« Qu’est-ce que Hanouka ? » demande le Talmud avant de résumer l’essence de la fête dans les termes suivants :
Lorsque les Grecs pénétrèrent dans le Sanctuaire, ils souillèrent la totalité de son huile. Lorsque la famille royale hasmonéenne les vainquit, ils cherchèrent et ne trouvèrent qu’une seule fiole d’huile pure portant le sceau du Kohen Gadol (le Grand Prêtre), suffisante pour allumer la ménorah pendant un seul jour. Un miracle se produisit et ils allumèrent la ménorah avec cette huile pendant huit jours. L’année suivante, ils instaurèrent ces [huit jours] comme des jours de fête, de louange et d’action de grâces à D.ieu.
Ce qui frappe dans la description du Talmud, c’est qu’il n’y a qu’une référence minime aux victoires militaires miraculeuses qui précédèrent et permirent la libération du Saint Temple par les Hasmonéens. Bien qu’il mentionne que la famille royale hasmonéenne « vainquit [les Grecs] », le Talmud ne dit rien sur le fait que ce fut une guerre lors de laquelle un petit groupe de Juifs vainquit l’une des plus puissantes armées du monde. L’accent est entièrement mis sur le miracle de l’huile, comme si c’était le seul événement important que commémore la fête de ‘Hanouka.
Ceci est à comparer à la prière d’Al HaNissim, récitée à ‘Hanouka pour raconter « les miracles… que Tu as accomplis pour nos ancêtres en ces jours-là, à cette époque » :
À l’époque de Matitiahou… l’Hasmonéen et ses fils, lorsque le cruel pouvoir hellénique se leva contre Ton peuple Israël pour lui faire oublier Ta Torah et lui faire transgresser les décrets de Ta volonté, Toi, dans Ton abondante miséricorde, Tu les assistas au moment de leur détresse… Tu livras les puissants aux mains des faibles, les nombreux aux mains du petit nombre… les impies aux mains des justes… et Tu forgeas une grande délivrance et une rédemption pour Ton peuple Israël… Alors Tes enfants entrèrent dans le sanctuaire de Ta demeure, nettoyèrent Ton palais, purifièrent Ton Sanctuaire et instituèrent ces huit jours de ‘Hanouka, pour remercier et louer Ton grand Nom.
Ici, c’est le miracle de l’huile qui est ignoré. Bien que Al HaNissim parle de « lumières allumées dans les cours de Ton Sanctuaire », ceci n’est probablement pas une référence aux lumières de la ménorah (dont la place désignée n’était pas dans la cour du Saint Temple, mais à l’intérieur du Sanctuaire), mais aux lumières allumées en célébration dans tout le complexe du Temple et dans la ville de Jérusalem (ce qui explique pourquoi Al HaNissim parle de cours au pluriel). En tout état de cause, même si les lumières en question sont celles de la ménorah, il n’est fait aucune mention des miracles associés à son éclairage.
En d’autres termes, il semble y avoir une séparation complète entre les miracles physiques et spirituels de ‘Hanouka, dans la mesure où la mention des uns exclut toute mention des autres. Quand le salut physique d’Israël est rappelé et que nous remercions D.ieu d’avoir livré « les puissants aux mains des faibles et les nombreux aux mains du petit nombre », nous ne faisons aucune référence au miracle de l’huile ; et lorsque nous évoquons la signification spirituelle de ‘Hanouka – le triomphe de la lumière sur les ténèbres –, c’est sans aucune association avec les victoires physiques qui l’ont accompagnée.
La fête spirituelle
Les luttes et les triomphes relatés par le calendrier juif sont toujours plus qu’une lutte pour la survie physique. L’Exode, commémoré et revécu chaque Pessa’h, n’est pas simplement la libération d’un peuple de l’esclavage à la liberté ; c’est son extraction de l’Égypte païenne pour recevoir la Torah au Sinaï et conclure une alliance avec D.ieu en tant que « nation de prêtres et peuple saint ». À Pourim, nous nous souvenons que Haman voulut anéantir les Juifs, car « ils sont un peuple singulier... dont les lois sont différentes de celles de toutes les autres nations » ; ainsi, cela célèbre non seulement le sauvetage de l’existence du Juif, mais également de son identité et de son mode de vie.
Pourtant, la bataille menée par les Hasmonéens contre les Grecs fut la plus spirituelle de l’histoire juive. Les Grecs n’ont pas cherché à détruire physiquement le peuple juif, ni même à le priver de sa religion et de son mode de vie. Ils voulaient simplement les helléniser, c’est-à-dire éclairer leur vie avec la culture et la philosophie de la Grèce. Gardez vos livres de sagesse, dirent-ils au Juif, respectez vos lois et vos coutumes, mais enrichissez-les de notre sagesse, ornez-les de notre art, intégrez-les à notre style de vie. Adorez votre D.ieu dans votre temple, mais adorez également le corps humain dans le stade adjacent que nous construirons pour vous. Étudiez votre Torah, mais intégrez-la aux principes de notre philosophie et à l’esthétique de notre littérature.
