La réponse semble assez simple : La Torah fait elle-même référence à la sorcellerie pendant l’histoire de l’Exode, lorsque les magiciens de Pharaon reproduisirent les signes surnaturels de Moïse et plusieurs des plaies.1 Et un certain nombre de versets de la Torah interdisent la magie et la sorcellerie : « Une sorcière, tu ne la laisseras pas vivre »2 ; et « Qu’on ne trouve pas en ton sein... quelqu’un qui pratique des enchantements, qui s’adonne aux augures, à la divination des présages, un mage, un charmeur, un sorcier du pithom, un sorcier du yidoa ou un nécromancien. Car quiconque accomplit pareilles choses est une abomination pour l’Éternel... »3
Il semble bien que la Torah croie en la notion de magie et de sorcellerie, car autrement, elle n’aurait pas lieu de l’interdire.
De fait, la majorité des autorités de la Torah semblent être d’avis que la magie existe bel et bien.4 Maïmonide, cependant, semble être en désaccord. Examinons les fondements philosophiques qui sous-tendent cette divergence d’opinions.
Maïmonide sur la sorcellerie
Après avoir expliqué le châtiment de celui qui « accomplit » de la magie, Maïmonide poursuit en expliquant qu’en vérité, celle-ci ne rime à rien :
Toutes ces pratiques sont mensongères et trompeuses ; ce sont elles qui furent employées par les idolâtres d’antan pour tromper les peuples des divers pays et les entraîner à les suivre. Il ne convient pas aux juifs, qui sont des sages avisés, de suivre ces futilités, et d’imaginer qu’elles ont un quelconque intérêt [...] Qui a foi en de telles pratiques et s’imagine qu’elles sont vraies et empreintes de sagesse mais qu’elles ont été interdites par la Torah, n’est qu’un sot, déficient dans sa compréhension [...] Mais les sages et ceux dotés d’un esprit sain savent par des preuves formelles que toutes ces pratiques interdites par la Torah ne sont aucunement une forme de sagesse, mais néant et vanité, qui attirent les faibles d’esprit, lesquels abandonnent tous les chemins de vérité pour celles-ci. Aussi, lorsque la Torah mit en garde contre toutes ces vanités, elle dit : « Tu seras intègre avec l’Éternel ton D.ieu. »5 6
De l’avis de Maïmonide, la magie et la sorcellerie sont interdites précisément parce qu’elles ne sont rien d’autre que « néant et vanité ». Les occurrences de magie dans la Bible n’étaient que des tours et des illusions.7
La magie et l’unité de D.ieu
D’autres, en particulier Na’hmanide (Rabbi Moché ben Na’hman), sont de l’avis opposé, à savoir que la magie est interdite précisément parce qu’elle fonctionne :
Et maintenant, sachez et comprenez à propos de la magie que le Créateur (béni soit-Il) a tout créé à partir du néant et a fait des royaumes supérieurs les guides de ce qui est en dessous d’eux ; et Il a placé la puissance de la terre et tout ce qu’elle contient dans les étoiles et les constellations selon leur mouvement et leur direction, comme cela a été démontré dans la science de l’astrologie... Cependant, ce fut l’une de Ses grandes merveilles qu’Il a placé dans les royaumes supérieurs des manières et des forces alternatives par lesquelles on pourrait changer la gouvernance des royaumes en dessous d’eux... Mais c’est la gouvernance régulière des constellations que le Créateur (béni soit-Il) désire, qu’Il a originellement placée en elles, et [la magie] irait à l’encontre de cela. Tel est le secret de la magie et de son pouvoir, qui a fait dire aux rabbins concernant les pratiques magiques qu’elles « contredisent le Conseil d’En-haut » ; en d’autres termes, elles bouleversent les forces simples de la nature, ce qui, dans une certaine mesure, s’oppose aux royaumes supérieurs. Par conséquent, il est bon que la Torah les interdise afin que le monde soit laissé à son fonctionnement normal et à son état naturel, ce qui est le désir du Créateur...8
Selon Na’hmanide, parallèlement au monde physique et naturel, D.ieu créa des forces « spirituelles », ou une « couche spirituelle » à travers laquelle le monde naturel peut être manipulé. Cependant, tout ce qui est « spirituel » n’est pas nécessairement « divin » ou « saint ». Parfois, c’est tout le contraire. D.ieu a créé la nature avec ses lois, et c’est Sa volonté que le monde suive ces lois et fonctionne selon elles. Par conséquent, si l’on déstabilise le système de la nature en utilisant ce monde surnaturel, cela va à l’encontre de la volonté de D.ieu.
Une fois que l’on se rend compte qu’il existe une force spirituelle qui a un impact sur ce monde et que l’on commence à l’utiliser, il y a un risque de penser qu’il existe une force et une énergie distincte, indépendante de D.ieu, à travers lequel le monde puisse être manipulé. C’est de l’idolâtrie.
(La raison pour laquelle D.ieu a créé le monde de cette façon est expliquée en partie dans mon article Pourquoi y a-t-il tant d’étoiles et de galaxies ?)
Faire disparaître la magie et la sorcellerie
Ces deux points de vue diamétralement opposés sont tous deux acceptables.
Cependant, à la lumière des nombreux cas de sorcellerie et de magie discutés à la fois dans la Bible et le Talmud, et le fait que Maïmonide lui-même (s’appuyant sur le Talmud) semble distinguer entre ce qu’il appelle kishouf (« magie ») et a’hizat einayim (« illusion ») (pour le premier, on est passible de la peine de mort), beaucoup remettent fortement en question la compréhension répandue de la position de Maïmonide sur la magie.
Ils expliquent que, malgré ses propres déclarations du contraire, Maïmonide lui-même tenait que la magie peut fonctionner. Pourquoi alors a-t-il pris une position aussi forte préconisant le contraire ? Pour éloigner les gens de la pratique de la magie, soit parce que a) la magie vient des forces de l’impureté9, soit b) parce que la magie agit quand on y croit, lorsqu’on lui donne une existence dans son propre esprit. Cependant, en ce qui concerne le mauvais œil et d’autres choses de cette nature, le Talmud affirme que si l’on n’y croit pas et qu’on ne leur accorde pas d’existence, elles cessent alors effectivement d’exister. Par conséquent, en éloignant les gens de la croyance que la magie fonctionne, cela en soi fait qu’elle ne fonctionne pas.10
Mais indépendamment de ce que l’on pense de la magie, tous s’accordent à dire qu’elle n’est en aucune façon une contradiction à l’unité de D.ieu, et elle-même (si elle existe) est une création de D.ieu. Bien qu’aujourd’hui, il soit parfois difficile de reconnaître la véritable unité de D.ieu, tant dans le naturel que dans le spirituel, nous attendons le jour où Son unité sera proclamée par tous. Comme le dit le verset11 : « D.ieu sera roi sur toute la terre ; ce jour-là, D.ieu sera un, et Son nom sera un. »
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