Suite à l’attentat antisémite à Chabad of Poway, le rabbin Tzvi Freeman, essayiste et éditorialiste à Chabad.org ainsi que directeur du service « Question au Rabbin », donne son regard sur la dégradation sociétale qui frappe l’Amérique.
Les Juifs aux États-Unis ont des raisons d’être inquiets. D’abord, le plus grand massacre de Juifs motivé par la haine antisémite de l’histoire américaine a eu lieu à Pittsburgh. Six mois plus tard, avec une empreinte de haine presque identique, une attaque meurtrière contre une synagogue à Poway, en Californie.
De qui est-ce le problème ?
Le peuple juif ne sort pas affaibli de ces attaques. Les synagogues ne vont pas se vider à cause d’une poignée d’esprits perturbés et empoisonnés, c’est tout le contraire. Quant à ceux à qui la vie a été prise, tous des Juifs très spéciaux et qui manqueront cruellement : ne les appelez pas « victimes ». Dans la tradition juive, il existe un titre honoré pour tout Juif qui a perdu la vie simplement parce qu’il était juif : un Kadoch. Un Juif saint. Les Juifs ne meurent pas en victimes, nous mourons dans la dignité. C’est pourquoi nous sommes toujours en vie.
Mon opinion est que ce n’est pas un problème juif. C’est le problème du monde. Ces deux attaques, ainsi que de nombreux autres crimes de haine violents commis ces dernières années, sont les symptômes d’une maladie maligne qui se propage sans répit en Amérique, en Europe et dans le monde entier.
Mais c’est un problème que nous, Juifs, allons devoir aider à guérir. Dans notre intérêt, ainsi que dans l’intérêt de ce pays et du monde entier.
L’Amérique souffre. Selon les chiffres du FBI, les crimes motivés par la haine ont augmenté de 17 % l’année dernière, avec des augmentations similaires les deux années précédentes. Tout cela pendant que les autres formes de crimes violents continuent à diminuer. Quelque chose ne va pas.
Les Juifs sont une cible évidente. Comme le canari dans la mine de charbon, nous avons tendance à être les plus durement touchés. Et oui, ce sont des actes d’antisémitisme enragé. Mais si nous voulons résoudre quelque chose, nous devons adopter une perspective plus large. Les musulmans, les chrétiens et d’autres ont également été la cible d’attaques. Quelques jours avant la fusillade de Poway, un jeune vétéran de l’armée a foncé avec son véhicule sur des passants traversant la rue à Sunnyvale, en Californie. Il a dit à la police qu’il pensait qu’ils étaient musulmans.
Existe-t-il un médicament contre ce fléau ?
Dans les années soixante, soixante-dix et quatre-vingt, la violence sévissait de façon croissante en Amérique, comme cela ne s’était pas vu depuis le Far West. Toutes sortes de solutions, rapides ou à long terme, furent proposées. La prescription du Rabbi, unique et contre-intuitive, fut la suivante : réparer le système éducatif. Comment ? En introduisant un moment de silence dans le programme scolaire quotidien, et prendre cela au sérieux.
Pourquoi, à mon avis, cela convient-il au fléau de la violence haineuse d’aujourd’hui ?
Considérez ceci : les États-Unis sont divisés sur ce que doivent être les limites légales en matière de droit de posséder des armes à feu. Pourtant, il existe un point qui fait l’unanimité : les restrictions relatives aux armes à feu ne suffisent pas. Parce que le problème, ce n’est pas l’arme. Le problème, c’est l’esprit de la personne qui tient l’arme.
Qu’a fait l’école américaine pour l’esprit de ce criminel ?
Nous lui avons appris comment les êtres humains sont apparus pour la première fois sur la planète. Lui avons-nous appris à être un être humain ? Lui avons-nous appris à respecter un autre être humain ?
Nous lui avons appris à utiliser son esprit pour résoudre des problèmes avec des nombres. Lui avons-nous appris à appliquer son esprit – plutôt que ses poings – à résoudre des problèmes avec des gens ?
