Mon petit-fils Mendel, élève de CM1, devait annoncer à sa classe un projet scolaire intitulé « Pères et Fils ». Alors qu’il s’apprêtait à prendre la parole, son maître lui demanda : « As-tu pensé à Donny ? Le père de Donny est décédé l’année dernière. »

– Devrais-je appeler cela un projet « Adultes et Élèves » ?, demanda-t-il.

– Pense à ce qui paraîtra naturel, fut la réponse.

Mendel annonça ainsi à sa classe « un projet scolaire spécial dans lequel vous pourrez avoir un adulte comme partenaire ».

« J’ai apprécié qu’il ait réfléchi en faisant preuve de sensibilité », me confia son maître plus tard.

J’ai alors pris conscience que cette approche sensible pouvait et devait être enseignée aux enfants.

L’idée que les enfants ont besoin d’apprendre à réfléchir plutôt que d’apprendre des contenus n’est pas un concept nouveau. Nous envoyons nos enfants à l’école pour apprendre, mais pour apprendre quoi au juste ? Il est clair que nous espérons qu’ils n’apprendront pas seulement des tas de choses sur des tas de sujets, mais aussi que, ce faisant, ils développeront des capacités. De fait, la somme de connaissances qu’il est nécessaire d’assimiler pour fonctionner correctement est immense et ne cesse de croître.

De plus en plus de pédagogues préconisent un enseignement plus axé sur l’acquisition de capacités cognitives que sur des contenus. Plutôt que d’ingurgiter des informations, affirment-ils, les élèves doivent apprendre à être des « penseurs méthodiques ». Nous devrions apprendre aux enfants à se construire une culture générale dans un domaine particulier, puis les aider à développer les facultés de réflexion qui leur permettront d’élargir et d’approfondir eux-mêmes cette base.

Lorsque je lis tout ce qui s’écrit sur cet « apprentissage à penser », je me demande : qu’en est-il des fondements moraux et éthiques de nos modes de pensée ? Qu’en est-il du genre de réflexion qui était attendu de Mendel ? Il semble y avoir une absence d’intérêt sur ce qui, à mon sens, constitue l’aspect le plus fondamental du processus éducatif : qu’il nous incombe d’apprendre à l’enfant à devenir un « mensch » (un être humain digne de ce nom). Je n’entends pas assez parler de la nécessité d’enseigner aux enfants à réfléchir et à être sensible à ce qui est correct, décent, juste et bien.

J’ai récemment lu dans un magazine de renom une série d’articles sur les « facultés cognitives » et j’ai réalisé qu’un élément primordial était absent du débat. En lisant quelques articles écrits par d’éminents pédagogues, il m’est apparu que l’argumentation était centrée sur la nécessité d’aider nos enfants à passer du « quoi ? » au « comment ? » pour finalement arriver au « pourquoi ? ». Il manque la réponse au « par conséquent... » existentiel : la relation entre tout ce qui précède et la façon dont la personnalité de l’enfant se développera.

Je pense que nous serons tous d’accord de dire que nous envoyons nos enfants à l’école pour qu’ils y acquièrent les outils qui les rendront capables de vivre de façon confortable dans leur monde. Nous voulons qu’ils apprennent à subvenir à leurs besoins par un travail convenable. Nous voulons aussi qu’ils sachent apprécier les bonnes choses de la vie. Bref, nous voulons qu’ils acquièrent les aptitudes qui leur permettront de gagner leur vie et de vivre dans l’aisance. Et nous voulons qu’ils apprennent à faire des choix intelligents afin de réaliser tout cela.

Apprendront-ils à la fois à gagner leur vie et à vivre moralement ?

Nous ne serons peut-être pas tous d’accord sur le sens de l’existence ou sur la définition des « bonnes choses » de la vie. Mais, même avec des philosophies différentes, nous sommes certainement tous d’accord que nous voulons que nos enfants apprennent à mener une vie honnête, éthique et morale.

Quel volet de l’éducation est-il censé apprendre aux enfants non seulement comment gagner leur vie, mais aussi comment la vivre ? À qui incombe la responsabilité de cet apprentissage, à l’école ou aux parents ? Il serait logique de présumer que ce sujet est au cœur du programme des écoles religieuses. Je pense toutefois que cela doit aller beaucoup plus loin que d’apprendre la différence entre le bien et le mal. Cela exige une approche éducative méthodique et structurée visant à promouvoir chez les enfants une réflexion éthique et altruiste.

Il n’est pas suffisant que, dans une école juive par exemple, on évoque un récit de la Torah et qu’on le compare au contexte actuel, ou qu’on enseigne la Halakha (la loi juive) sur un sujet donné, sans aborder le raisonnement qui les sous-tendent. Sans cela, les enfants trouveront toujours un moyen de justifier leur propre comportement ou, pire, ils pourraient apprendre à contourner la loi et à démontrer son inadaptation au contexte présent. Nous devons anticiper cela et enseigner à nos enfants à penser en termes de comportements éthiques et moraux.

Il semble que la responsabilité d’aider un enfant à développer ses propres repères moraux incombe conjointement à l’école, aux parents et à la société, c’est-à-dire que la façon dont l’enfant apprendra à se comporter repose sur le cumul de ses expériences. La plupart des écrits sur le développement du comportement moral et éthique s’accordent sur le fait que, sans une orientation active et positive, l’enfant risque de complètement échouer. Pour qu’un enfant apprenne à vivre de façon honnête et droite, il doit apprendre à réfléchir à ce qui est correct et à ce qui ne l’est pas et sur la manière de faire des choix comportementaux judicieux et assumés. C’est là le plus important outil de réflexion qu’il nous faille transmettre à nos enfants.

Le développement chez l’enfant d’un comportement moral et éthique commence par l’imposition de règles par une figure d’autorité et aboutit à la prise de conscience du besoin d’avoir ses propres normes de comportement, basées sur des principes universellement reconnus. Quand nos enfants sont petits, nous leur fixons des normes de comportement acceptables. Nous leur apprenons à respecter la propriété d’autrui, à prendre leurs sentiments en considération et à traiter tout le monde équitablement. Robert Fulghum a écrit un best-seller intitulé « J’ai tout appris quand j’étais petit » et il a gagné beaucoup d’argent en nous disant des choses évidentes.

Quand les enfants grandissent et que c’est désormais vers leurs semblables qu’ils se tournent en quête d’approbation, il devient vain de tenter de leur imposer une conduite. Ils ressentent alors plus le besoin d’être acceptés par leurs amis que par une figure d’autorité. Ils ont besoin d’acquérir en amont les outils qui leur permettront de faire les bons choix comportementaux à ce moment. Nous devons activement aider nos enfants à développer la sensibilité et les capacités qui les conduiront à raisonner en fonction de leurs valeurs morales. Si nous leur avons appris à évaluer leur comportement en fonction d’un référentiel moral supérieur et à réfléchir par eux-mêmes, nous pouvons espérer qu’ils agiront correctement. Si nous pensons que cet apprentissage se fera tout seul, nous risquons d’être déçus.

Le défi qui s’offre à nous en tant qu’éducateurs est bien sûr de mettre cela en œuvre de manière efficace.