Jacob-Isaac était l’homme le plus respecté de tout Yanovitch. C’était l’homme vers lequel chacun se tournait pour demander conseil et dont la parole avait le plus de poids en tous lieux. On le craignait aussi, à cause de son pouvoir et de son influence. Il était né à Yanovitch et était le fils de Chimchone-Élie qui remit Yanovitch sur ses pieds. Chimchone-Élie était le fils du ilouy Rabbi Yaakov de Vitebsk. Il était renommé comme expert foncier. En fait, il était qualifié dans de nombreux domaines, car il était également mathématicien et linguiste.
En raison de toutes ces qualités, le comte Lipsky qui possédait de nombreuses propriétés près de Yanovitch en fit son intendant et par conséquent Chimchone-Élie s’installa à Yanovitch.
Grâce à Chimchone-Élie, de nombreux Juifs eurent leur gagne-pain assuré. La ville commença à prospérer et à se développer spirituellement et matériellement. Toutes les institutions, charitables ou d’étude de la Torah, furent développées et affermies et, dans l’espace d’une vingtaine d’années, la communauté juive de Yanovitch s’accrut considérablement en quantité et en qualité.
La ville attirait de nombreux savants et l’érudition atteignit un niveau élevé dans cette communauté.
Le vrai centre d’intérêt de Yanovitch était toujours la maison du puissant Chimchone-Élie, qui était véritablement une « Maison de réunion et de consultation des Sages ».
Sa porte était toujours ouverte à des invités, en particulier à ceux qui aspiraient à la Torah. Il était toujours prêt à aider les autres de ses conseils ou de son argent. De nombreuses personnes s’enrichirent grâce à son aide et il avait la main très large lorsqu’il s’agissait de secourir les pauvres.
Pour toutes ces raisons, tout le monde comptait sur Chimchone-Élie, et on l’appelait « le prince de Yanovitch ». En fait, on le mettait au-dessus du comte Lipsky lui-même !
Près de Yanovitch vivait un petit propriétaire terrien qui était très jaloux de la situation importante de Chimchone-Élie et de la confiance que le comte Lipsky avait placée en lui. Aussi, il le diffama auprès du comte, prétendant que Chimchone-Élie avait falsifié les comptes des propriétés et, qui plus est, il y avait des témoins qui pouvaient le prouver !
Quand les Juifs de Yanovitch apprirent cette terrible calomnie, ils furent profondément bouleversés. Ils réunirent une assemblée générale et décidèrent de proclamer un jeûne public ; ensuite, ils se rendraient auprès du comte Lipsky et jureraient que Chimchone-Élie était innocent.
Chimchone-Élie avait aussi beaucoup de sympathisants parmi les populations des villages et propriétés où il travaillait, et tous décidèrent d’envoyer des délégations auprès du compte Lipsky dans son domaine près de Vilna, pour intercéder en faveur de Chimchone-Élie.
Le plus calme de tous était la victime elle-même. Comme il le faisait habituellement quand il voyait quelqu’un en difficultés, Chimchone-Élie disait qu’il fallait avoir confiance en D.ieu et si, comme c’était maintenant le cas, de vrais dangers se faisaient pressentir, il fallait s’examiner et se demander pourquoi le Tout-Puissant les envoyait. La victime devait avoir commis quelque faute, et lui-même voulait se soumettre à un sévère examen de conscience et chercher ce qui pouvait avoir mérité le châtiment de la calomnie proférée contre lui.
Chimchone-Élie était un homme remarquable. Il soutenait que tout ce qui arrivait était voulu par la Providence pour le bien de l’humanité. Il ne se vantait jamais de son savoir et ne s’en faisait aucune gloire. Pour cette raison, il n’était pas inquiet à la pensée de déchoir du poste élevé qu’il avait occupé. Il croyait qu’on doit accepter la volonté de D.ieu, le bon et le mauvais, avec la même bonne grâce.
Il avait été un enfant plutôt délicat ; son père avait décidé par conséquent qu’il ne fallait pas le surmener avec de trop grandes études de la Torah. À la place, son père s’attacha à lui enseigner toutes les vertus qui feraient de lui un Juif vraiment bon.
