Je suis un peu perplexe. Nous nous apprêtons à célébrer Chavouot que nous appelons « le Temps du Don de la Torah ». Mais n’avons-nous pas une autre fête qui célèbre la Torah ? Sim’hat Torah, n’est-ce pas ? Pourquoi célébrons-nous la Torah à deux reprises ? Pourquoi avons-nous deux fêtes pour commémorer la même chose ?

La réponse est qu’à Sim’hat Torah nous concluons notre lecture annuelle de la Torah. Nous achevons le Livre du Deutéronome et commençons immédiatement la lecture du Livre de la Genèse. Nous avons des motifs de nous réjouir des réalisations de l’année écoulée, alors nous faisons la fête.

Et de quelle façon célébrons-nous alors ? En dansant avec la Torah. Le rouleau de la Torah est-il sur la bimah (la table de lecture) ? Non, il est dans les allées. Est-il ouvert ? Non, il est fermé et couvert. Pourquoi ? Parce que Sim’hat Torah nous rappelle que, même si un Juif n’a pas ouvert la Torah toute l’année, à Dieu ne plaise, il a encore une place spirituelle dans la Torah. Même si, pour lui, la Torah est demeurée un livre fermé, chaque Juif a malgré tout une connexion profonde et innée à la Torah. Comme nous le lisons à Sim’hat Torah : « La Torah que Moïse nous a commandée est le patrimoine de toute la Congrégation de Jacob. » Chaque Juif, la congrégation tout entière, possède une relation intrinsèque avec la Torah. La Torah n’est pas l’apanage de l’élite intellectuelle. Qu’ils soient des savants ou de simples gens, des lettrés ou des ignorants, la Torah appartient à tous les Juifs et à chaque Juif.

Pourtant, vient un moment où il fut ouvrir le livre ! Nous ne dansons pas avec la Torah enveloppée dans son manteau toute l’année. Ça, c’est pour Sim’hat Torah. Mais nous devons également l’ouvrir et lire, étudier, questionner, apprendre notre héritage et nous familiariser avec lui. Nous devons apprendre à connaître la Torah de l’intérieur, à la comprendre aussi comme un texte.

Ce moment, c’est chaque jour. Mais l’anniversaire du Don de la Torah est à Chavouot. C’est en ce jour que nous célébrons la Torah comme un livre de sagesse, comme un code moral, comme une éthique et une lumière qui guide notre vie. Chavouot nous rappelle que la Torah n’est pas uniquement un précieux objet ornemental servant lors des danses de Sim’hat Torah, mais la source de toute notre sagesse, de toute notre connaissance et de toute notre compréhension de la vie et de la manière dont nous voulons vivre.

J’étais présent il y a quelques années à une fête d’inauguration d’un nouveau rouleau de la Torah dans une communauté voisine. Le conférencier invité était le Rav Volpo de Rishon LeTzion en Israël. Permettez-moi de partager avec vous une analogie très pertinente qu’il a utilisée dans son discours. Il a raconté une histoire.

Il y avait deux sœurs. L’une avait épousé un homme riche, le mari de la seconde était pauvre. Pourtant, c’est paradoxalement la sœur riche qui était malheureuse. Sa sœur ne comprenait pas qu’elle soit si triste. « Il subvient grassement à tes besoins. Il t’achète de beaux vêtements et des bijoux coûteux. Regarde tes diamants ! Pourquoi es-tu si triste ? »

La sœur riche répondit : « En fait, je suis jalouse de toi, ma sœur. Toi et ton mari avez une merveilleuse relation d’amour. Oui, mon mari m’achète des choses chères. Il est vrai qu’il dépense beaucoup d’argent pour moi. Mais ton mari passe du temps avec toi et le mien me laisse seule. »

Ainsi, même s’il est vrai que nous parons nos rouleaux de la Torah d’exquis manteaux de velours, de couronnes, de plastrons, de clochettes et de pointeurs d’argent précieux, tous ces coûteux ornements ne peuvent se comparer au fait de passer du temps avec la Torah. Et la Torah est malheureuse et pleure : « Merci pour l’argent, merci pour les parures, mais ce que je veux vraiment, c’est toi ! Je veux ton temps, ton esprit. Je te veux toi. »

C’est certainement l’une des tristes ironies de la vie juive contemporaine que cette génération si instruite soit si ignorante de son propre patrimoine. Comment se peut-il que, bien que nous ayons produit les personnes les plus prospères dans tous les métiers, dans le commerce, des titans de l’industrie, la connaissance de notre inestimable sagesse juive soit à son niveau le plus bas de l’histoire ? Comment se fait-il que nos plus brillants hommes et femmes de lois n’aient jamais lu une page du Talmud ? Pourquoi nos gamins les plus geeks ne savent-ils pas dans quel sens tenir un livre de prières ? Pourquoi de grands professeurs d’université se contentent-ils d’un niveau d’éducation juive digne d’un enfant de 12 ans, et pourquoi des adultes, par ailleurs intelligents et matures, se satisfont-ils de connaissances judaïques apprises à l’école maternelle ?

Chavouot nous rappelle qu’il nous faut ouvrir le livre et passer du temps agréable et enrichissant avec la Torah.

Concrètement, c’est le moment de se fixer un temps régulier d’étude de la Torah. Dans chaque communauté il y a une grande variété de choix. Quel que soit le point où nous en sommes dans notre éducation juive, celle-ci doit être en progrès. Nous devons avoirs des moments fixes pour apprendre la Torah et ces moments doivent être non négociables.

Et parce que c’est le Temps du Don de la Torah, nous sommes assurés que la Torah nous sera effectivement donnée de nouveau, pour peu que nous fassions l’effort sincère de l’acquérir. Espérons que ce Chavouot sera pour nous non seulement le Temps du Don de la Torah – ce qui est le travail de D.ieu, mais également le Temps de la Réception de la Torah, ce qui est notre travail.