S. Paul, Minnesota, février 1979

J’étais assise dans la salle à attendre le début du programme de la soirée. Je me sentais seule dans cette pièce pourtant remplie de centaines de personnes. J’avais raté mon week-end à la campagne et, à la place, j’étais là, dans cette salle pleine de Juifs ‘hassidiques, à me sentir comme une étrangère dans une terre étrangère...

Un monde disparu

J’ai grandi comme n’importe quelle Américaine de la classe moyenne. Je suis allée à l’université, j’ai fréquenté des garçons, j’ai passé du bon temps avec mes amis. Bien que je fusse juive – et j’en étais fière –, mon judaïsme ne jouait pas un rôle important dans ma vie.

Ma mère a grandi à Chicago dans un foyer pratiquant. Son père, mon grand-père bien-aimé, est décédé en 1973. Quand j’étais petite, il me tenait sur ​​ses genoux et me racontait des histoires de son enfance. Des histoires qui étaient pour moi comme des contes de fées.

Quand il avait six ans et son petit frère, cinq, leurs parents ont quitté l’Europe pour l’Amérique dans le but d’y bâtir une vie meilleure pour la famille. Les deux petits garçons – presque encore des bébés – furent laissés dans le vieux pays. Là, ils vécurent et étudièrent à temps plein dans une « yéchiva », le genre d’école juive traditionnelle qui n’existait pas en Amérique à cette époque.

Le village où ils vivaient était extrêmement pauvre et leur école n’avait pas de budget pour nourrir les enfants. Les villageois aidaient la yéchiva en ouvrant leurs maisons et en partageant le peu qu’ils avaient. Souvent ce « peu » n’était en fait pratiquement rien.

La nuit, les enfants dormaient sur ​​les bancs de l’école. Ils étudiaient debout pour ne pas s’endormir sur leurs textes complexes. Tout cela dans le but de passer l’étude, la tradition, à la génération suivante dans une chaîne pure et ininterrompue.

Si les histoires de mon grand-père évoquaient une vie faite de difficultés et de sacrifices, quand il parlait de sa vie dans le vieux monde, celle-ci paraissait pleine de magie et de beauté.

Mes arrière-grands-parents ont travaillé dur et, quand mon grand-père avait dix-sept ans, ils furent en mesure de les faire venir lui et son frère en Amérique. Quand il vit sa mère pour la première fois en Amérique, il était devenu un adulte. Il ne la reconnut pas.

Néanmoins, la prévoyance et l’abnégation de ses parents leur ont sauvé la vie à tous. Quelques années plus tard, quand les nazis arrivèrent dans ce même village, il n’y eut pas un seul survivant. Les photos du village perdu de mon grand-père, Eisheshuk, recouvrent maintenant la tour du Musée de l’Holocauste à Washington. Elles racontent l’histoire d’un monde qui fut autrefois et qui n’est plus.

J’ai aimé très très fort mon grand-père. Mais mes grands-parents étaient décédés depuis plusieurs années déjà et le peu de lien que ma famille entretenait encore avec nos racines juives s’amenuisait avec le temps. Je n’étais plus une petit enfant en adoration. J’étais une étudiante branchée, totalement insoucieuse de la tradition et de la religion.

Et puis un jour, sans crier gare, mon frère âgé de quinze ans a soudainement déclaré qu’il voulait être religieux. Ma réaction fut : Hein ?? C’est bien pour les grands-parents, mais pas pour toi ! Le judaïsme est merveilleux, oui, mais à sa place. Dans le passé.

Mon voyage commence

Mais mon frère a persisté, et il m’a finalement fait connaître le vaste monde mystique de la Kabbale et de la ‘Hassidout. Lorsque j’ai commencé à étudier, j’ai été exposée à une sagesse profonde et fascinante qui ne ressemblait à rien de ce que j’avais vu ou entendu où que ce soit. J’ai ressenti une vérité que je ne pouvais pas nier. J’ai commencé à manger de la nourriture cachère et à observer le Chabbat. Enfin j’ai essayé. Mais quelque chose n’allait pas. Le problème n’était pas lié à la pratique en elle-même. C’était moi. J’avais un sentiment aigu et douloureux de ne pas être à ma place. Je me sentais prise entre deux mondes sans appartenir vraiment à l’un ou à l’autre.