La mère de Chimchone-Élie était originaire de Prague. Son oncle, Rabbi Yé’hiel-Moïse venait également de Prague. Il se considérait comme étant un disciple du fameux « MaHaRaL de Prague », étudiant continuellement ses livres et agissant selon leurs enseignements. Rabbi Ye’hiel-Moïse essaya d’inculquer les mêmes principes au jeune Chimchone-Élie, et c’est pourquoi il avait la ferme conviction que tout ce qui arrivait était l’œuvre de la divine Providence.
Quand Chimchone-Élie apprit la décision de la communauté de respecter un jour de jeûne en sa faveur, il en fut profondément troublé. Il conclut, cependant, que le jeûne atteindrait peut-être un but utile en expiant des péchés que certains d’entre eux auraient pu commettre. Par conséquent, il se joignit à leurs poignants appels au Tout-Puissant pour qu’il ait pitié d’eux dans leur détresse.
Mais quand il apprit leur seconde résolution : de se rendre auprès du comte et de jurer que lui, Chimchone-Élie, était innocent, il ne put y consentir. Il affirma qu’ils ne devaient pas faire ce serment pour lui et il précisa qu’il ne fallait pas s’inquiéter à son sujet — il était prêt et décidé à mettre sa confiance dans le Tout-Puissant.
Quelques semaines plus tard, trois messagers venant de la part du comte Lipsky arrivèrent au village. Ils employèrent toute une semaine à vérifier les stocks de grains, etc., qui étaient laissés à la responsabilité de Chimchone-Élie. Ils contrôlèrent tous les comptes des propriétés et, après cette minutieuse enquête, ils furent parfaitement convaincus que tout était absolument correct et en règle. L’accusation portée contre Chimchone-Élie était fausse ! Il fut proclamé publiquement innocent et reprit son poste auprès du comte Lipsky. De plus, le comte estima qu’il était de son devoir de proclamer publiquement qu’il avait une confiance absolue en son intendant juif. En signe d’amitié il lui envoya un chandelier à six branches de trois pieds de haut, en argent. Chimchone-Élie emmena le chandelier chez un orfèvre de Vitebsk qui y ajouta deux branches. Il en fit alors présent au grand Beth-Hamidrache pour qu’on l’utilise pour les lumières de ‘Hanouccah.
Jacob-Isaac était le fils unique de Chimchone-Élie et la prunelle de ses yeux ! Les meilleurs maîtres furent engagés pour faire son instruction et, quand il eut atteint l’âge de Bar-Mitsva, son père, sur les conseils du fameux « Parouche de Vitebsk » fit appel au célèbre savant Rabbi Naftali-Zéev pour qu’il devienne le professeur de Jacob-Isaac.
Rabbi Naftali-Zéev étudiait le Talmud à longueur de temps. Il consacrait également une grande partie de ses études à la philosophie dans des livres tels que le « Guide des Égarés » et le « Kouzari ». C’était en vérité un homme craignant D.ieu, mais d’un naturel froid et impassible. Il soutenait qu’on devait se laisser guider uniquement par la raison, à l’exclusion de toute sensibilité. Il suivait ces règles aussi bien dans ses études et ses manières d’enseigner que dans son mode de vie.
Jacob-Isaac s’attacha profondément à son maître et il croyait que tout ce que pensait et faisait ce dernier était juste. Jacob-Isaac apprit ainsi une grande partie de la Torah avec son maître, et continua à suivre ses leçons jusqu’à son mariage. Mais lorsque son père remarqua que, dans les questions de charité, il était insensible aux ennuis de ceux qui étaient dans le besoin, ne leur donnant que ce qu’il considérait comme « juste », il en fut très peiné. Il demanda à Rabbi Naftali-Zéev de corriger Jacob-Isaac sur ce point. À sa grande consternation, il découvrit que son fils suivait absolument les conseils de son maître.
Chimchone-Élie qui avait reçu une éducation si différente, réalisa trop tard que son fils, Jacob-Isaac, ne suivait pas ses traces, c’est-à-dire l’amour de ses semblables, mais celles de son maître, qui n’avait de place dans sa vie que pour les gens instruits.
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