L’un des sages les plus éminents de Babylonie, Mar Oukva, qui vécut au temps de Chmouel de Néhardéa, était un homme fort riche. Sa remarquable érudition n’avait d’égale que son extraordinaire générosité. Qualité qu’avait aussi à un haut degré son épouse.
Mar Oukva et sa femme savaient que la forme la plus noble de la tsédaka (charité) était de venir en aide aux pauvres et aux besogneux de telle manière que ceux-ci ne pussent savoir à qui ils le devaient. C’était là accomplir la tsédaka pour elle-même et dans un total désintéressement.
Ils en usèrent ainsi pendant quelque temps à l’égard d’un de leurs voisins. Ils avaient l’habitude de glisser chaque jour quelques zouzim sous sa porte puis de s’éclipser sans bruit.
Un jour, le voisin, rendu curieux, voulut savoir qui était celui qui lui venait en aide avec tant de constance et de discrétion. Il guetta en silence de l’intérieur de sa maison et quand il perçut les pas furtifs et vit les pièces glissées sans bruit sous la porte, il ouvrit brusquement celle-ci. Il eut juste le temps d’apercevoir un homme de dos qui s’éloignait en hâtant le pas. Le voisin suivit Mar Oukva qui, soucieux de lui échapper, n’eut d’autre choix que de se cacher dans un grand four public qu’on venait d’éteindre. Il s’y brûla la plante des pieds, mais il était heureux de n’avoir pas été identifié. Il épargnait ainsi au voisin l’embarras qu’il n’aurait pas manqué d’éprouver chaque fois qu’il aurait rencontré son bienfaiteur.
Huit cents zouzim
Le même Mar Oukva avait l’habitude d’aider un autre pauvre dans le voisinage. Il lui envoyait quatre cents zouzim chaque année, la veille de Yom-Kippour. Une fois, il fit porter la somme par son fils. Peu après, ce dernier revint avec l’argent en affirmant que l’homme n’était plus dans le besoin. « Et qu’as-tu vu qui t’ait fait penser cela ? », demanda Mar Oukva. « J’ai vu pulvériser dans sa maison, pour la parfumer, du vin vieux, odorant et coûteux », répondit le fils. « Ah ! Il est donc si gâté, fit Mar Oukva. Dans ce cas, il n’y a pas de doute, les quatre cents zouzim ne suffirons plus à ses besoins ! » Ceci dit, il doubla la somme et dit à son fils de la porter au voisin.
La provision est maigre
Quand Mar Oukva sentit que l’heure avait sonné pour lui de quitter ce monde, il demanda à voir la liste des actes de tsédaka qu’il avait accomplis tout au long de sa vie. Il en avait tenu un compte précis. Le total des sommes distribuées était considérable. Mais Mar Oukva ne fut pas satisfait. « Je vais entreprendre un long voyage, dit-il, la provision me paraît plutôt maigre. » Et il décida aussitôt de léguer la moitié de sa fortune pour les œuvres de tsédaka.
Certains rabbins se demandèrent s’il avait eu tout à fait raison d’agir de cette manière. En effet, la règle fixée à Oucha (siège de la Cour Suprême de Justice) stipulait qu’un homme, quelque généreux qu’il fût, ne pourrait faire don de plus d’un cinquième de sa fortune. Mais cette règle s’appliquait à celui qui se trouvait dans des circonstances normales, et non à l’homme qui était sur le point de se présenter devant son Créateur, ou qui avait le désir de se racheter. Dans ce cas, il n’y avait aucune limite aux dons destinés à un but charitable.
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