Je n’avais pratiquement pas d’amis juifs. En fait, je n’étais même pas certaine de croire en D.ieu, et j’étais persuadée que, s’il y avait un D.ieu, Il ne faisait pas grand cas de moi.

Alors, quand l’occasion s’est présentée de partir en week-end à la campagne ce vendredi soir avec des amis, j’ai d’abord été tentée d’y aller. Mais, à la dernière minute, j’ai décidé de donner au Chabbat une dernière chance. J’ai dit non.

J’étais donc assise là, ce samedi soir, avec le sentiment que j’avais très peu en commun avec ces gens bizarres, mais tout de même curieuse d’avoir un dernier aperçu de leur fascinant monde mystique.

Le disciple du Rabbi

Le sixième Rabbi de Loubavitch, Rabbi Yossef Its’hak, décédé en 1950, le 10 du mois hébraïque de Chevat. Le rassemblement tenu ce soir-là commémorait le 29ème anniversaire de sa disparition.
Le sixième Rabbi de Loubavitch, Rabbi Yossef Its’hak, décédé en 1950, le 10 du mois hébraïque de Chevat. Le rassemblement tenu ce soir-là commémorait le 29ème anniversaire de sa disparition.

Le rabbin ‘hassidique à la barbe blanche sur l’estrade était un disciple d’un Rabbi – un grand maître ‘hassidique – dont la disparition, quelque 29 ans plus tôt, était commémorée ce soir-là. Le Rabbi fut décrit comme ayant été un grand tsadik, un homme juste et saint d’une stature spirituelle comparable à celle de Moïse lui-même. Il avait, disait-on, le pouvoir de faire des miracles et une clairvoyance divine lui permettant de voir dans l’âme d’une personne.

Son successeur, qui vivait à Brooklyn, était le chef spirituel du mouvement ‘hassidique mondial ‘Habad et avait la réputation d’avoir une stature et des pouvoirs spirituels encore plus grands que ceux de son prédécesseur.

L’invité d’honneur, un rabbin qui habitait Chicago, était connu pour être un orateur exceptionnellement talentueux. Fait intéressant, cette petite communauté ‘hassidique de S. Paul dans le Minnesota avait essayé maintes fois de le faire venir au cours des dix années précédentes, mais cela n’avait jamais pu se faire. Mais il était là ce soir-là. Son discours a commencé.

Il n’y a pas de hasard

« Ce n’est pas par hasard que nous sommes tous réunis ici ce soir, a commencé le rabbin d’une voix sonore et profonde. Le Rabbi a souvent cité le Baal Chem Tov, le premier des maîtres ‘hassidiques, concernant le principe de la Providence Divine. Celui-ci a constamment souligné que tout ce qu’une personne voit, elle est destinée à le voir, et tout ce qu’elle entend, elle est destinée à l’entendre. Il a enseigné que chaque fois qu’il se passe quelque chose qui fait une impression particulièrement forte sur une personne, celle-ci doit être consciente que D.ieu a créé cette expérience tout spécialement pour elle, afin de la diriger et l’éclairer dans l’accomplissement de sa mission divine.

« Le fait que je sois ici ce soir, parmi vous tous, a sans aucun doute un sens. »

Le rabbin a continué à parler. Il a parlé du Rabbi, racontant des histoires de sa vie, des histoires qui illustraient sa grandeur, son génie, sa sainteté, sa gentillesse.

Puis il a commencé une histoire qui a attiré mon attention. J’étais scotchée.

« Dans les mois et les années qui ont suivi l’Holocauste, a-t-il dit, nous avions un fonds. Nous avons récolté de l’argent pour le distribuer aux réfugiés désespérés restés en Europe après la guerre.

