Le Rabbi atteignit sa maturité au milieu de la Première Guerre mondiale, qui éclata moins d’un an avant la célébration de sa Bar Mitsva. Les Juifs proches du front furent contraints par décret gouvernemental de fuir vers l’est, et la ville natale du Rabbi, Yekaterinoslav (aujourd’hui Dniepropetrovsk) dans l’est de l’Ukraine, reçut un grand afflux de réfugiés. Le Rabbi évoqua un jour comment sa mère, la Rabbanit ‘Hanna, était en première ligne de l’effort communautaire pour fournir aide et secours à ces malheureux, dont beaucoup étaient arrivés en ville sans aucun moyen de subsistance :

« De manière générale, j’étais occupé avec mes études, et je n’étais pas tellement impliqué dans les affaires de la maison. Je ne demandais pas ce qui se passait, etc. Mais il y avait des circonstances extraordinaires qu’on ne pouvait s’empêcher de remarquer... C’était une chose merveilleuse, je n’ai jamais vu une telle implication et un activisme aussi vigoureux, de jour comme de nuit... Le travail de ma mère fut si exceptionnel qu’il est gravé dans mon esprit pour le reste de ma vie. »1

« Le travail de ma mère fut si exceptionnel qu’il est gravé dans mon esprit pour le reste de ma vie. »

Ce que le Rabbi n’évoqua pas, c’est la compassion qu’il manifesta lui-même à un jeune réfugié dont les parents étaient morts de faim. N’ayant nulle part où aller, Yona Kesse – qui deviendra plus tard membre de la Knesset israélienne et secrétaire du parti Mapaï – commença à fréquenter la synagogue où Mena’hem Mendel Schneerson, son aîné d’à peine quelques années, étudiait habituellement. Au bout de quelques jours, le garçon plus âgé interrompit ses études pour aborder Yona et s’enquérir de sa situation. Entendant son malheureux récit et son désir d’émigrer en Terre Sainte, Mena’hem Mendel emmena Yona chez lui et expliqua la situation à sa mère.2

La femme de Yona Kesse, Carmella, décrivit la Rabbanit ‘Hanna comme « une femme excellente, débordante de chaleur et de générosité » qui accueillit son mari, le baigna, le nourrit et l’habilla, et décréta que Yona resterait chez elle jusqu’à ce qu’il trouve un moyen de voyager en Terre Sainte. Selon Carmella, Yona Kesse demeura chez la famille Schneerson pendant cinq ou six ans, et parlait souvent de son expérience. L’amitié que lui témoignait la famille Schneerson « lui restitua sa foi dans l’humanité » et, tout au long de sa vie, il resta en contact avec le Rabbi et lui rendait visite chaque fois qu’il venait à New York.3 Ses souvenirs de son séjour dans la maison du Rabbi, rappelant l’atmosphère des années d’après-guerre, furent diffusés à la télévision israélienne en 19734 :

« La maison était une authentique maison ‘hassidique, son père était un grand savant de la Torah, le rabbin de la ville, et exerçait une grande influence sur de très nombreux Juifs. N’oubliez pas que c’était déjà l’époque bolchevique, avec le début des persécutions contre la religion, etc., et il assumait ses responsabilités rabbiniques avec force et fierté.

« Tout comme il ne fait aucun doute que vous devez rechercher le bien-être spirituel d’un autre, vous devez également rechercher son bien-être matériel. »

« Je fus témoin de la grande diligence du Rabbi dans l’étude de la Torah. Chaque fois que je le voyais, il n’étudiait jamais assis, seulement debout. Je me souviens aussi qu’il était déjà versé dans les domaines de la physique et des mathématiques. Je me souviens également que, même s’il était autodidacte, des étudiants et même des professeurs lui rendaient visite pour discuter de questions de physique et de mathématiques. Apparemment, déjà, il avait accumulé un vaste réservoir de connaissances, bien sûr dans le Talmud, les codes halakhiques et le ‘hassidisme, mais aussi dans le domaine des sciences profanes. Je me souviens de lui comme d’un homme très modeste, très réticent. Je me souviens que tout son être était la Torah. »5

Carmella Kesse souligna que son mari était impressionné non seulement par l’érudition juvénile de R. Mena’hem Mendel, mais aussi par « la sensibilité et l’attention qu’il manifesta en l’invitant chez lui et en lui tendant la main en ces temps difficiles ». Le Rabbi ne fut jamais homme à sacrifier le bien-être matériel d’un autre être humain pour son propre avancement spirituel. Il eut la sensibilité morale de remarquer un jeune garçon dans le besoin, et la détermination morale d’interrompre ses études et de tendre une main charitable.

« S’agissant de soi-même, enseignait le Rabbi, il faut faire la plus grande distinction possible entre les affaires spirituelles et matérielles. Mais s’agissant d’autrui, il faut considérer les besoins matériels de l’autre comme égaux aux besoins spirituels. Tout comme il ne fait aucun doute que vous devez rechercher le bien-être spirituel d’un autre, vous devez également rechercher son bien-être matériel. »6 « Si vous avez l’amour de D.ieu, mais pas l’amour de la Torah ou l’amour de votre prochain, cela montre que vous manquez aussi d’amour pour D.ieu. Mais si vous avez l’amour de votre prochain, vous arriverez finalement à l’amour de la Torah et à l’amour de D.ieu. »7