Note de la rédaction : la lecture de la Torah de cette semaine comprend le passage de Parachat Chekalim (Exode 30, 11-16) qui a pour sujet le demi-shekel que chaque Juif offrit au Sanctuaire. L’essai suivant explore la signification profonde du « demi-shekel » dans l’enseignement kabbalistique et ‘hassidique.)

Le premier mariage relaté dans la Torah est celui d’Adam et Ève. Cette union fut, bien sûr, entièrement l’œuvre du Ciel : D.ieu Lui-même créa la mariée, la parfuma et la para de bijoux et la présenta au marié. Le premier mariage mené à bien par des efforts humains apparaît dans le chapitre qui décrit la recherche d’une épouse pour Isaac. On y trouve la description en détail d’un chidoukh classique : un marieur (Eliezer, le serviteur d’Abraham), une enquête sur la famille et le caractère de la future mariée, une dot, la rencontre initiale entre les futurs époux, et ainsi de suite.

La Torah, qui enseigne souvent des lois complexes au moyen d’un seul mot voire même d’une seule lettre, consacre pas moins de 67 versets au mariage d’Isaac et de Rebecca. Beaucoup de détails de cette histoire sont même rapportés à deux reprises : une première fois dans le récit que la Torah fait des événements et une seconde fois dans les paroles d’Eliezer aux parents de Rebecca. Car ici nous est présenté un prototype pour guider notre propre approche du mariage, à la fois dans le sens conventionnel de l’union de deux êtres humains, et dans le sens cosmique de la relation entre D.ieu et l’homme.

La moitié de vingt

Un des détails qui émaillent le récit de la Torah est le fait qu’une bague d’un poids d’un demi-shekel fut l’un des cadeaux qu’Eliezer donna à Rebecca lors de leur rencontre au puits dans la ville natale de celle-ci à Aram Naharayim.

Et l’homme prit un anneau en or d’un poids d’un demi-shekel et deux bracelets pour ses bras, dont le poids était de dix shekels d’or. (Genèse 24, 22).

Nos Sages expliquent que cet anneau faisait allusion au – et préfigurait le – demi-shekel que chaque Juif offrit pour la construction du Sanctuaire, comme D.ieu l’ordonna à Moïse dans le chapitre 30 de l’Exode :

Chaque homme donnera le rachat de sa vie à D.ieu... C’est ceci qu’ils donneront : ... un demi-shekel... le shekel valant vingt guéras ; un demi-shekel [sera donné] en offrande à D.ieu.... Le riche n’ajoutera rien et le pauvre ne diminuera rien du demi-shekel...

Pourquoi un demi-shekel ? Maimonide écrit que, en règle générale, « Tout ce qui est consacré à D.ieu doit être du meilleur et du plus beau. Quand on construit une maison de prière, elle doit être plus belle que sa propre demeure. Quand on nourrit les affamés, on doit les nourrir du meilleur de sa table... Chaque fois que l’on désigne quelque chose pour un but sacré, on doit sanctifier le meilleur de ses biens, comme il est écrit : “Le meilleur pour D.ieu.” »

Et de fait, la Torah impose dans de nombreux cas que l’objet d’une mitsva (commandement divin) soit tamim, entier : un animal imparfait ne peut être offert à D.ieu en sacrifice, de même qu’un étrog présentant des défauts ne peut faire partie des Quatre Espèces prises lors de la fête de Souccot. Même lorsque ce n’est pas une exigence absolue, la loi stipule qu’il convient de s’efforcer, chaque fois que possible, d’accomplir une mitsva avec un objet entier. Il est par exemple préférable de réciter une bénédiction sur un fruit entier ou sur un pain entier plutôt que sur un morceau (d’où l’utilisation de deux pains entiers à chaque repas de Chabbat ou de fête).

Pourquoi, dans ces conditions, la Torah demande-t-elle à chaque Juif de contribuer la moitié d’un shekel à la construction d’une demeure pour D.ieu dans le camp d’Israël ?

