En 1941, le mouvement ‘Habad a ouvert une yéchiva pour jeunes garçons à son siège au 770 Eastern Parkway à Brooklyn. En ces années-là, Crown Heights était une communauté juive très riche. Il y avait environ une douzaine d’étudiants à l’époque, parmi lesquels mon frère Leibel et moi-même. J’avais treize ans et je raconte cette histoire du point de vue du jeune garçon que j’étais.
À cette époque, ceux qui priaient au 770 à Roch Hachana avaient coutume de marcher jusqu’aux jardins botaniques au-delà d’Eastern Parkway pour faire tachlikh – une prière spéciale des Fêtes Solennelles – près de l’étang qui s’y trouve. Tout le monde – la communauté au grand complet – marchait dans la rue. Combien de personnes il y avait, je ne peux vous le dire, car à treize ans, on ne sait pas estimer la foule. Mais il avait beaucoup de gens.
« Ce n’est pas la bonne façon de marcher. Vous devez chanter en marchant. »Le Rabbi précédent, Rabbi Yossef Its’hak, était le Rabbi à l’époque. Le Rabbi était connu alors comme étant « le gendre du Rabbi, le Ramash » (acronyme de son nom).
Cette année, quand nous nous sommes mis en chemin, le Ramash nous a arrêtés en disant : « Attendez, ce n’est pas la bonne façon de marcher. Vous devriez aller dans la rue deux par deux, et vous devriez chanter. » C’était du jamais vu : chanter dans la rue. Personne ne chante dans la rue !
J’étais très timide et effacé, et l’idée de marcher dans la rue en attirant l’attention sur moi-même me terrifiait. Je tremblais rien que d’y penser. Tous les gens dans les maisons devant lesquelles nous passions nous regardaient de leurs fenêtres. J’avais l’impression que leurs regards étaient braqués sur moi et qu’ils souriaient en me voyant. Je me sentais très mal et je priais D.ieu – comme un garçon de treize ans prie à Dieu – de me sortir de là.
D.ieu n’a pas répondu à ma prière cette année-là, mais, l’année suivante, alors que tout le monde était rassemblé avant de se mettre en marche, Reb Shmouel Levitin, un vieux hassid, me dit : « Zalman, je ne peux pas tenir le rythme avec ces gens. Ils marchent trop vite pour moi. Mais je ne veux pas marcher seul. Veux-tu marcher avec moi ? »
Alors que nous marchions, un homme s’est approché de nous. Il m’a saisi le bras et m’a demandé : « Pourquoi chantent-ils ? Pourquoi chantent-ils ? »J’ai dit à D.ieu : « Tu as entendu ma prière, Tu m’as répondu ! » Je n’avais pas à marcher et à chanter pendant que des gens me regardent.
Je marchais avec Reb Shmouel et quelques autres traînards et nous sommes arrivés à l’étang et avons fait tachlikh. Le grand groupe avait déjà terminé et revenait par Union Street, toujours en chantant. Nous les suivions à distance. Alors que nous marchions, un homme s’est approché de nous. Il était très bien habillé en tenue de fête – un costume noir et une chemise blanche –, mais il ne portait pas de kippa ou de chapeau, donc il n’était à l’évidence pas très religieux. Cet homme m’a saisi le bras et m’a demandé : « Pourquoi chantent-ils ? Pourquoi chantent-ils ? » J’ai balbutié une réponse et il m’a alors dit : « Vous savez quoi ? J’ai une étincelle dans mon âme et quand j’ai entendu ces gens chanter en marchant dans la rue parce qu’ils sont fiers d’être juifs, cette étincelle vient de s’embraser ! » Ayant dit cela, il partit.
J’étais assez grand pour comprendre que ce type avait vraiment été touché par la foule qui chantait. Cela l’avait inspiré. Quel que soit ce que son rabbin avait dit dans son sermon de Rosh Hachana, cela ne l’avait pas touché, son étincelle n’avait pas été affectée. Mais quand il avait entendu les gens chanter, comme pour dire « Hourra, je suis un Juif ! », cela l’avait réveillé.
Et j’ai réalisé plus tard que le gendre du Rabbi – qui devint plus tard notre Rabbi – savait ce qu’il faisait quand il nous avait dit de chanter en marchant. Il avait su voir quelque chose que nous n’avions pas réalisé de nous-mêmes : que lorsque des Juifs marchent dans la rue en chantant, ceux qui ont une sensibilité en seront touchés, peut-être même sans s’en rendre compte.
C’est alors seulement que j’ai compris à quel point cela valait la peine, tous ces chants et cette marche en deux rangées, de sorte que le cœur de quelqu’un s’ouvre, et que ce quelqu’un soit capable de dire : « Hourra, je suis un Juif ! »
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