Il ne fait aucun doute que la plus grande menace que le monde civilisé affronte aujourd’hui est la combinaison de l’extrémisme, du terrorisme et des armes de destruction massive. Cette combinaison mortelle pourrait un jour, si on lui en donne la possibilité, couter la vie à des millions d’être humains, à D.ieu ne plaise.

Peut-être que ce qu’il y a de plus effrayant à propos de cette menace est qu’il ne s’agit pas d’un rapport de force entre deux armées, ni d’une lutte entre idéologies rivales. C’est un combat entre deux types de force : l’une qui se nourrit de l’ordre, et une autre qui prospère dans le chaos. L’ordre peut-il vaincre le chaos ? La modération peut-elle vaincre l’extrémisme ?

Ce combat n’est toutefois pas quelque chose de nouveau. Il a ses origines dans la Bible.

Jacob est de loin la personnalité la plus fascinante et complexe dans le livre de la Genèse. D’abord, nous faisons connaissance avec « Jacob l’érudit », une personne tranquille et timide qui passe ses journées dans sa tente immergée dans l’étude. Peu de temps après, cependant, la Torah nous présente « Jacob le tacticien » qui amène son frère jumeau Ésaü à se séparer de son droit d’aînesse en échange d’un potage de lentilles, puis reçoit de son vieux père des bénédictions à l’origine destinées à Ésaü. Alors qu’il fuit la colère de son frère, nous rencontrons « Jacob le prophète » qui a une vision d’anges montant et descendant une échelle, et qui tient une conversation avec D.ieu. En arrivant à Haran où il trouve refuge chez son oncle Laban, nous découvrons « Jacob le romantique » qui tombe amoureux de sa cousine Rachel et est prêt à travailler sept ans pour son oncle en échange de sa main. « Jacob l’éleveur » connaît un succès phénoménal dans l’accroissement du cheptel de Laban, et « Jacob l’entrepreneur » se montre plus habile que son malhonnête oncle en amassant une petite fortune. De retour de Haran, « Jacob le guerrier » se prépare lui-même ainsi que sa famille pour le combat contre Ésaü.

En un mot, Jacob est clairement le plus polyvalent des trois Patriarches. Voilà pourquoi, se basant sur le saint Zohar, les maîtres ‘hassidiques assignent à Jacob l’attribut divin de tiféret (beauté, harmonie). Abraham personnifia l’attribut de ‘hessed (bonté), Isaac, celui de guevoura (sévérité), et Jacob, tiféret. Dans le système kabbalistique des attributs divins (les Séfirot), tiféret agit comme médiateur entre le ‘hessed à droite et la guevoura à gauche.

Un médiateur doit être en mesure de comprendre le point de vue de chacune des parties et d’en saisir la légitimité afin de trouver leur dénominateur commun. Le ‘hessed est amour effréné. La guevoura est discipline et restriction. En tant que médiateur dynamique entre ces deux extrêmes, tiféret peut être restrictive en cas de besoin, mais aimante et agréable à d’autres moments. Cela se manifeste dans la personnalité et la vie de Jacob : il était dynamique et flexible, l’antithèse de l’extrémisme.

L’antagoniste de Jacob était son frère Ésaü. La vie d’Ésaü était caractérisée par le chaos, toute de rébellion et de meurtre. Il était un « homme de terrain », un chasseur. Il rejeta son droit d’aînesse, et prit des femmes que ses parents désapprouvaient profondément. Il partit avec quatre cents hommes de main attaquer son frère Jacob. Ésaü fut finalement tué par son petit-neveu, alors qu’il se disputait avec les fils de Jacob lors des funérailles de celui-ci. Tout ceci évoque un homme extrême par nature.

Le grand kabbaliste du 16ème siècle Rabbi Isaac Louria (« Ari ») expliqua que la source spirituelle d’Ésaü était le monde primordial de tohou, le monde du chaos. Ce monde contient une énergie spirituelle trop puissante pour être canalisée de manière productive. Ne pouvant être appliquée à un but pratique et constructif, cette puissance extrême ne peut que détruire. C’est ce qu’Ésaü était : un homme incapable de s’appliquer à la réalisation de quelque chose ayant un effet positif à long terme. Il était seulement capable de détruire.

La source spirituelle de Jacob vient du monde de tikoun, le monde de l’ordre. Tikoun est un monde dans lequel l’énergie se fond avec le « réceptacle » qui la contient, de sorte qu’ils puissent ensemble être positivement productifs. Dans le monde de tikoun, Jacob incarna tiféret. Ainsi, le dynamisme de Jacob lui permit de mener une vie digne et productive.

On comprend désormais pourquoi Jacob fut chaque fois en mesure de triompher d’Ésaü. Jacob affronta l’intensité et l’extrémisme d’Ésaü avec de la clarté, du calme et de la raison. Il répliqua à la personnalité impulsive, destructrice, chaotique, antagoniste et vengeresse d’Ésaü avec de la prudence, de la modération, du réalisme et un désir de paix. Il fut victorieux parce que les puissances extrêmes et destructrices finissent par être défaites par des énergies sereines, constructives, dynamiques et tolérantes.

Dans notre siècle, nous assistons à la bataille entre le pouvoir d’Ésaü et le pouvoir de Jacob. Ésaü est représenté par les éléments extrémistes qui voudraient détruire la civilisation telle que nous la connaissons ; par ceux qui prospèrent dans des situations chaotiques, dans lesquelles il n’y a pas de comptes à rendre.

Jacob, d’un autre côté, est représenté par les citoyens tolérants et épris de paix, et par les nations du monde qui chérissent l’ordre, la justice et une société civilisée.

Certes, nous devons mener une guerre contre les extrémistes. Cependant, c’est seulement en maintenant une sensibilité et une philosophie ordonnées, tolérantes, constructives, dynamiques et pacifiques que l’extrémisme, et son corollaire, le terrorisme, seront vaincus.