alterin. C’était un spectacle triste à voir. Il pouvait entendre des pleurs et des gémissements venant de l’intérieur. Il frappa, mais en l’absence de réponse, il rassembla son courage et ouvrit la porte. Il fut accueilli par la vue de Yaakov entouré de sa famille, pleurant et le visage levé vers le ciel. Il s’adressait à D.ieu.

Lorsque la famille prit conscience de la présence de leur visiteur, leurs pleurs cessèrent. Yaakov demanda à l’inconnu : « Qu’est-ce que vous cherchez ? »

– Je suis un élève du Ari, et je viens d’apprendre de mon maître que vous traversez une crise et que je devrais vous aider. Que s’est-il passé et pourquoi pleurez-vous ?

Yaakov se mit à déverser son cœur au visiteur :

– Je suis porteur d’eau et j’utilise chaque jour mon baril pour livrer de l’eau aux habitants du quartier. Avec mes maigres revenus, j’ai soutenu ma famille. Maintenant, mon baril s’est cassé au point de ne pouvoir être réparé, et avec lui ma source de revenus a disparu. Je ne peux plus travailler et mes enfants meurent de faim.

Dans ma détresse, je me suis tourné vers D.ieu et j’ai demandé : « Suis-je digne d’un tel traitement ? Suis-je pire que le reste du monde ? Ma famille mérite-t-elle de mourir de faim ? Toi, D.ieu, Tu soutiens le monde entier avec gentillesse, pourquoi as-tu pris mon gagne-pain ? »

Its’hak réalisa à quel point son maître avait raison. Il sortit l’argent et avant de le remettre à Yaakov, il dit : « D.ieu a entendu vos prières, et désormais vous ne manquerez de rien. Nous, les habitants de Safed, allons vous soutenir dans tout ce dont vous avez besoin. »

Yaakov fut submergé de joie. Il vit à quel point sa famille était heureuse de la bénédiction qui leur était venue et ne cessa de remercier D.ieu et le visiteur de les avoir sauvés de la faim.

Its’hak demeura très sérieux. « Yaakov, savez-vous qu’avec vos plaintes à D.ieu, vous avez mis en danger la ville entière et il s’en est fallu de peu qu’un nuage de sauterelles entraîne une famine imminente ?! D.ieu vit que vos voisins et votre famille ne vous ont pas aidés, c’est pourquoi un décret fut pris. Notre saint maître a vu cela. »

Yaakov regretta les paroles qu’il avait prononcées dans sa détresse et résolut de compter sur D.ieu sans se plaindre. Les deux se séparèrent, et Its’hak retourna auprès de ses collègues et leur raconta ce qu’il s’était passé.

Les disciples demandèrent au Ari si le décret céleste était annulé. Il répondit que le mérite de la charité faite au pauvre homme avait eu l’effet désiré et que le décret avait été annulé.

Soudain, les élèves remarquèrent au loin un nuage sombre de sauterelles qui progressait en direction de Safed. Ils se mirent à paniquer : leurs actions étaient-elles arrivées trop tard ? Les élèves se tournèrent vers leur maître dont le visage ne montrait aucune trace d’inquiétude. « Continuez à étudier et votre inquiétude passera », leur dit-il.

Quelques instants plus tard, un vent fort se mit à souffler et l’essaim de sauterelles fut emporté vers la mer. Pas une sauterelle ne toucha la ville de Safed.

(Traduit et adapté de Si’hat Hashavoua 1177.)