Certains aspects de la Délivrance messianique apparaissent parfois comme relevant d’un folklore naïf ou de fables pour enfants. Prenez par exemple le grand festin des justes, lors duquel seront servis le Béhémoth (ou « Chor Habar », « bœuf sauvage »), le Léviathan et le « Vin Gardé ». Lorsque le sujet est évoqué, il suscite des sourires, comme s’il s’agissait de quelque légende divertissante. Toutefois, en creusant le sujet, on se rend compte que ces « légendes » recèlent de profonds enseignements sur la nature même de la Délivrance messianique.

Ce festin (en hébreu « séouda ») est mentionné à de nombreuses reprises par nos Sages. Il est dit dans le Talmud1 : « D.ieu fera une séouda pour les tsadikim de la chair du Léviathan. »2 Dans le Midrash,3 il est mentionné qu’en préparation de ce festin, il y aura une joute entre le Béhémoth et le Léviathan lors de laquelle « le Chor Habar frappera le Léviathan de ses cornes et le déchirera, et le Léviathan frappera le Chor Habar de sa nageoire et l’égorgera ».

Dans un autre endroit du Talmud,4 il est dit qu’à l’issue du festin, lorsque les justes arriveront au moment de dire la Grâce après le repas (Birkat Hamazone), le verre de vin passera de tsadik en tsadik, chacun arguant qu’il n’est pas digne de prononcer la bénédiction, jusqu’à ce que le verre parvienne au roi David qui le revendiquera et prononcera la bénédiction. Pour quelle raison les Patriarches, de même que Moïse et tous les autres justes de notre histoire ne se sentiront-ils pas dignes de dire la bénédiction sur le festin ? Il est expliqué5 que le vin contenu dans le verre sera « le vin gardé dans ses raisins depuis les six jours de la création »,6 et que chacun d’entre eux se trouvera un défaut ne lui permettant pas de prononcer la bénédiction sur un vin d’une telle élévation.

Un festin matériel

Il est d’emblée fondamental d’établir qu’il n’est pas possible d’interpréter ces sujets comme étant uniquement des allégories représentant des secrets mystiques. Dans les ouvrages expliquant l’aspect spirituel de cette séouda, il est souligné qu’elle sera un véritable repas où seront consommés la chair du Léviathan et du Chor Habar ainsi que le Vin gardé. Le Maharcha écrit ainsi7 : « Sache qu’il nous incombe de croire en ces sujets dans leur sens littéral, et bien que les commentateurs aient longuement élaboré sur le sens de ce sujet d’après leur conception [...], celui-ci conserve son sens simple. »8

Ceci étant, il est évident qu’il ne s’agit pas d’animaux tels que ceux que nous connaissons aujourd’hui. Il ressort des propos du Talmud9 qu’il fut seulement créé un mâle et une femelle du Léviathan, et que D.ieu « a castré le mâle et a tué la femelle et l’a conservée dans le sel pour les justes dans les Temps Futurs ». De même, s’agissant du Béhémoth, D.ieu « a castré le mâle et a conservé la femelle dans le froid pour les justes dans les Temps Futurs ». Quant au Vin gardé, les mots d’Isaïe « aucun œil ne l’a jamais vu »10 s’appliquent à lui. Il est donc question de choses qui relèvent de la réalité de ce monde, mais dont nous n’avons aucune appréhension aujourd’hui, et qui se révéleront en leur temps.

Le Vin gardé

Il est expliqué dans les enseignements ‘hassidiques11 que la séouda du Béhémoth, du Léviathan et du Vin gardé sera l’expression de l’ensemble de la tâche accomplie par le peuple juif au cours de son long exil. Le Léviathan, qui vit dans la mer, symbolise les mondes spirituels, cachés, qui baignent dans un dévoilement divin infini. Le Béhémoth, qui est une créature terrestre, représente ce bas-monde, qui est révélé à nos yeux.

C’est ainsi qu’ils représentent les deux perspectives à l’œuvre dans le cadre du service de D.ieu : l’impact des efforts de l’homme sur les mondes supérieurs, et la sainteté et le raffinement que l’homme engendre dans la réalité matérielle de ce monde.

Il est des tsadikim comparables au Léviathan, qui se concentrent sur le fait d’atteindre des niveaux toujours plus sublimes de sainteté, et moins sur le fait d’attirer de la sainteté dans ce monde. Un exemple éminent de ceux-ci fut Rabbi Shimon bar Yo’haï pendant les treize années qu’il passa confiné dans la grotte où il n’eut pratiquement aucun contact avec le monde extérieur, lorsque tout son service de D.ieu était mené exclusivement sur le plan spirituel, domaine dans lequel il atteignit des sommets considérables. D’un autre côté, il est des justes dont l’action est principalement d’amener de la sainteté au sein de ce monde. Ils parviennent certes à des niveaux spirituels moindres, mais ils sanctifient le monde et le rendent apte à recevoir l’expression de la vérité divine. Un tel service de D.ieu est comparé au Chor Habar, le Béhémoth.

Ces deux champs du service de D.ieu construisent la Délivrance. Lorsque cette œuvre arrivera à son terme, lorsque les actions spirituelles seront achevées et que le monde matériel sera raffiné, la Délivrance se fera. C’est pourquoi l’expression de cet accomplissement se déploiera dans le festin du Chor Habar et du Léviathan, dans lesquels se revêtiront les lumières spirituelles sublimes suscitées par ces deux approches du service divin. La consommation du Chor Habar et du Léviathan par les tsadikim sera l’apogée et le parachèvement de leur service de D.ieu selon ces deux modalités.

Ceci explique également pourquoi ce sera le Léviathan qui abattra le Chor Habar et le Chor Habar qui abattra le Léviathan. La che’hita, l’abattage, ne signifie pas la mort et la destruction de l’animal, mais au contraire le fait de l’amener à une perfection et à une élévation. Ainsi, lorsque l’on dit que le Léviathan fera la che’hita du Chor Habar, cela signifie qu’il l’élèvera à sa perfection, et vice versa. Ceci, car chacune de ces deux approches possède une qualité que l’autre ne possède pas. C’est pourquoi les tsadikim qui ont servi D.ieu dans un niveau qualifié de « Léviathan » se serviront de leur qualité propre pour élever les tsadikim qui ont servi D.ieu dans un niveau de « Chor Habar ».

Après tout cela, il sera accordé un dévoilement nouveau, tel qu’« aucun œil ne l’a jamais vu », représenté par le Vin gardé. Ce vin symbolise les secrets les plus cachés qui soient, qui n’ont jamais été révélés, à l’instar de ce vin qui est demeuré dans ses raisins depuis les six jours de la création sans jamais sortir à l’extérieur. Ces secrets seront seulement révélés après l’achèvement de l’ensemble du service divin, au temps de la Délivrance, c’est pourquoi leur révélation constituera le point culminant du festin des Temps Futurs.