Le 19ème jour du mois hébraïque de Kislev (« Youd-Teth Kislev ») en 1798, le premier Rabbi de ‘Habad, Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi, fut libéré des prisons tsaristes et acquitté de toutes les accusations portées contre ses enseignements novateurs dans le cadre de la philosophie ‘Habad et contre le mouvement ‘hassidique dans son ensemble. Depuis lors, cette date est une fête particulièrement joyeuse pour les ‘hassidim, une période propice aux rassemblements ‘hassidiques appelés Farbrenguens et à un renouvellement de l’engagement de chacun à l’étude de la ‘Hassidout et dans les voies de la ‘Hassidout. Dans une célèbre lettre rédigée en 1901, Rabbi Chalom DovBer, le cinquième Rabbi de ‘Habad-Loubavitch, déclare ce jour comme étant le Roch Hachana de la ‘Hassidout.
Chaque fois que je repense aux Farbrenguens de Youd-Teth Kislev de mes jeunes années à la yéchiva, deux affirmations inoubliables me viennent à l’esprit, deux phrases concises qui étaient chaque année répétées par nos chers enseignants et revécues par ceux qui les entendaient.
Une affirmation souvent répétée et prévisible peut sembler aller à l’encontre de l’idée même du Farbrenguen. Après tout, de tels rassemblements sont informels de par leur conception et leur définition. On ne peut pas parler à un Farbrenguen sans d’abord y réfléchir et se préparer à un échange honnête. Mais on ne peut pas non plus y prononcer de manière officielle un discours préparé. Les vrais Farbrenguens jaillissent du cœur, ils sont une expression fluide, souple et authentique de pensées et de sentiments vrais.
Pourtant, ces affirmations étaient différentes. Elles ne devenaient pas rassises au fil des années, au contraire : elles jaillissaient de nouveau, engageant chaque année le cœur et l’esprit avec le même esprit brut, avec une fraîcheur énergique et une quête de profondeur. Pour moi et pour tous les étudiants qui fréquentaient la même yéchiva ‘Habad à Brooklyn, ces simples énoncés de croyance ‘hassidique et leur signification devinrent l’élément central de l’expérience de Youd-Teth Kislev. Où que nous vivions aujourd’hui, de l’Australie à la Russie, ou n’importe où sur le continent américain, ces deux devises de Youd-Teth Kislev demeurent gravées dans nos mémoires.
La première est celle du ‘hassid vétéran Reb Elyah ‘Haïm Roitblat, de mémoire bénie.
De nombreuses légendes circulaient sur Reb Elyah ‘Haïm. La rumeur disait qu’il faisait partie de ce groupe spécial de personnes pieuses qui mettaient en secret quatre paires de téfilines. Une histoire a circulé selon laquelle le Rabbi a assuré le parent d’un des élèves de Reb Elyah ‘Haïm que, comme Elyah ‘Haïm était son enseignant, son fils aurait certainement la crainte du ciel. Physiquement, il était d’apparence frêle. Mais il était doté d’un esprit inébranlable. Même les jours les plus rudes de l’hiver, il arpentait résolument les trottoirs glacés de Crown Heights pour prier au minyane du Rabbi, où il se balançait, prononçant les mots de la prière à voix haute, doucement et sincèrement. Après de nombreuses années d’enseignement aux jeunes enfants, il prit son poste à la yéchiva pour enseigner à des étudiants plus âgés. Il s’asseyait tranquillement et sans prétention à un bureau près de l’entrée de la salle d’étude, étudiant Likoutei Torah, le recueil classique de discours ‘hassidiques de Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi. Nous, les étudiants de la yéchiva, n’étions jamais tout à fait sûrs de son rôle officiel à la yéchiva. Mais il était un exemple vivant de ce à quoi devrait ressembler un vrai ‘hassid, un aperçu idéalisé du passé.
Une fois par an, Reb Elyah ‘Haïm s’animait. À la veille de Youd-Teth Kislev, toutes les tables de la yéchiva étaient alignées en rangées, couvertes de nappes blanches et remplies d’aliments propres au Farbrenguen, parmi lesquels la traditionnelle kasha de sarrasin de Youd-Teth Kislev.
Chaque année, Reb Elyah ‘Haïm était le premier orateur. Malgré sa petite taille, il se levait et parlait avec ardeur, sa canne à la main. Et chaque année, il commençait par les mêmes mots, ce qui pourrait être décrit comme une liturgie yiddish personnelle répétée chaque année presque mot pour mot, et il disait en chantonnant :
« Haynt iz Youd-Teth Kislev (Aujourd’hui, c’est Youd-Teth Kislev). Vouss iz Youd-Teth Kislev ? (Qu’est-ce que Youd-Teth Kislev ?) Le Roch Hachana de la ‘Hassidout. Et qu’est-ce que La Hassidout ? La Hassidout c’est nit ich (non moi) ! »
En d’autres termes, le ‘hassidisme est la transcendance du soi. Le ‘hassidisme est l’effacement.
Reb Elyah ‘Haïm commençait toujours par ces quelques mots, et ne disait généralement pas grand-chose de plus. Il rentrait chez lui peu après, alors qu’il était encore tôt et que le Farbrenguen ne faisait que commencer.
