Le début des années 1920 fut une période troublée pour la Russie en général et pour le mouvement ‘Habad-Loubavitch en particulier. Alors que le pays émergeait à peine de la guerre civile et d’une famine généralisée, le gouvernement communiste consolidait son emprise étouffante et intensifiait sa campagne pour éliminer la vie religieuse juive. C’est précisément à cette époque que Rabbi Yossef Its’hak Schneersohn de Loubavitch prit la tête du mouvement après le décès de son père. Quel qu’en serait le coût pour lui-même, il était déterminé à maintenir le judaïsme en vie.1
La première rencontre entre Rabbi Mena’hem Mendel (« le Rabbi ») et Rabbi Yossef Its’hak eut lieu à Rostov en 1922.2 Au cours de sa deuxième visite, quelques mois plus tard,3 Rabbi Yossef Its’hak prononça un discours ‘hassidique sur le désir divin d’une demeure dans les « royaumes les plus bas » (c’est-à-dire le monde matériel), réalisé par les efforts de l’homme et son engagement supra-rationnel de servir son Créateur, jusqu’au sacrifice de soi. L’âme transcendante, expliqua-t-il, résiste et même prospère face à l’adversité.4 C’est ce même discours que Rabbi Yossef Its’hak publia à la veille de son décès, vingt-sept ans plus tard,5 et dont le Rabbi développa un chapitre chaque année à l’anniversaire du décès de Rabbi Yossef Its’hak pendant quatre décennies.6
L’âme transcendante résiste et même prospère face à l’adversité.Plus tard cette année-là, R. Mena’hem Mendel voyagea à Kislovodsk, une ville thermale dans le Caucase du Nord où Rabbi Yossef Its’hak séjournait alors avec sa famille. R. Eliyahou ‘Haïm Althois, un proche confident de Rabbi Yossef Its’hak, évoqua plus tard les circonstances de cette rencontre : « À l’été 1923, le Rabbi me dévoila en privé l’intention cachée de son cœur... de donner en épouse sa chère fille bien-aimée à l’homme dont je parle maintenant... et il (Rabbi Yossef Its’hak) m’a choisi alors pour créer l’occasion de l’amener (R. Mena’hem Mendel) de Yekaterinoslav à Kislovodsk. »7
Lorsque Rabbi Yossef Its’hak retourna à Rostov, il était accompagné de son gendre, Rav Shmaryahou Gourarié, et de R. Mena’hem Mendel. Cinq jours plus tard, il écrivait à la future mariée, sa fille ‘Haya Mouchka : « Cette semaine, j’ai étudié minutieusement “les manières de Mendel” (hilkhot Mendel)... Dimanche, nous avons passé tous les trois toute la journée ensemble, c’était très agréable... Il est resté avec une bonne et agréable impression du Caucase, et aimerait faire une nouvelle promenade sur la montagne... Il est de très bonne compagnie et affable, ce qui ajoute beaucoup. »8
La compagnie sympathique décrite dans cette lettre dissimule l’énorme pression qui pesait à l’époque sur Rabbi Yossef Its’hak. Dans une lettre écrite dix jours plus tard, il décrivait ainsi la situation désespérée : « Les synagogues sont réquisitionnées de force... Les écoles juives sont fermées, et les élèves étudient en cachette, craignant pour leur vie à cause des espions... »9 Rabbi Yossef Its’hak était au centre d’un réseau clandestin, travaillant sans relâche et avec grand risque pour maintenir intacte l’infrastructure de base de la vie juive. Tout au long de cette période, il correspondait avec des partisans en Amérique et en Europe, et faisait la navette entre Rostov et Moscou pour délibérer avec d’autres rabbins et des avocats sympathisants. Au printemps de 1924, il fut menacé d’arrestation et forcé de déménager de Rostov à Leningrad.10
« Rempli de Talmud et de jurisprudence, des autorités antérieures et ultérieures, comme l’un des grands. »Pendant cette période, R. Mena’hem Mendel était basé à Yekaterinoslav, où il poursuivait des études de Torah et approfondissait sa connaissance des sciences.11 Ses efforts furent reconnus dans le certificat d’ordination rabbinique (smikha) délivré en 1924 par son oncle, le rabbin Chmouel Schneersohn de Nikolaïev, le décrivant comme « rempli de [connaissance du] Talmud et de jurisprudence, des autorités antérieures et ultérieures, comme l’un des grands. »12
À Leningrad, où il rendait fréquemment visite à son futur beau-père et à sa future épouse, R. Mena’hem Mendel fit la connaissance de Rabbi Yossef Rosen, le célèbre Rogatchover Gaon, dont l’approche unique de la connaissance de la Torah allait influencer le développement du propre chemin de R. Mena’hem Mendel. Le plus ancien manuscrit de la main du Rabbi est une lettre adressée en réponse au Rogatchover, contestant respectueusement sa position sur un point de droit talmudique. La lettre date du début de 1925 et est remplie d’arguments étayés par toute une gamme de citations talmudiques qui rappellent le propre style du Rogatchover.13
Cette pièce de correspondance est également remarquable pour une autre raison : le Rabbi y utilisa le nom et l’adresse d’une connaissance, Mordekhai Gourarié, plutôt que les siens. Des années plus tard, on demanda au Rabbi la raison de cela et il expliqua que, compte tenu de la position de Rabbi Yossef Its’hak à la tête du réseau clandestin juif, l’emploi de leur nom de famille commun avait été jugé imprudent.14 La crainte de la curiosité des autorités était loin d’être injustifiée. Ainsi, les choses s’envenimèrent à l’été 1927 : Rabbi Yossef Its’hak fut arrêté, condamné à mort, exilé et ensuite expulsé d’Union soviétique.15 R. Mena’hem Mendel était à Leningrad au moment de l’arrestation.16 Cinq jours après que Rabbi Yossef Its’hak eut quitté le pays, son futur gendre traversa la frontière soviétique et le rejoignit à Riga.17
Commencez une discussion