Les Hasmonéens se battirent pour leur indépendance vis-à-vis du pouvoir hellénique, car les Grecs « ont cherché à leur faire oublier votre Torah et à leur faire transgresser les décrets de Ta volonté ». Ils ne se sont pas battus pour la Torah en soi, mais pour Ta Torah – pour le principe que la Torah est la loi de D.ieu plutôt qu’une somme de sagesse humaine qui pourrait être mélangé à d’autres sommes de sagesse humaine. Ils ne se sont pas battus pour les mitsvot en tant que mode de vie juif, mais pour les mitsvot en tant que décrets de Ta volonté – en tant que volonté supra-rationnelle de D.ieu, qui ne peut être ni rationalisée ni altérée. Ils ne se sont pas battus pour quelque fin matérielle ou politique, non plus que pour la préservation de leur identité et de leur style de vie, ni même pour le droit d’étudier la Torah et d’accomplir ses commandements, mais pour l’âme même du judaïsme, pour la pureté de la Torah en tant que parole divine et de ses Mitsvot en tant que volonté divine.
La spiritualité de ‘Hanouka est soulignée par la principale mitsva de la fête, l’allumage des lumières de ‘Hanouka. Nous sommes des êtres physiques, auxquels il est ordonné d’ancrer chacune de nos expériences à un acte physique : à Pessa’h, nous célébrons notre liberté avec de la matsa et du vin ; à Pourim, nous lisons la Méguila, donnons de l’argent aux pauvres, envoyons des cadeaux sous forme de nourriture à nos amis, et festoyons et buvons. ‘Hanouka a également son élément rituel dans lequel un acte et un objet physiques incarnent la signification de la fête. Mais ici, le véhicule est le plus spirituel des phénomènes physiques : la lumière. À ‘Hanouka, l’accent est mis sur l’essence spirituelle de notre lutte, de sorte que même son visage physique est une flamme éthérée dansant dans la nuit.
Séparation des miracles
Ainsi, lorsque le Talmud répond à la question « Qu’est-ce que ‘Hanouka ? », il définit la fête uniquement en fonction de ses miracles spirituels : la découverte de la fiole d’huile pure inaltérée et le rallumage de la lumière divine qui émanait du Saint Temple. Comme il s’agit de commémorer notre combat le plus spirituel, son contenu spirituel prédomine au point d’éclipser complètement son aspect physique. Bien que les miracles militaires aient précédé et rendu possible l’allumage de la ménorah dans le Temple, ils sont ignorés lorsque nous évoquons le miracle qui définit l’essence de ‘Hanouka.
C’est aussi la raison pour laquelle la prière instituée par nos sages pour rendre grâce à D.ieu pour les victoires militaires omet toute mention du miracle de l’huile. Car ce n’est que lorsqu’ils sont considérés seuls que les miracles militaires peuvent être soulignés et appréciés. S’ils devaient être évoqués en conjonction avec le miracle de l’huile, ils s’effaceraient de par leur insignifiance. Dans le contexte supra-spirituel du miracle central de ‘Hanouka, ils sont réduits à un détail mineur, à peine digne de mention.
La leçon
L’homme est composé d’une âme et d’un corps : d’une essence spirituelle que les maîtres ‘hassidiques appellent « littéralement une partie de D.ieu en haut », et le véhicule physique par lequel elle fait l’expérience du monde et a un impact sur lui.
Le corps a été conçu pour servir l’âme dans sa mission de développer le monde conformément à la volonté divine. Bien sûr, le libre arbitre a été accordé à l’homme. Le corps pourrait ainsi se rebeller contre la domination de l’âme ; il peut même soumettre son maître légitime à ses propres désirs, en faisant de la poursuite des choses matérielles le centre de la vie et en exploitant les aptitudes spirituelles de l’âme à cette fin. Mais dans son état naturel et non corrompu, le corps est le serviteur de l’âme, qui en canalise les énergies et met en œuvre sa volonté.
Il y a cependant plusieurs niveaux à cette soumission, plusieurs degrés de servitude de la matière envers l’esprit. Le corps peut reconnaître que le but de la vie sur terre repose sur les aspirations de l’âme, tout en ayant son propre programme parallèlement au programme plus élevé et plus spirituel de l’âme. Ou bien il peut servir l’âme de façon désintéressée, reconnaissant le spirituel comme le seul but digne d’être poursuivi, toutefois ses propres besoins demeurent une partie très visible et très prononcée de la vie, ne serait-ce que par nécessité naturelle.
‘Hanouka nous enseigne qu’il existe un niveau de suprématie de l’âme sur le corps tellement absolu que le corps est pratiquement invisible. Il continue de répondre à ses propres besoins, car une âme ne peut opérer que dans un corps fonctionnel, mais ceux-ci sont complètement éclipsés par l’essence spirituelle de la vie. On ne voit pas une créature matérielle cherchant de la nourriture, un abri et du réconfort, mais un être spirituel dont les efforts spirituels consument tout son être.
Pour tous, mis à part le tsadik le plus spirituel, il n’est ni possible ni souhaitable de maintenir perpétuellement cet état. C’est d’ailleurs pourquoi ‘Hanouka ne dure que huit jours par an. Mais chacun de nous est capable de vivre des moments d’une telle spiritualité absolue. Des moments dans lesquels nous nous investissons dans notre engagement envers notre objectif spirituel à un degré tel que nos soucis matériels deviennent tout à fait insignifiants.
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