La mention de cette contribution répétée plusieurs fois dans la Torah comme étant « d’un demi-shekel » est d’autant plus incompréhensible sachant que, dans ces mêmes versets, la Torah estime nécessaire de préciser qu’un shekel se compose de vingt guéras. En d’autres termes, le montant versé par chaque Juif comme « rachat de son âme » était de dix guéras. Dix est un nombre qui évoque traditionnellement la complétude et la perfection : toute la Torah est contenue dans les Dix Commandements, le monde fut créé par dix paroles divines, D.ieu agit au sein de la création à travers dix sefirot (attributs divins) et l’âme de l’homme, formée dans l’image de D.ieu, est également composée de dix forces. Mais au lieu d’ordonner de donner dix guéras, la Torah demande de donner la moitié d’un shekel de vingt guéras, évitant ainsi délibérément la mention du nombre dix et mettant l’accent sur l’aspect partiel (« demi ») de notre contribution à la résidence divine en notre sein.

Séparés à la naissance

Car telle est l’essence du mariage. Si chacun des deux partenaires aborde le mariage en se ressentant comme une entité complète, ils ne parviendront, au mieux, qu’à une « relation » entre deux vies distinctes et autonomes. Mais le mariage est beaucoup plus que cela. Les kabbalistes expliquent que le mari et la femme sont les facettes masculine et féminine d’une âme unique, née dans deux corps différents. De nombreuses années durant, celles-ci vivent des vies séparées, souvent à une grande distance l’une de l’autre et ignorant totalement l’existence de l’autre. Mais la providence divine s’ingénie à les réunir de nouveau sous le dais nuptial et leur accorde ainsi la possibilité de redevenir « un » : non seulement un en essence, mais aussi un à tous les niveaux – dans leurs pensées et leurs sentiments et dans leur vie physique.

Le mariage est donc plus que l’union de deux personnes. Il est la réunion d’une âme divisée en deux, la fusion de deux vies qui n’en font originellement et intrinsèquement qu’une.

Pour vivre cette réunion, il est nécessaire que chacun aborde cette vie commune non pas comme étant un « dix », mais comme une moitié. Certes, ce demi-shekel se compose de dix guéras, ce qui enseigne que chacun des époux doit se donner dans son entièreté dans le mariage, c’est-à-dire y consacrer l’ensemble des ressources et des potentialités qu’il recèle. Mais chacun doit se considérer soi-même non pas comme un être complet, mais comme un partenaire, c’est-à-dire une partie à la recherche de sa partie complémentaire qui lui permettra de retrouver sa complétude.

Le Sanctuaire

La bague d’un demi-shekel donnée à Rebecca pour son mariage avec Isaac fut la préfiguration du demi-shekel contribué par chaque Juif à la construction du Sanctuaire, le domicile conjugal du mariage de D.ieu et de l’être humain.

L’âme de l’homme est « une partie de D.ieu en-haut » – une partie descendue au sein d’un monde dont la mondanité et la matérialité conspirent à l’éloigner de sa source céleste. Ainsi, même une âme en pleine possession de ses dix forces n’est encore qu’une partie. Et même lorsque D.ieu manifeste pleinement les dix attributs de Son engagement dans Sa création, Il n’est encore que partiellement présent dans notre monde. Ce n’est que lorsque ces deux parties s’unissent dans le mariage que leur globalité et leur intégrité originelles sont restaurées.

Ainsi, pour construire une demeure pour D.ieu sur la terre, nous devons contribuer la moitié d’un shekel de 20 guéras. Nous devons nous donner entièrement à Lui, en consacrant toute la gamme de nos dix forces et potentialités à notre mariage avec Lui. Cependant, même lorsque nous atteignons le plus grand degré de réalisation de soi dans notre relation avec D.ieu, nous devons continuer à ressentir que nous ne sommes qu’une moitié – avec la perception et la conscience que nous, comme Lui, sommes incomplets l’un sans l’autre.