Mes propres enfants connaissent bien ces mots, et nous les répétons à la maison chaque année à Youd-Teth Kislev. Même les plus jeunes d’entre eux peuvent répéter les paroles de Reb Elyah ‘Haïm : « Haynt iz Youd-Teth Kislev... »
Plus tard dans la même nuit, Reb Yisroel Friedman, puisse-t-il vivre et se porter bien, faisait Farbrenguen pendant des heures. Il est toujours roch yéchiva, et continue de faire Farbrenguen chaque année comme il le faisait alors. C’est un érudit ardent, doté d’un esprit vif et d’une expression riche. Une personne qui combine parfaitement la précision analytique du Talmudiste et la passion exubérante de la vie et du savoir ‘hassidiques. Le mois entier de Kislev est clairement une période particulière pour lui. Il y a un segment de nigoun (mélodie ‘hassidique) qu’il chante souvent lors des Farbrenguens de ce mois, une mélodie mélancolique dont chaque note exprime la nostalgie et l’aspiration.
Reb Yisroel est un trésor de savoir talmudique et ‘hassidique, et avec sa vivacité d’esprit et sa perspicacité, il a toujours quelque nouvel enseignement à la bouche. Jamais à court de mots, il navigue entre les parties révélée et profonde de la Torah, avec des anecdotes poignantes et de vifs traits d’humour. Mais à Youd-Teth Kislev, il aborde chaque année le même sujet, répétant toujours les cinq mêmes mots en hébreu, qu’il développe pendant des heures :
« Ohr ve’hayous nafsheinou nitane lanou – [En ce jour de Youd-Teth Kislev,] la lumière et la vie de nos âmes nous a été donnée. »
Ces cinq mots hébreux sont une citation de la lettre de Youd-Teth Kislev dans laquelle le cinquième Rabbi a proclamé ce jour comme étant le Roch Hachana de la ‘Hassidout.
Tard dans la nuit, Reb Yisroel dévoilait l’immense signification de ces mots. Lumière. Vie. Âme. Chacun de ces mots représente des mondes de sens, et Reb Yisroel déployait toute la richesse de ses connaissances et de sa personnalité colorée pour nous communiquer ce sens. Avec chaleur, entrain et humour, il émaillait ses arguments de récits et de dictons ‘hassidiques, abondant en citations d’un vaste répertoire de discours ‘hassidiques.
Mais, au final, il mettait l’accent principal sur les deux derniers mots de la phrase, nitane lanou : ce jour-là, la lumière et la vie de nos âmes nous a été donnée ! Pour Reb Yisroel, cette affirmation n’était pas simplement un motif de célébration. C’était une affirmation de responsabilité et d’obligation personnelles, une affirmation qui requiert une introspection pénétrante, qui exige que nous nous posions des questions difficiles et préoccupantes : avons-nous absorbé et intériorisé la lumière, la vie et l’âme de la ‘Hassidout ? Les avons-nous faites nôtres, et de quelle façon ? Qu’avons-nous fait et que continuons-nous à faire pour que la ‘Hassidout soit nôtre ?
J’étais intrigué et inspiré par la juxtaposition paradoxale de ces deux devises la même nuit. « Ce n’est pas moi le sujet », déclare Reb Elyah ‘Haïm au sujet de la ‘Hassidout, et pourtant, Reb Yisroel insiste sur le fait que nous devons l’intérioriser personnellement, nous devons l’appliquer à nos vies, nous devons rendre la ‘Hassidout nôtre.
Ce ne sont pas de simples slogans. Chacun énonçait sa propre vérité. C’étaient là des affirmations profondément personnelles, des cris de ralliement intérieurs, exprimant et renforçant aussi bien l’essence de ce qu’ils étaient en tant que personnes, que leur avoda (le travail de leur vie) en tant que ‘hassidim. Les paroles respectives de Reb Elyah ‘Haïm et de Reb Yisroel dévoilaient leurs âmes.
Prises ensemble, ces deux affirmations reflètent une dialectique complexe entre le soi et l’effacement de soi qui est au cœur de la voie ‘Habad du travail intérieur et du service de D.ieu. Hillel, le grand sage de la Michna, a exprimé la nécessité de trouver un équilibre entre ces extrêmes : « Si je ne suis pas pour moi, qui est pour moi ? Et si je ne suis que pour moi, que suis-je ? »1 Mais la ‘Hassidout ‘Habad porte ce concept beaucoup plus loin, à la fois dans ses extrêmes et dans sa magnifique synthèse, avec une profondeur extraordinaire et une application personnelle.
L’acronyme même de ‘Habad relie la faculté de ‘hokhma, qui appréhende l’étincelle de la transcendance infinie de D.ieu devant laquelle tout s’annule, avec l’internalisation du sens et l’application concrète de daat. De même, l’une des facettes contemporaines les plus connues de ‘Habad est la chli’hout, qui repose sur l’enseignement fondamental du Rabbi selon lequel c’est en nous dévouant totalement à un but supérieur que nous pourrons réaliser notre plein potentiel en tant qu’individus.
Nit ich ! Le ‘hassidisme est effacement. Et en même temps, nitane lanou ! C’est cet effacement qui nous donne la vie et la lumière mêmes de nos âmes.
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