Chimchone-Élie se rappelait son grand-oncle Yé’hiel-Moïse. Quel naturel noble et bon ! Sa générosité ne connaissait pas de bornes !
Chimchone-Élie savait peu de choses de l’histoire du vieil homme, si ce n’est ce que sa propre mère lui en avait dit. Son grand-oncle ne parlait jamais de son passé.
Le père du vieil homme était un homme très riche qui le maria à la fille d’un de ses amis, également riche. Le père et le beau-père de son grand-oncle avaient chacun leur Beth-Hamidrache où ils hébergeaient un groupe d’étudiants qui se consacraient entièrement à l’étude de la Torah. Eux-mêmes passaient la plus grande partie de leur temps de cette façon.
Quand le père de Yé’hiel-Moïse mourut à Prague, il laissa des revenus considérables à son fils, mais légua la plus grande partie de sa fortune à des œuvres charitables.
Yé’hiel-Moïse n’avait pas de soucis matériels et il vécut heureusement avec sa femme aimante pendant trente-cinq ans, bien qu’ils n’aient pas d’enfants.
Après la mort de sa femme, il vendit sa maison, en donna le prix aux bonnes œuvres et alla vivre avec les parents de Chimchone-Élie. Tout d'abord, ils habitèrent Cracovie et plus tard Vitebsk.
Chimchone-Élie se rappelait la façon dont son grand-oncle envoyait ses messagers dans toutes les villes et bourgades d’alentour pour rechercher les orphelins, les veuves, les étudiants dans le besoin, ou, en fait, tous ceux qui étaient dans une mauvaise passe et pouvaient accueillir avec joie une aide financière.
Non seulement il passait beaucoup de temps à étudier la Torah, mais il menait un chiour qu’il centrait surtout sur les enseignements du MaHaRaL de Prague. L’un des préceptes que Yé’hiel-Moïse essayait toujours d’inculquer à ses auditeurs était qu’ils devraient apprendre le cantique de Haazinou et le réciter tous les jours, même plusieurs fois par jour. C’était si « édifiant » que cela élèverait tous ceux qui le réciteraient sincèrement : les commerçants avant de traiter d’affaires, les artisans avant d’entreprendre leur tâche, et les étudiants avant de se mettre à étudier. Il disait que c’était un « purificateur de l’âme » et que tous devraient l’apprendre par cœur.
Chimchone-Élie était très influencé par son grand-oncle vénéré qu’il admirait tellement, car il le considérait comme parfait à tous points de vue.
Il se rappelait une conversation qu’il avait eue avec lui alors qu’il était encore tout jeune enfant. C’était au sujet du vieux Pin’has.
À cette époque, Pin’has avait dans les soixante-dix ans, il était grand, large d’épaules, et possédait une longue barbe blanche. Toute sa vie il avait travaillé très dur à toutes sortes de travaux pénibles, mais maintenant qu’il devenait vieux, le père de Chimchone-Élie le prit chez lui comme « homme à toutes mains » afin qu’il eût une vie plus aisée. Un jour, Chimchone-Élie était dans la chambre de son grand-oncle quand le vieux Pin’has entra, portant un fagot de bois pour faire du feu.
Dès que Pin’has entra, Yé’hiel-Moïse se leva, et ne reprit pas son siège avant que le vieux Pin’has ait fini d’allumer le feu et quitté la pièce.
Chimchone-Élie regarda son grand-oncle avec étonnement ! Son grand-oncle n’était-il pas un personnage respecté et le vieux Pin’has, après tout, un simple domestique ?
– Il est vrai que Pin’has est un domestique, mais on nous dit de respecter la vieillesse sans distinction, expliqua son grand-oncle. Et, avec un soupir, il ajouta : Comme je l’envie de gagner sa vie du travail de ses mains ! J’ai si souvent regretté de vivre de l’argent de mon père. Cela ne peut jamais donner la même satisfaction que de se suffire à soi-même !
Yé’hiel-Moïse conserva toujours son attitude respectueuse envers le vieux Pin’has et Chimchone-Élie pensait que c’était très bien.
Après la mort de Yé’hiel-Moïse, on lut son testament. Celui-ci stipulait qu’après déduction faite de certains legs à ses proches parents, la plus grande part de sa fortune devait être attribuée à certaines œuvres charitables méritantes qu’il nommait.
De plus, on trouva son livre de comptes et on put voir à quel point ses dons et ses secours à nombre de personnes dans le besoin avaient été nombreux et généreux ! Le tout fait en secret afin que ceux qui recevaient la charité ne puissent se sentir dégradés en acceptant de l’aide.
Oui, c’était là vraiment un homme grand et noble ! Et c’était avec un soupir plein d’amertume que Chimchone-Élie comparait son défunt et révéré grand-oncle Yé’hiel-Moïse qui lui avait enseigné la vraie signification de la vertu, au maître actuel de son fils, Naftali-Zéev, avec lequel son fils pouvait apprendre la Torah, mais sans ses enseignements profonds d’« amour fraternel ».
