Rav Shlammé : Je suis né en 1929, à Saverne, en Alsace. Il n’y avait pas d’école juive à Saverne quand j’étais petit, et mon grand-père, qui était le grand rabbin de la ville, m’enseignait lui-même quand je rentrais de l’école.

Pendant la guerre, nous avons fui en Suisse où j’ai étudié à la yéchiva du Rav Botschko, et après la guerre, je suis allé en Angleterre, où j’ai étudié à la yéchiva de Gateshead pendant quatre ans. J’ai été ordonné rabbin et suis parti travailler à Mulhouse, en Alsace également.

Rabbanite Shlammé : Je suis née en 1933 à Paris, et j’ai été aussi instruite à Gateshead. J’ai épousé mon mari en 1953 et suis partie avec lui en Alsace où nous sommes restés plusieurs années.

Puis mon mari a rencontré le Rav Binyamin Gorodetsky qui, à l’époque, était l’émissaire du Rabbi en Europe. Rav Gorodetsky dit qu’il cherchait quelqu’un pour édifier un séminaire de jeunes filles près de Paris, et il demanda à mon mari s’il était intéressé.

Mon mari répondit affirmativement, et après avoir reçu l’approbation du Rabbi, nous avons établi Beth Rivka à Yerres – un séminaire sous les auspices du mouvement ‘Habad-Loubavitch, bien que nous n’étions pas Loubavitch nous-mêmes. Et nous y sommes restés 22 ans, de 1958 à 1980.

Rav Shlammé : Toute l’époque où nous dirigions l’école, j’ai reçu de nombreuses lettres de directives de la part du Rabbi, mais il y en a deux que j’ai trouvé particulièrement intéressantes.

L’une, datée de 1963, s’adresse aux étudiantes de l’école. Le Rabbi l’écrivit le jour de l’anniversaire de Moïse, Moché Rabbénou, et dans cette lettre il dit aux filles qu’elles doivent réfléchir sur le fait que la mère et la sœur de Moïse furent ses éducatrices, et qu’elles jouèrent ainsi un rôle important dans la libération des Juifs de l’esclavage en Égypte. Elles eurent le courage de désobéir au décret de Pharaon et non seulement permirent aux garçons nouveau-nés de survivre, mais elles leur apprirent également à mener une vie juive. Et, écrit le Rabbi, cette même tâche appartient aux filles juives aujourd’hui – éduquer les enfants, les préparer à la venue du Machia'h, et leur montrer comment mener une vie de Torah.

La deuxième lettre, écrite neuf ans plus tard, m’est adressée à moi, mais a également trait aux filles. Le Rabbi mentionne que, pendant les vacances de Soukkot, des élèves de notre école étaient venues visiter le quartier général de ‘Habad à Brooklyn et avaient fait une très bonne impression – leur comportement était exemplaire et leur habillement était convenable et modeste. Il semble que les filles lui avaient demandé de pouvoir porter des jupes plus courtes – à cette époque, les vêtements plus courts étaient populaires – et il écrit que, selon la Halakha, toutes les filles juives, partout où elles vont, doivent s’assurer que leurs genoux soient bien couverts, qu’elles soient debout ou assises. Il poursuit en disant qu’il y a des endroits dans le monde où les femmes portent des vêtements encore plus longs, et lorsque l’on se rend en un tel endroit, la loi juive nous fait devoir – ce n’est pas seulement une rigueur personnelle que l’on s’impose volontairement – d’être habillées d’une manière qui apparaîtra décente à tous.

C’est ce qu’il a dit, et cette lettre fut copiée et citée par la plupart des étudiantes qui devinrent par la suite des professeurs, dans les très nombreux pays où elles se sont installées.

Rabbanite Shlammé : En 1968, nous avons rendu pour la première fois visite au Rabbi en Amérique, et après cela, nous nous sommes efforcés de venir le voir tous les deux ans. La dernière fois que nous sommes venus était en 1979, à Soukkot, un an avant que nous quittions l’école.

Pendant Soukkot, le Rabbi ne recevait officiellement pas les visiteurs dans son bureau, mais il nous invita à y entrer et demanda à quelqu’un de nous apporter des chaises. C’était une visite assez personnelle : il s’est enquis de nos enfants, et il connaissait exactement leur ordre de naissance. Je pense que le Rabbi avait compris que certaines personnes étaient opposées à ce que nous dirigions le séminaire parce que nous n’étions pas Loubavitch, et il avait voulu nous reconnaître publiquement et montrer à tous que nous étions acceptés.

À une autre occasion, il me demanda un service. Il demanda si, pendant mon séjour en Amérique du Nord, je pouvais passer à Montréal et pour y parler aux femmes françaises. Je l’ai fait, et j’ai écrit un compte-rendu, comme il l’avait demandé, et j’ai aussi consigné dans ce rapport les détails de mon vol de retour.

J’étais à l’aéroport Kennedy, en attendant mon vol de retour à Paris, quand j’ai entendu que le vol était retardé. Une vingtaine de minutes plus tard, mon nom fut appelé. Lorsque je me suis rendu au comptoir, on m’a dit que j’avais un appel téléphonique. C’était le Rav Binyamin Klein, le secrétaire du Rabbi.

Le Rav Klein dit que le Rabbi avait reçu mon compte-rendu et lui avait demandé de m’appeler à l’endroit où je logeais. Mais lorsqu’il avait appelé, j’étais déjà sur le chemin de l’aéroport. Alors le Rabbi lui a dit de m’appeler ici. Quand le Rav Klein dit au Rabbi qu’il était trop tard, car l’avion avait déjà décollé, le Rabbi dit : « Non, appelez. »

Qu’y avait-il de tellement important ? Le Rav Klein me dit que le Rabbi voulait me remercier pour mon compte-rendu et me souhaiter un bon voyage et beaucoup de succès dans la vie.

Lorsque j’ai raccroché, ils ont annoncé que le vol était prêt à partir et, bien que je leur aie demandé, je n’ai jamais pu savoir ce qui avait causé ce retard. Mais j’ai été très émue par la bienveillance du Rabbi et par son message pour moi.

Le Rav ‘Haïm Yaakov et la Rabbanite Danielle Shlammé ont dirigé le séminaire Beth Rivka à Yerres pendant 22 ans. Ils ont été interviewés par JEM dans leur maison à Jérusalem en mai 2006.