Les jours sombres du siège de la ville sainte avaient commencé. L’immense armée de Néboukhadnetsar, roi de Babylone, encerclait les murs de Jérusalem. Ce dernier, soucieux de sa sécurité, était resté à Rivlah, à quelque distance de la ville assiégée, confiant à son général en chef, Nébouzaradan, la mission de la raser tout de bon.

La famine et son cortège de malheurs ne tardèrent pas à faire leur apparition dans la ville sainte. Les Juifs commencèrent à se rendre compte que Jérémie, prophète sincère s’il en fut, avait eu raison. Il avait annoncé toutes ces calamités et d’autres encore. Ces dernières allaient-elles, comme les premières, s’abattre aussi sur eux ?

Il y eut aussi de faux prophètes qui prétendirent parler au nom de D.ieu. Eux rassuraient le peuple : il ne devait avoir aucune crainte, les murs de Jérusalem étaient assez solides pour résister aux assauts de n’importe quelle armée.

L’un d’eux fut un homme ayant nom ‘Hananiah. Il descendait des Gabaonites, tribu qui avait circonvenu Josué et obtenu de lui une protection sans limites. Josué respecta son serment, et les Gabaonites devinrent les serviteurs du peuple, exerçant les métiers de porteurs d’eau ou de bûcherons.

Pour en revenir à ‘Hananiah, celui-ci fit un jour irruption dans le temple et déclara qu’il était porteur d’un message divin. Et voici son contenu :

« N’ayez crainte, car ainsi a parlé l’Éternel, D.ieu des Armées : J’ai brisé le joug que le roi de Babylone avait placé sur vos nuques. Je ramènerai en ce lieu saint tous les vases sacrés qu’il a emportés à Babylone il y a onze ans. Je ferai davantage : Je ramènerai également dans cette ville le roi exilé Yékhoniah et tous les captifs de Juda ! »

« Amen ! » répondit une voix. Les présents se retournèrent. C’était la voix de Jérémie.

– Bien sûr, dit ‘Hananiah, toi, tu n’as toujours que de funestes prophéties à la bouche quand tu t’adresses à cette ville. Comment pourrais-tu souhaiter de voir se réaliser les miennes qui sont bonnes et rassurantes ?

– Tu te trompes, ’Hananiah, reprit Jérémie tristement. Je voudrais que tes paroles soient vraies et les miennes fausses ; mon peuple serait ainsi sauvé de l’anéantissement et de l’exil, comme tu le dis. Quant à moi personnellement, je suis, après tout, un prêtre, issu des enfants d’Aaron. Que puis-je souhaiter d’autre que de voir rétablir en ce saint lieu le service et les sacrifices divins dans toute leur gloire passée ? Ainsi j’aurais à nouveau la place privilégiée que m’assigne mon sacerdoce dans le Saint Temple. Tandis que toi, ‘Hananiah, tu retournerais à ton labeur de Gabaonite, tu couperais du bois et porterais l’eau pour l’autel. Comme tu vois, j’aurais tout à gagner et rien à perdre si tes paroles se réalisaient. Mais, hélas ! Ce que tu dis n’est pas la vérité ; tu égares le peuple avec de fausses promesses. Car, aussi longtemps que ce dernier ne s’amendera ni ne reviendra à D.ieu de tout son cœur, il ne pourra éviter les pires calamités. Ma douleur est grande, mais je vois ce lieu devenir un charnier, et proche la chute de Jérusalem.

– Donne-nous un signe, une preuve que tu dis la vérité, demanda ‘Hananiah.

Jérémie hocha la tête.

– Si j’avais prophétisé des événements pareils aux tiens, donner un signe serait facile. Car D.ieu ne change pas d’avis quand il désire dispenser le bien aux hommes. Si, au contraire, le lot de tous est le châtiment, quelque imminent qu’il soit, on a toujours le temps de se repentir et de l’éviter. D.ieu est bon et miséricordieux. Si mon peuple voulait aujourd’hui même revenir à Lui, toutes mes sombres prédictions s’évanouiraient aussitôt. Aussi, comment pourrais-je vous donner une preuve ?

Chaque jour, les forces babyloniennes pilonnèrent les murs de Jérusalem, mais ce fut en vain. Après une longue journée de travail acharné, les soldats ennemis tombaient à terre, épuisés, et les défenses de la ville sainte, tel un défi lancé aux assaillants, demeuraient intactes. Néboukhadnetzar commençait à s’impatienter. N’osant s’exposer en dirigeant lui-même le siège, il envoya à Nébouzaradan trois cents chameaux chargés de haches effilées. « Les murs n’y résisteront pas », écrivait-il, confiant, à son général.

Les soldats essayèrent ces armes redoutables. Mais quelque chose d’incroyable se produisit : chaque fois qu’une hache heurtait la muraille, la lame y pénétrait comme dans une pâte molle et y disparaissait ; seul le manche de bois restait aux mains du soldat stupéfait.

Nébouzaradan, désespérant de pouvoir venir à bout de cette ville étrange, songeait déjà à lever le siège et à renoncer à son entreprise. En effet, il prit peu après la décision de faire rentrer ses troupes à Babylone.

Mais un soldat s’avança portant la dernière hache qui restait. « Mon Général, si vous l’essayiez vous-même, peut-être auriez-vous plus de chance que nous ? »

Nébouzaradan saisit l’outil et, d’un pas mal assuré, se dirigea vers le mur. « Si je n’y réussis pas, pensait-il, nous partirons sur-le-champ. »

Tous les présents observaient en silence, tandis que Nébouzaradan, tenant fermement la hache des deux mains, levait les bras et prenait son élan. Il porta à la muraille un coup terrible. Il y eut un bruit sourd et, pendant un instant, il sembla que rien ne se fût passé. Puis, brusquement, une fissure apparut dans la pierre épaisse et prit vite les proportions d’une crevasse. En même temps, le mur commença à s’enfoncer dans le sol.

Il y eut une clameur de triomphe. La fameuse muraille de Jérusalem avait cédé.

La ville fut prise.

Triste événement pour notre peuple ! C’était le 17ème jour de Tamouz.