Aujourd’hui, le monde entier commémore Yom HaShoah, la terrible catastrophe qui s’est abattue sur le peuple juif il y a à peine soixante-dix ans : le ‘Hourbane, la destruction des Juifs d’Europe par les nazis et leurs associés, puisse leur nom être effacé !
En fait, dans le judaïsme, ce concept n’existe pas. Nous ne fêtons pas par exemple le jour de la fête des Mères ou la fête des Pères, car chaque jour, nous devons respecter père et mère. Il en est de même pour la Shoah : nous nous en souvenons chaque jour. Et ce souvenir n’est pas un but en soi, mais il affecte notre perception de la vie : en tant que rescapés du peuple juif, nous devons maintenir le flambeau allumé, mener une vie de Torah et de Mitsvot pour le bien des âmes de tous ceux qui ont été assassinés de façon si horrible.
Je voudrais évoquer aujourd’hui la Shoah d’un point de vue personnel, car tant les parents de mon père que ceux de ma mère sont des rescapés.
Abnégation à Auschwitz
Mes deux grands-parents paternels furent déportés de Sosniewits vers le camp d’Auschwitz, à peine à 10 km de chez eux. Chacun de son côté vécu quantité de miracles qui lui permirent de survivre. Un jour, mon grand-père profita d’un incident : des déportés s’étaient jetés sur les barbelés pour se suicider et les nazis avaient alors débranché l’électricité pour enlever les cadavres. Il en profita pour s’échapper, mais il fut hélas repris.
Il m’avait raconté que, dans le camp, lui et d’autres Juifs avaient réussi à cuire quelques petits bouts de matsa ainsi qu’à allumer les bougies de ‘Hanoucca ! Comment, dans ces conditions effroyables, des êtres humains pouvaient-ils même penser à cela et, encore plus, se mettre en danger pour cela, sauvegarder des provisions ?... J’ai du mal à l’imaginer !
Retrouvailles miraculeuses et nouveau départ
Avant d’être déporté, mon grand-père avait convenu avec son épouse, ma grand-mère, que s’ils réussissaient à survivre, ils quitteraient définitivement ce pays maudit qu’était la Pologne et ils se retrouveraient à Paris, au nord de Paris, bien qu’ils ne s’y soient jamais rendus, ni l’un ni l’autre.
Sans le sou, vêtu encore de ses habits de déporté, mon grand-père allait ainsi de maison en maison pour trouver éventuellement un logement et un travail. Il ne comprenait pas le français, mais il percevait que les gens lui lançaient des insultes antisémites...
Un jour, alors qu’il demandait à encore une concierge s’il y avait un logement disponible, quelqu’un descendit pour chercher le courrier : c’était ma grand-mère ! Qui peut raconter ce genre de miracles sans verser des larmes, des larmes d’émotion, des larmes de joie, des larmes d’épuisement, mais aussi des larmes d’espoir en un avenir plus lumineux ?
Pendant longtemps, ils tinrent à rester dans cet appartement et ne le quittèrent qu’à regret. C’est dans cet appartement qu’ils élevèrent les deux enfants qu’ils mirent au monde par la suite. C’est des fenêtres de cet appartement qu’ils remarquèrent une fois une dame dans un appartement voisin qui allumait des bougies le vendredi soir, une dame qui leur conseilla de mettre leur fils – mon père – à l’école juive…
Cependant, prétendre que mes grands-parents ont survécu, c’est impossible. Mon père m’a raconté qu’il entendait son père se réveiller la nuit en hurlant à cause des cauchemars qui hantaient son sommeil : il avait perdu pratiquement toute sa famille dans les camps, à part une sœur et deux frères. Ils n’avaient même pas de tombes sur lesquelles se recueillir ni de dates de décès pour observer des yahrtseit, car il n’y avait pas de dates et de calendrier dans les camps. Les gens mourraient par milliers, qui se souciait de l’identité d’un Juif ?...
La vraie victoire
J’étais très attaché à mon grand-père. Nous allions chez nos grands-parents le dimanche. Sur les murs de l’appartement, il y avait des canevas cousus par mon grand-père qui représentaient des scènes de la vie du shtetl, le village polonais typique, avec des rabbins en train de prier, d’étudier et de discuter alors que des poules caquetaient dans les demeures pauvres, mais propres. Lui-même n’était pas très pratiquant, mais il éprouvait un très fort sentiment de fierté d’être juif. Il nous montrait le numéro tatoué sur son bras gauche, mais nous ne comprenions pas ce que cela signifiait…
Je me souviens qu’au moment de la Brit Mila de mon petit frère Isser, après le repas, il m’avait pris sur ses genoux et m’avait dit : « Tu vas bientôt devenir Bar Mitsva – j’avais alors environ dix ans – et je vais te raconter ce qui va se passer. Moi, je serai déjà dans le monde futur, mais j’appellerai tous mes amis pour trinquer et dire Le’haïm et je demanderai aussi à Éliahou Hanavi, au prophète Élie, de venir. Il me demandera la raison de cette Sim’ha. Et je répondrai avec fierté que c’est la Bar Mitsva de mon petit-fils Chmouël, la meilleure revanche sur les nazis ! »
Voilà ce que m’a légué mon grand-père paternel, David Lubecki, de mémoire bénie. Une fierté d’être juif, la nécessité de se souvenir que nous sommes juifs et que nous avons la responsabilité d’assumer et de continuer cet héritage, de nous renforcer dans le judaïsme. C’est cela notre véritable victoire sur le nazisme : le peuple juif vit !
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