« Avec nous à l’époque, il y avait un homme du nom de M. Samuel Broïda. Il était propriétaire d’une entreprise de conditionnement de viande cachère à Chicago et il était aussi le président de notre fonds.

« Au total, nous avons réussi à recueillir 180 000 $, une somme très importante à l’époque. M. Broïda fut délégué pour emmener cet argent en Europe, pour aider un groupe de réfugiés qui avaient fui la Russie jusqu’à une banlieue de Paris. Quand il revint ici, il nous a dit que quelque chose lui était arrivé. Quelque chose qu’il n’oublierait jamais.

« Quand j’étais à Paris, a dit M. Broïda, j’ai rencontré un petit garçon de huit ans. Je lui ai demandé s’il y avait quelque chose que je pouvais faire pour lui. J’ai pensé que le pauvre petit allait me demander des chaussures, des vêtements, de la nourriture, des bonbons, un costume, un couvre-chef... mais je me suis trompé. Il ne m’a rien demandé de tout cela. À la place, il m’a dit : Je voudrais pouvoir aller en Amérique un jour et voir le Rabbi de Loubavitch. »

« Je ne suis pas moi-même un adepte du Rabbi, a poursuivi M. Broïda, pas du tout. J’ai entendu des histoires du Rabbi, de ses miracles, de la puissance de ses bénédictions, de sa sainteté et de sa grandeur. Mais je n’y croyais pas vraiment. Je me suis dit : Comment est-ce possible ? Comment est-il possible qu’un être humain ait un tel impact sur ses disciples au point d’être plus réel pour eux que leur faim, leur détresse ou leur pauvreté ? Et ce n’était qu’un petit enfant ! Sa réponse avait été complètement spontanée. Comment est-il possible qu’un petit enfant, un pauvre enfant, un enfant qui a faim, ne souhaite rien d’autre que de pouvoir poser ses yeux sur ce saint homme ? »

« Si un Rabbi, a conclu M. Broïda, trente ans après avoir quitté un endroit, laisse ce genre d’impression, ce doit être parce qu’il est le genre d’être humain dont le monde n’a aucune notion. Le genre d’être humain que je croyais ne pas exister. Le genre d’être humain dont la tête et les épaules nous dépassent tous... »

La promesse du Rabbi

« Après cela, dit le rabbin, M. Broïda m’a demandé si je voudrais l’emmener à New York pour que lui-même puisse rencontrer le Rabbi. C’était 1947, deux ans à peine avant le décès du Rabbi. Sa santé était déjà précaire. Il avait été emprisonné et sévèrement torturé par les Russes qui considéraient son puissant leadership religieux comme une grande menace pour le régime communiste. Il ne pouvait recevoir que très peu de personnes chaque jour et il y avait une longue liste d’attente... mais j’ai réussi à obtenir un rendez-vous pour M. Broïda. Et il m’a dit plus tard que c’était l’une des expériences les plus profondes et les plus incroyables de sa vie.

« Mais, a poursuivi le rabbin, quelque chose d’encore plus étonnant est arrivé. Un Rabbi, comme toute personne habilitée à recevoir les confidences des gens, ne divulgue jamais rien de ce qui se passe en audience privée entre lui et une autre personne. Si un avocat ou un médecin est tenu à la confidentialité, à plus forte raison un Rabbi ! Pourtant, l’entrevue de M. Broïda avec le Rabbi, celui-ci m’a appelé dans son bureau pour me parler de cette rencontre.

« “M. Broïda est venu me voir aujourd’hui, m’a dit le Rabbi. Je lui ai demandé de me parler de ses affaires et de son travail communautaire. Nous avons parlé. Et quand nous avons fini de parler, je lui ai demandé : ‘Et que font vos enfants ?’ Il a fondu en larmes et m’a dit que, de ses six enfants, aucun n’était plus pratiquant. Je lui ai promis, continua le Rabbi, qu’il aurait la joie de voir son judaïsme renaître un jour chez ses petits-enfants.” »

« Je me suis souvent demandé depuis ce jour, a conclu le rabbin, ce qu’il était devenu de la promesse du Rabbi. M. Broïda est décédé il y a quelques années et je ne sais pas ce que sa famille est devenue. Mais il y a une chose que je sais : c’est que la promesse d’un tsadik, d’un Rabbi, n’est jamais vaine. »

Le discours était fini. J’étais assise sur ma chaise, avec des larmes qui ruisselaient sur mon visage.