Chimchone-Élie était si préoccupé au sujet de son fils que, comme de coutume, il demanda conseil à son ami de toujours, Moïse, ou, comme on l’appelait à Yanovitch « le fidèle Moïse ».
Moïse était originaire de Vitebsk, comme Chimchone-Élie, et ils avaient été à l’école ensemble. Chimchone-Élie aimait et admirait son ami qui lui rappelait tellement son défunt grand-oncle bien aimé, Yé’hiel-Moïse. Il avait un aussi grand cœur, était un grand savant et était noble dans tous les sens du mot.
Quand Chimchone-Élie fut nommé intendant et surveillant des propriétés du comte Lipsky, il emmena Moïse avec lui comme assistant.
Moïse tenait ses comptes et était son bras droit. Chimchone-Élie avait entière confiance en lui et en faisait son conseiller personnel.
Il y avait entre eux une amitié absolument franche et vraie. D’autant plus que Moïse devint progressivement son guide en toutes choses et non seulement Chimchone-Élie ne refusait pas de se voir « corrigé », mais il en était heureux, car il savait que Moïse le faisait seulement pour son bien et pour l’amélioration de ses qualités.
Il n’était pas surprenant par conséquent que Chimchone-Élie s’adressât à lui quand il était dans l’ennui.
Après avoir été marié pendant quelque temps, Chimchone-Élie était toujours sans héritier et sa femme et lui en étaient très malheureux. Ils étaient riches, avaient de bons amis et occupaient une situation respectée dans la communauté, mais ne pouvaient être heureux tant qu’ils n’auraient pas d’enfants. Plusieurs fois sa femme eut des espérances, mais bien qu’elle eût plusieurs enfants, ils moururent tragiquement en bas âge !
– Dis-moi, dit Chimchone-Élie à son ami Moïse, que me conseilles-tu de faire ? Je ferais n’importe quoi si seulement j’avais un fils pour me succéder ! Je dis toujours que tout est pour le mieux, mais je ne peux pas dire cela quand je pense au fait que je suis sans enfants.
– Vraiment je te plains, cher ami, lui dit Moïse, mais tu sais aussi bien que moi que le Tout-Puissant n’a jamais tort. Par conséquent, la faute est en toi. Cherches en ton cœur jusqu’à ce que tu trouves en quoi tu as péché.
Quiconque à la place de Chimchone-Élie se serait senti insulté à cette remarque désobligeante, lui non. En fait, il demanda avec empressement :
– Moïse, mon cher ami et conseiller, comment me conseillerais-tu de m’y prendre ?
– Je jeûnerais et prierais très fort ; je suis sûr que notre Père dans les Cieux exaucerait le plus cher désir de ta femme et le tien. Il te suffit d’avoir foi en Lui.
Et, lorsque, en temps voulu, un fils fut donné à Chimchone-Élie et sa femme, Moïse leur devint, si c’était possible, encore plus cher qu’auparavant. Et ses conseils étaient toujours recherchés et appréciés.
L’enfant fut appelé Jacob-Isaac et pour ses parents affectueux c’était comme la « prunelle de leurs yeux ». Rien n’était trop beau pour lui et ils consacraient beaucoup de temps et de pensées à son éducation et son instruction.
Quand ils pensèrent qu’il était assez âgé, Chimchone-Élie étudia avec « le fidèle Moïse », le problème de trouver un maître pour Jacob-Isaac. À la demande de Chimchone-Élie, Moïse partit à la recherche du meilleur maître qu’on pût trouver et revint avec Naftali-Zéev, que Chimchone-Élie engagea avec l’accord du « Parouche de Vitebsk ».
Il était évident par conséquent que Chimchone-Élie devait examiner à nouveau le problème de l’instruction « partiale » de son fils avec Moïse, et ce dernier se sentant, dans une certaine mesure, responsable de l’erreur d’avoir choisi un maître qui ne répondait pas tout à fait à leurs désirs, essaya par tous les moyens d’user de sa propre influence pour enseigner à Jacob-Isaac une manière de vivre meilleure et plus bienveillante.
Il voyait que tous ses efforts patients et constants n’avaient absolument aucune prise sur Jacob-Isaac. Le jeune homme se contentait d’imiter son maître et d’adopter ses idées, c’est-à-dire il affirmait que l’étude de la Torah et la mise en pratique de ses préceptes à la lettre (ils oubliaient son « esprit ») était idéales et suffisantes.
« Si seulement il pouvait ressembler un peu plus à son père, pensait Moïse. Peut-être s’améliorera~t-il avec les années. Je l’espère sincèrement ! »
Quand Jacob-Isaac devint adulte, son père le prit avec lui dans son bureau, lui montrant comment il gérait les affaires de la propriété et progressivement il lui transmit les rênes du commandement.
Jacob-Isaac avait l’esprit vif, et il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre le travail, si bien que, lorsque finalement il en fut entièrement responsable, son père put lui abandonner le soin de la propriété et se consacrer aux affaires de la communauté qui lui étaient très chères.
Pendant cinquante ans, Chimchone-Élie servit la communauté et, quand il mourut, il fut pleuré par tout Yanovitch qui savait qu’un tel homme ne pouvait pas être facilement remplacé !
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