Le Rav Adin Even-Israël (Steinsaltz) s’est adressé à ses élèves à plusieurs reprises dans des moments de détresse, notamment lors d’événements tragiques, comme le décès d’un de ses élèves et l’assassinat de trois jeunes élèves de sa Yéchiva Mekor ‘Haïm enlevés par des terroristes palestiniens. Nous publions ici des extraits de ses interventions avec l’espoir que le lecteur y trouvera inspiration en cette période difficile d’épidémie mondiale que traverse Israël et le monde entier.
Le bras de l’Éternel est-il trop court ?
L’on raconte qu’une personne se rendit un jour chez le Maguid de Mézeritch pour lui demander sa bénédiction afin qu’il guérisse de sa maladie au plus tôt. Le Maguid, en guise de réponse, lui conseilla d’aller consulter un grand professeur à Anipoli. Or Anipoli était une toute petite ville et lorsque cette personne y arriva pour rencontrer le professeur, tous les habitants se moquèrent de lui : « Nous n’avons même pas un seul médecin ici, a fortiori ne pourras-tu trouver aucun professeur ! » De retour chez le Maguid, notre malade, désemparé, lui conta sa déception. Et le Rabbi de l’interroger : « Que font donc les gens qui tombent malades à Anipoli, alors qu’aucun médecin n’est là pour les soigner ? Tout simplement, ils se tournent vers D.ieu et placent leur confiance en Lui ! » Certes, dès lors que des moyens naturels sont à notre disposition, nous avons l’obligation de les utiliser, mais lorsqu’il n’existe plus aucun recours, nous devons prier pour une intervention d’En-Haut.
En vérité, prier ne ressemble en rien à se rendre chez un docteur, fût-il un grand professeur… d’Anipoli : chaque prière n’est autre qu’une demande à D.ieu de procéder à un miracle. Et peu importe la raison pour laquelle on se tourne vers D.ieu. S’il s’agit de notre propre subsistance, nous devons bien sûr entreprendre nos meilleurs efforts et travailler dur, mais, in fine, prier pour notre gagne-pain signifie aussi attendre un miracle divin. Il en va de même pour notre réussite dans l’étude, comme l’atteste l’un des passages de la prière quotidienne de la Amida : « Accorde-nous sagesse, compréhension et connaissance issues de Toi » ; et cela est aussi vrai lorsqu’on prie pour la tombée de la pluie.
Guérir d’un rhume constitue un petit miracle alors que la naissance d’un enfant revêt, elle, un grand miracle, un miracle qui demeure la plupart du temps voilé, tant nous y sommes habitués. Dans tous les cas, et même s’il n’est pas donné à chacun de vivre des miracles dévoilés, notre devoir est de rappeler à D.ieu sa promesse à Moïse : « Le bras de l’Éternel est-il trop court ? »1
Un certain docteur juif portant le nom de Barnhard, devint Baal téchouva et l’un des disciples du Voyant de Lublin. Sa téchouva était entière, sans compromis. Il imagina que, dès lors, il pourrait passer son temps à étudier la Torah et laisser de côté sa profession de médecin. Mais son maître l’enjoignit de ne pas abandonner. Médecin réputé pour ses succès, il se rendait souvent chez les seigneurs non-juifs de la région qui, pourtant, le considéraient comme un peu fou, le voyant arriver avec sa barbe et ses péyot. Ainsi, il lui arriva un jour de signifier à l’un de ses patients qu’avant de prononcer son diagnostic et de lui proposer un traitement, il devrait d’abord consulter « un petit livre de médecine ». Et de se retirer pour étudier le livre du Zohar... Au crépuscule de sa vie, les gens le considéraient comme un demi Rabbi et lui apportaient des demandes de bénédictions, bénédictions qu’il écrivait sur l’ordonnance à leur intention. On lui attribue un commentaire édifiant à propos de l’un des passages de la prière du matin, avant le Chéma Israël : tout d’abord se tourner vers Boré réfouot, « Celui qui forge les guérisons », puis vers Nora téhilot, « Celui qui est redoutable, car Il transcende toutes les louanges » – il faut alors néanmoins réciter des Psaumes de David – et si, malgré tout, aucun résultat n’est obtenu, il faut alors s’en remettre au Adone haniflaot, le Maitre des merveilles.
Si miracles et merveilles se produisent au plus tôt, à nous de nous en réjouir. Cependant, que notre prière soit exaucée ou non, il est toujours possible de continuer à prier pour la guérison complète.