Nous lui avons appris l’anatomie. Lui avons-nous appris qu’une vie humaine est plus qu’une somme de sang, de boyaux et d’os ? Ou lui avons-nous appris, peut-être par inadvertance, que la notion d’une âme humaine n’a pas sa place dans un esprit instruit ?
Nous lui avons appris qu’il existe des lois et des prisons. Lui avons-nous appris que même si l’on est suffisamment malin pour ne pas se faire prendre, on a quand même tort ? Lui avons-nous donné une conscience ?
Lui avons-nous jamais démontré que ce sont ces choses qui comptent vraiment dans la vie – plus que les mathématiques, plus que la science, même plus que la technologie la plus sophistiquée ? Lui avons-nous jamais laissé la possibilité de s’arrêter pour penser à lui-même, à sa vie, à sa famille, à tout ce qui le dérange dans la vie ? Y a-t-il un espace et un temps pour penser à la vie dans son école ?
Tel est l’objet d’un moment de silence à l’école. Et, oui, cela fonctionne à merveille. Demandez à ceux qui travaillent dans les écoles où cela a été mis en œuvre. Ils vous diront qu’un moment de silence signifie qu’un enfant rentrera chez lui et demandera à Papa et Maman à quoi il devrait penser. Cela signifie qu’un enfant partagera ses problèmes avec son enseignant. Cela signifie que l’école devient un lieu non seulement pour l’esprit de l’enfant, mais également pour son cœur et son âme.
À cet égard, le rapport de 2013 sur le programme Moment of Silence au lycée Paul Robeson de Brooklyn, New York, qui le décrit comme « une expérience de transformation permanente », est édifiant :
« … Le Moment de Silence a été l’occasion pour les élèves de devenir plus attentifs et conscients de leurs expériences à l’intérieur et à l’extérieur de la classe. Les élèves sont devenus plus introspectifs dans leur écriture et ont une meilleure compréhension de leurs pairs et plus d’empathie pour eux... Les élèves ont également acquis une meilleure compréhension des objectifs éducatifs. »
Les Juifs doivent s’adapter à l’époque. Face aux attaques, la réaction instinctive, renforcée par des milliers d’années d’histoire, a été de faire profil bas et de se blinder de l’intérieur. Mais l’Amérique de 2019 n’est pas Chouchane, ni Rome, ni l’Espagne médiévale, ni la Pologne.
C’est cette attitude qui a amené certains Juifs à croire que pour que le judaïsme soit en sécurité en Amérique, il fallait expulser D.ieu de l’école publique. Ils n’ont pas réalisé que, dans les temps où nous vivons, c’est le contraire qui est vrai. Une société morale exige la notion d’un Juge suprême objectif, d’un « œil qui voit et d’une oreille qui entend », même si l’on échappe à la police ou aux médias. Lorsque cette notion est perdue, l’âme de l’Amérique l’est aussi. Et c’est là que commence la folie.
Un moment de silence n’impose à personne la prière ou la croyance en un Créateur. Mais cela ouvre l’esprit de l’enfant à la recherche du sens de la vie et, espérons-le, à la présence de D.ieu dans le monde. Et il y a de fortes chances pour que l’enfant parle à ses parents et grands-parents et découvre qu’il fut un temps où leur vie était empreinte de foi.
Certes, l’antisémitisme n’est jamais mort, même en Amérique. Mais ici nous avons une voix, une voix bien respectée, et donc une responsabilité envers notre pays hôte. N’est-ce pas pour cela que nous avons reçu une Torah ? N’est-ce pas la mission fondamentale de notre peuple ici dans ce monde : être une lumière pour les nations, qui finiront par prendre conscience que le monde a un Créateur qui se soucie de la façon dont nous traitons Son monde ?
Nous pouvons utiliser nos voix pour guérir l’Amérique. Faisons que les écoles américaines nourrissent l’humanité des enfants américains. Faisons que les enfants connaissent le sens du silence, juste assez de silence pour qu’ils puissent entendre leur propre cœur battre. Faisons que l’Amérique retrouve une âme.
Pour le site internet du mouvement international pour un Moment de Silence, cliquez ici
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