Le Rav Chalom Eidelman, l’un des plus anciens émissaires du Rabbi de Loubavitch dans le monde – un ‘hassid, enseignant et chef de congrégation dévoué qui, avec sa femme, Gittel, ont rarement quitté le Maroc depuis qu’ils y furent envoyés en 1958 – est décédé dans un hôpital de Casablanca le 10 avril, le second jour de Pessa’h, après avoir contracté le COVID-19. Il avait 84 ans.

Pendant plus de 60 ans, le Rav Eidelman a supervisé une douzaine d’écoles juives fondées par le mouvement ‘Habad-Loubavitch du Maroc et est pleuré par des dizaines de milliers d’élèves auxquels il a enseigné au fil des décennies. Il a ouvert et dirigé un kolel (groupe d’étude avancé) où il a formé la plupart des rabbins et cho’hatim (abatteurs rituels) du Maroc. Parmi ses élèves comptent l’actuel grand rabbin de Jérusalem et ancien grand rabbin d’Israël, le Rav Chlomo Amar, et le Dayan de Montréal, Rav David Raphael Banon.

Né en Russie soviétique et élevé à Brunoy, en France, le jeune Chalom Eidelman a grandi dans une maison imprégnée de pensée et de pratique ‘hassidiques.

Jeune étudiant rabbinique, il espérait voyager à New York pour y étudier dans les yeshivas locales et être proche du Rabbi – Rabbi Mena’hem Mendel Schneerson, de mémoire bénie –, mais le Rabbi lui écrivit que de nombreux jeunes Juifs d’Afrique du Nord avaient déjà commencer à émigrer à Brunoy, et que sa présence y était nécessaire.

En 1958, il demanda la bénédiction du Rabbi pour épouser Gittel Gurkow, qui rappela dans une interview avec JEM la façon dont la réponse du Rabbi à cette requête marqua le prochain chapitre du jeune couple. Après les fiançailles, le jeune rabbin se rendit à New York, où en audience privée avec le Rabbi, lui et sa fiancée reçurent la mission de s’établir à Casablanca.

Le Rabbi était profondément préoccupé par le sort des communautés juives dans les pays musulmans et le sort des Juifs séfarades dans l’après-guerre en général. En 1950, c’est au Maroc que furent envoyés par le Rabbi les premiers émissaires pour ouvrir de nouveaux centres ‘Habad dans le monde, lorsque Rav Michoel et Taibel Lipsker furent envoyés à Meknès et que Rav Chlomo et Pessya Matusof furent envoyés à Casablanca, rejoints par Rav Nissan et Rachel Pinson. En 1960, le Rav Yehouda Leib Raskin et son épouse Raizel arrivèrent à Casablanca et, ensemble, les émissaires du Rabbi établirent ce qui compte aujourd’hui parmi les institutions et centres ‘Habad les plus anciens au monde. Mme Raizel Raskin demeure un pilier de ‘Habad-Loubavitch au Maroc.

Au plus haut, plus de 250 000 juifs vivaient au Maroc et pendant des décennies après leur arrivée, de les écoles, synagogues et institutions sociales mises en place par les émissaires du Rabbi comptaient parmi les principales institutions éducatives et religieuses pour les Juifs marocains.

Au cours des 62 années qui suivirent, le Rav Eidelman et son épouse ont continué de servir la communauté jusqu’à son décès. Même si le nombre de Juifs vivant au Maroc a considérablement diminué, ils furent rejoints il y a 10 ans par le Rav Levi et Hanna Banon, qui ont relancé de nombreux programmes éducatifs et offices religieux pour les jeunes Juifs qui continuent à vivre au Maroc aujourd’hui.

Le Rav Yehouda Leib Raskin, au centre, à la bar-mitsva de son fils Its'hak, avec le Rav Eidelman et le Rav Chlomo Matusof et le grand rabbin Rav Chalom Messas
Le Rav Yehouda Leib Raskin, au centre, à la bar-mitsva de son fils Its'hak, avec le Rav Eidelman et le Rav Chlomo Matusof et le grand rabbin Rav Chalom Messas

Une visite à Casablanca

Il y a six mois, le lendemain de Yom Kippour, j’ai fait une escale à Casablanca avec mon fils, Mena’hem, après avoir conduit un office de Kippour à Malabo, en Guinée équatoriale. Mendy, le fils des Banon âgé de 11 ans nous a fait visiter Casablanca.

Sans prévenir, nous nous sommes rendus à la synagogue du Rav Eidelman. Dans le bâtiment se trouve le modeste appartement que lui et sa femme habitent depuis des décennies.

Nous sommes entrés et avons remonté le temps pour assister à une vision d’une autre époque et d’un autre monde. Les Eidelman nous ont accueillis avec amour comme s’ils nous attendaient depuis des jours et nous ont accueillis dans leur maison. Le Rav Eidelman était assis devant un séfer (livre saint) ouvert entouré de milliers de séfarim usés.

La chaleur était étouffante à l’extérieur, et il était assis sous un ventilateur de plafond, vêtu d’un tsitsit en laine et de bretelles noires. Il a interrogé Mena’hem sur ce qu’il apprenait à la yeshiva ainsi que sur les lois de la fête de Soukkot qui approchait.

Les Eidelman nous ont régalés avec des anecdotes de leurs 60 ans d’action au service des Juifs du Maroc, et le Rav ne cessait de nous dire que dans ce Beth ‘Habad, « vous n’êtes pas loin du 770 ou du Rabbi ».