Autre anecdote :
Un ‘hassid se rendit chez le premier Rabbi de Belz pour lui confier l’état misérable dans lequel il se trouvait : bien qu’il fût un jour très riche, ses affaires étaient complètement tombées en totale faillite ; trop c’était trop, il ne parviendrait même pas à marier sa fille. Lorsque le Rabbi lui accorda sa bénédiction pour qu’il puisse désormais largement gagner sa vie, il osa lui demander conseil. L’État venait de lancer deux appels d’offres, l’un exigeant un investissement d’un million et demi de roubles, le deuxième trois millions. Et le ‘hassid ajouta : « Sachant que le Rabbi ne m’a pas béni de devenir un mendiant empli de succès, mais bien de faire des affaires fructueuses, je souhaite que la bénédiction du Rabbi se réalise le plus abondamment possible ! Le Rabbi sourit et lui conseilla de choisir le deuxième appel d’offres…
S’il faut être prêt à ce que notre prière ne soit pas exaucée et que le décret divin soit sans appel, il ne nous appartient pas pourtant de fixer les choses. Sachons nous souvenir de l’interrogation en forme d’affirmation : « Le bras de l’Éternel est-il trop court ? »
Renforcer les trois piliers sur lesquels le monde repose
En quoi nous est-il donné d’agir malgré tout ? Souvenons-nous, tout en y contribuant, que « le monde repose sur trois piliers : [L’étude de] la Torah, le service [de D.ieu] et les actes de bienveillance. »2
Chacun, hommes, femmes et enfants, selon ses possibilités et l’endroit où il se trouve, se doit d’étudier la Torah un peu plus. Un tel ajout permet-il de fortifier le monde de manière considérable ou non ? Cette question ne doit pas entrer en jeu ici.
Renforçons-nous aussi dans cette forme de service de D.ieu qui demeure entre nos mains, c’est-à-dire dans la prière. Récitons les Psaumes de David : que l’on comprenne tout ou non, nous servons D.ieu. C’est d’ailleurs en cela que se résume le service de D.ieu : détenons-nous vraiment la connaissance, comprenons-nous ? Cela est aussi vrai de ceux qui prient selon les kavanot, les intentions kabbalistiques du Ari-zal ou les autres qui, à l’instar de Rabbi Chimchone de Kinon, prient comme un tout jeune enfant. Et plût à D.ieu que nous soyons pour le moins en mesure de prier comme un tout jeune enfant et nous adresser à D.ieu ainsi ! La chose est possible.
Les actes de bienfaisance comptent eux aussi et de la même manière chacun peut faire un effort dans ce sens en donnant aux œuvres de tsédaka, selon ses moyens, que ce soit quelques pièces de monnaie ou de grandes sommes d’argent. Et même lorsqu’on ne dispose pas de grands moyens, l’on peut effectuer des actes de bienfaisance autrement en aidant notre prochain, fut-ce seulement en lui souriant.
Le repli sur soi, la misère et la mortification ne suffisent apparemment pas à ouvrir toutes les portes. Ces portes s’ouvrent au contraire quand je souris. Parfois, je ne parviens pas à faire plus que cela. Essayons donc au moins d’agir dans ce sens. Nul doute qu’un simple sourire apporte parfois un certain soutien à une personne en détresse. Nous créons alors chez elle ne serait-ce qu’un instant de joie, fût-elle minime, mais au moins avons-nous pu procéder à un quelconque changement autour de nous.
Servir D.ieu dans la joie
Il me semble que la voie vers le salut et la délivrance passe par le service de D.ieu dans la joie. Je suis bien sûr conscient que le temps n’est parfois pas à la joie et à l’exaltation. Mais nous pouvons essayer de faire un cadeau peu ordinaire au Saint-béni-soit-Il. Certes nous sommes plutôt experts en lamentations et en pleurs lorsqu’on s’adresse à Lui. Peut-être devrions-nous pour une fois venir au Maître du monde en citant le verset : « Allons ! Je veux te faire faire l’expérience de la joie ! »3 L’un des commentaires se trouve être le suivant : « Après m’être tourné vers Toi avec pleurs et de larmes, permets-moi d’essayer au travers de la joie ! »
Comment est-ce possible ? Le prophète Amos peut nous y aider lorsqu’il affirme au nom de D.ieu : « C’est vous seuls que J’ai distingués entre toutes les familles de la terre, c’est pourquoi Je vous demande compte de toutes vos fautes. »4 Chaque fois que D.ieu nous donne une gifle, même au travers d’un émissaire, nous pouvons nous consoler : « De toute évidence, cela nous fait mal, mais cela veut bien dire que j’ai un père ! » Cet orphelin qui ne reçoit jamais de gifle de son père n’est-il pas malheureux ? Lorsque c’est mon père qui me gifle, cela a beau me faire mal et me rendre triste, je ne m’en réjouis pas moins quelque part, car j’y vois la preuve qu’il m’aime et s’intéresse à moi. La fin du verset précédemment citée : « C’est pourquoi je vous demande compte de toutes vos fautes » s’efface en quelque sorte devant la première partie : « C’est vous seuls que j’ai distingués entre toutes les familles de la terre », comme si nous ne cherchions même pas à savoir quelles sont les fautes qui nous sont reprochées.
L’on peut revenir à D.ieu, faire téchouva au travers de chemins douloureux, empreints de mortifications et de déprime. Cependant, il existe d’autres voies, lorsque notre retour vers D.ieu est motivé par notre volonté de Lui offrir un cadeau. Un peu comme lorsqu’un jeune enfant revient de la campagne et vous offre une feuille d’un arbre voire une limace qu’il a trouvées. Vous vous réjouissez de ce petit cadeau, non pas qu’il vaille quelque chose, mais parce que son geste montre qu’il cherche à vous faire plaisir. Il en est de même lorsque nous venons vers D.ieu et lui offrons quelque chose qui, objectivement, ne revêt à Ses yeux que peu d’importance. Pourtant c’est aussi une façon de faire téchouva.
Il est écrit que « le nom de D.ieu est associé au nôtre »5... Imaginez qu’une bande d’enfants, au milieu d’un parc de jeux, décident qu’il leur faut trouver un roi pour continuer à jouer. C’est alors qu’ils se dirigent vers une personne dans la rue pour lui demander d’accepter de régner sur eux. La plupart des adultes refuseront. Le Saint-béni soit-Il, quant à Lui, accepte « d’associer Son nom au nôtre » et d’être notre Roi. Nous sommes Ses enfants, bons ou méchants, voire « une race de malfaiteurs, enfants dégénérés »6, mais, en dépit de tout, nous demeurons Ses enfants, et en tant que tels nous Le voulons parmi nous.
Aussi bien nous faut-il servir D.ieu dans l’allégresse, justement lors des moments difficiles que nous traversons, redoubler d’actes dans la joie, y compris lorsqu’il s’agit des rapports avec notre prochain : là réside le meilleur moyen de progresser et de nous élever vers D.ieu.
La justice divine
« Tu es trop équitable, ô Eternel, pour que je récrimine contre toi. Cependant je voudrais te parler justice »7
Mais nous avons aussi le droit de récriminer. Nous savons certes que D.ieu rend la justice, une justice qui fait appel à des comptes qui Lui appartiennent ; mais en attendant, en tant qu’êtres humains, nous avons le droit de nous plaindre.
Un des livres de la Bible (Job) traite largement de ce sujet. Du début jusqu’à la fin du livre, l’on est en droit de soulever de nombreuses questions. Job lui-même se plaint à D.ieu à cause des souffrances qu’il subit. En vérité et somme toute, Job a parfaitement raison. Dès le commencement de ses malheurs, nous le savons. Trois personnages viennent s’entretenir avec lui pour lui parler de... théologie ! Cela paraît totalement fou. Ne voilà-t-il pas que Job vient de perdre toute sa famille et toute sa fortune, de plus il est frappé par la gale et on vient lui évoquer la justice divine ! Il importe de savoir à quel moment il convient de parler. D’ailleurs, après que les choses s’arrangent à la fin du livre, D.ieu exprime Sa colère envers ces trois personnages et exige qu’ils présentent leur pardon à Job : « Ma colère est enflammée contre toi et contre tes deux amis, parce que vous n’avez point parlé de Moi avec rectitude comme mon serviteur Job. »8 Comme si D.ieu disait à ces amis qui, a priori, se trouvaient dans Son camp ou dans Son « parti », tandis que Job se lamentait sans cesse : « Avant tout, Job a enduré tout ce qu’il a enduré et tout ce qu’il a dit est vérité. Ensuite, il en avait parfaitement le droit. Il a souffert de tout ce dont Je l’ai frappé et libre à lui de poser des questions sans fin. »
Quelle est l’explication que D.ieu fournit à Job ? En vérité, D.ieu ne répond pas vraiment à toutes ses questions et récriminations ; il ne lui dit pas non plus que les coups qu’il a reçus lui revenaient. D.ieu choisit « seulement » de se révéler à lui au milieu de la tempête. Cette révélation est telle que Job interrompt en quelque sorte le débat et s’exprime en ces termes : « Je ne Te connaissais que par ouï-dire ; mais maintenant je T’ai vu de mes propres yeux. C’est pourquoi je me rétracte et je me repens sur la poussière et sur la cendre. » En d’autres mots, Job réagit ainsi : « J’étais un jour un être religieux, j’ai cru en Toi de toutes mes forces et j’ai observé tous Tes commandements. Et voici que maintenant je T’ai vu. Dès lors, rien ne peut y changer. Tu es là et tout rentre donc dans l’ordre. »