« C’est précisément dans ces avant-postes éloignés où chaque personne compte – là où le capitaine ne quitte jamais le navire tant que d’autres passagers sont à bord –  que l’on peut enseigner la Torah à une autre personne qui pourrait pas étudier s’ils avaient abandonné le navire », a-t-il dit.

Le Rav Eidelman, deuxième à gauche, à la bar-mitsva d’un élève.
Le Rav Eidelman, deuxième à gauche, à la bar-mitsva d’un élève.

Le Rav Eidelman a dit à mon fils combien il admirait son arrière-grand-père, Reb Zavel Edelkopf, quand il était un jeune étudiant à la yeshiva de Brunoy, et que Reb Zavel Edelkopf lui enseignait le Tanya.

Bien que les enfants du Rav Eidelman et de son épouse vivent partout dans le monde, ils viennent les voir de temps en temps, et au cours de l’année, de nombreux petits-enfants leur rendent visite. Le Rav Eidelman enseignait encore quelques heures chaque jour à son kolel à une vingtaine d’étudiants séniors et d’âge moyen régulièrement présents.

Cette année pour Soukkot, il n’avait pas de petits-enfants présents, et ils étaient d’autant plus ravis de notre visite imprévue. Avant notre départ, il nous a montré un dossier de dizaines de lettres et télégrammes du Rabbi qui leur ont donné force, perspective et persévérance pendant les nombreuses décennies de leur action.

Il faisait étouffant dehors, et le Rav Eidelman, éternel enseignant de Torah, était assis sous un ventilateur, vêtu d'un tsitsit de laine et de bretelles noires. Il a bombardé Menahem Berkowitz, un jeune visiteur des États-Unis, de questions sur ce qu'il apprenait à la yeshiva et sur sa connaissance des lois de la prochaine fête de Soukkot.
Il faisait étouffant dehors, et le Rav Eidelman, éternel enseignant de Torah, était assis sous un ventilateur, vêtu d'un tsitsit de laine et de bretelles noires. Il a bombardé Menahem Berkowitz, un jeune visiteur des États-Unis, de questions sur ce qu'il apprenait à la yeshiva et sur sa connaissance des lois de la prochaine fête de Soukkot.

Inspiration du Rabbi

Dans une lettre, le Rabbi leur a écrit dans un post-scriptum (traduction libre) :

« Heureux est votre sort car la Divine Providence vous a gratifié d’une magnifique part. Éduquer les Juifs et rapprocher leur cœur de leur Père céleste, la récompense de cela ne connaît pas de limites.

« En plus du fait que “la récompense d’une mitsva est une mitsva”, cette action fait partie des actes dont une personne consomme les fruits dans ce monde physique et éternellement dans le monde à venir. Ceux-ci incluent l’enseignement de la Torah et les actes de bienfaisance. 

« Tel est le principal service de D.ieu dans notre génération avant la venue de Machia’h, c’est la façon de s’attacher véritablement à D.ieu, transformant ainsi les ténèbres en la plus grande lumière. »

Le Rabbi conclut en écrivant une phrase du Tanya écrite par l’Admour Hazakène dans Iguéret Hakodech (fin du chapitre 9, citant Isaïe 52 : « “Puissions-nous mériter de nous voir face à face, avec le retour de D.ieu à Sion.” Avec une bénédiction et un succès majeurs dans tout ce qui précède. »

Le Rav Chalom et Gittel Eidelman ont été honorés par la communauté juive marocaine à l'occasion du 60e anniversaire de leur arrivée à Casablanca.
Le Rav Chalom et Gittel Eidelman ont été honorés par la communauté juive marocaine à l'occasion du 60e anniversaire de leur arrivée à Casablanca.

La grande influence du Rav Eidelman, et sa perte, sont ressenties dans tout le Maroc, ainsi qu’en Israël et partout dans le monde où résident ses milliers d’anciens élèves.

Quelle ironie qu’un rabbin qui n’a jamais quitté son troupeau – peu importe la difficulté et la solitude qu’un tel leadership impliquait – soit décédé seul dans un hôpital de Casablanca en raison de la pandémie de coronavirus. Il a été enterré rapidement pendant la fête de Pessa’h sans funérailles appropriées, bien que sous la supervision d’un rabbin, et sans qu’aucun de ses sept enfants, dizaines de ses petits-enfants, arrière-petits-enfants et membres de sa communauté bien-aimée puissent être présents.

Pour ma part, j’honorerai sa mémoire en soutenant ‘Habad de Casablanca.

Le Rav Chalom Eidelman laisse dans le deuil son épouse et leurs enfants : le Rav Chnéour Zalman Eidelman [Vienne, Autriche], le Rav Yoel Eidelman [Brunoy, France], le Rav Mena’hem Mendel Eidelman [Brooklyn, NY], le Rav Eliezer Eidelman [Manchester, Angleterre], le Rav Chmouel Eidelman [Brooklyn], Toiba Rivka Belinow [Paris], Chana Gurevitch [Chicago] et de nombreux petits-enfants et arrière-petits-enfants, dont beaucoup sont des émissaires dans le monde entier.

Il laisse également dans le deuil sa sœur, la Rabbanit Assya Pewzner de Paris, dont le mari fut le regretté Rav Hillel Pewzner, grand rabbin de la communauté Loubavitch de France et fondateur des institutions Sinaï.

Le Rav Chalom Eidelman avait précédemment perdu son fils, le Rav Yossef Its’hak Eidelman d’Israël, et son frère, Reb Yoel Edelman de Paris.