Il y a là une autre approche, une autre façon d’appréhender. Peut-on crier ? Peut-on se plaindre ? Et si l’on reçoit une gifle de la part de D.ieu, peut-on pleurer ? La réponse est positive, nonobstant tous ceux qui, avec cruauté, viennent nous dire qu’il ne faut ni crier, ni pleurer, ni se plaindre. D.ieu ne nous dit rien de tout cela, mais plutôt : « Je t’ai frappé ; que tu penses ou non que cela te revient, tu as le droit de pleurer. Libre à toi cependant de ne pas t’arrêter là et d’entreprendre d’autres actions... »
Prier pour la Rédemption complète
En fin de compte, que nous en parlions ou non, ce que nous désirons profondément c’est que D.ieu nous envoie la guéoula chéléma, la Rédemption complète, et il nous est permis de Lui en parler.
Lorsque nous demandons à D.ieu quelque chose de modeste, Il nous répond : « Vous auriez pu prier pour la Rédemption complète et à la place de cela vous demandez une augmentation de salaire de 10 % ? » Cela nous arrive souvent, notamment lors d’un moment particulièrement favorable, nous nous contentons de demander que... les lacets de nos chaussures ne se déchirent pas... Or s’il est vrai que notre téfilla monte très haut quelque part dans les sphères célestes, jusqu’à ce que nous arrivons dans le palais du Roi et que nous nous tenions devant Lui (va-ani téfila, « un avec ma prière »), pourquoi en rester à formuler des vœux tout petits et ne pas aspirer à plus grand ?
Le verset de la prophétie d’Isaïe : « À jamais il anéantira la mort, et ainsi le D.ieu éternel fera sécher les larmes sur tout visage et disparaître de toute la terre l’opprobre de son peuple »9 montre à mes yeux une gradation de plus en plus profonde dans le processus de Rédemption. « À jamais il anéantira la mort » : faire face à la mort constitue certainement la détresse la plus forte qui puisse nous arriver en plein cours de la vie. Mais il existe d’autres formes de détresse. La mort peut avoir disparu, mais D.ieu peut faire encore quelque chose de plus intérieur, de plus profond : « faire sécher les larmes », faire en sorte qu’on n’ait plus à pleurer. Le verset se conclut après une telle situation où les pleurs n’existent plus pour promettre que « l’opprobre de son peuple disparaîtra de toute la terre ». C’est pour la réalisation de toutes ces promesses, l’une après l’autre, que nous devons prier lorsque nous invoquons la guéoula chéléma.
Mais qui prie vraiment pour cela ?
Les tsadikim, les justes sont assis tranquillement avec leurs couronnes sur leur tête ici dans notre monde et n’ont nul besoin d’attendre le monde futur.
La plupart des épicuriens n’ont d’autre souci que d’aller d’une boîte de nuit à l’autre et s’intéressent de savoir ce qui se passera à la coupe mondiale de football.
Ceux qui ne sont ni l’un ni l’autre demeurent indifférents.
Et pourtant, il incombe à tous d’agir pour que le Machia’h vienne enfin. Puisse-t-il y avoir parmi nous quelqu’un qui exprime que sa venue lui importe et démontre sa volonté !
Comme nous l’avons souligné, chaque téfila, chaque prière, dans son essence, demande à D.ieu de procéder à un miracle, petit ou grand. Et s’il en est ainsi, nous rappelons que le bras de D.ieu n’est certainement pas trop court pour exaucer toutes nos prières, quelles qu’elles soient. N’hésitons donc pas à voir grand, à prier pour nous-mêmes, pour les autres et pour le monde entier.
Plaise à D.ieu que nous assistons bientôt au salut, à la consolation et à la délivrance dont nous avons tant besoin aujourd’hui. Profitons du fait que nous sommes tous réunis pour nous tourner vers D.ieu et pour entreprendre d’autres actions rapprochant la venue du Machia’h. Et puisque tant de gens s’adressent au Saint béni soit-Il, peut-être que cette fois Il écoutera enfin notre voix.
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