Je savais ce qu’il était devenu de la promesse du Rabbi.

M. Broïda était mon grand-père.

L’autre côté de la tapisserie

Le rabbin avait commencé ce soir-là son discours en parlant de la Providence Divine. Ce n’était pas un hasard. Rien n’est jamais un hasard.

Bien qu’il fût à peine âgé d’une cinquantaine d’années, ce rabbin – Rav Shlomo Zalman Hecht de Chicago – décéda subitement quelques mois après cette soirée. S’il n’avait pas été là ce soir-là, si j’étais partie en week-end à la campagne, s’il avait raconté une autre histoire, s’il avait raconté cette même histoire simplement sans mentionner le nom de mon grand-père... Je vivrais une vie totalement différente aujourd’hui. Et vous ne seriez pas en train de lire ces mots.

Nos vies sont comme l’envers d’une grande tapisserie. De l’arrière, tout ce que nous pouvons voir, ce sont les nœuds, les imperfections, quelques bosses, quelques traces de couleur. Tout semble aléatoire et chaotique.

C’est seulement la face avant de la tapisserie qui montre comment tout cela forme un tout harmonieux. De l’avant, on peut voir que chaque point et chaque nœud font partie intégrante d’un vaste et magnifique tableau.

Dans la vie, nous ne voyons, pour la plupart, que le dos de la tapisserie. Nous devons employer notre intuition, nos connaissances, notre sagesse à tenter d’associer tous ces éléments disparates pour deviner l’image qui est de l’autre côté.

Mais, ce soir-là, j’ai bénéficié, moi l’agnostique, d’un privilège rare. J’ai pu avoir un aperçu très clair de cette image.

Et dans cet aperçu, j’ai vu beaucoup de choses. J’ai vu la puissance complexe et majestueuse de la Providence Divine et le soin infini avec lequel D.ieu tisse ensemble les événements de la vie personnelle et unique de chacun. J’ai vu la puissance majestueuse d’un véritable tsadik, sa capacité à voir au-delà du temps et au-delà des mondes ; à atteindre le réservoir des âmes et à donner à une âme spécifique la force d’accomplir son destin ; à faire une promesse et à la tenir.

Et enfin, j’ai vu que D.ieu place des messages pour nous tous, et que ces messages, si nous le leur permettons, peuvent changer nos vies. Parfois, ils sont grands et flagrants, parfois ils sont petits et subtils. Mais ils sont toujours là si nous voulons les voir.

Quand j’ai trébuché sur mon destin, je ne m’y attendais pas. C’était même la chose la plus éloignée de mon esprit. Je n’étais même pas sûre de croire en D.ieu. Mais quand j’ai couru tête baissée dans un autre plan de la réalité, j’ai clairement vu qu’il était plus vaste, plus profond et beaucoup plus convaincant que tout ce que j’avais cru possible auparavant.

Courir vers le destin

C’était il y a 27 ans. Depuis lors, plus que ma propre vie a changé. Au cours des 27 dernières années, le train de l’histoire a parcouru de nombreuses étapes en route vers sa destination finale. Et sa vitesse s’accélère de jour en jour.

Nous vivons aujourd’hui des temps dont ont parlé les sages et les prophètes. C’est un moment de transition entre l’ancien ordre et le nouveau. C’est un moment de crise et d’immense potentiel. Ce potentiel est sans précédent, aussi bien pour le bien que pour le mal. En cette période, nous pouvons choisir de rester petits, confus et impuissants ou, au contraire, d’embrasser la puissance divine dont chacun a été investi pour changer le monde positivement.

Si nous choisissons de tourner le dos à nos messages, nous restons à errer dans l’obscurité, confus, isolés et désemparés. Mais si nous choisissons d’ouvrir les yeux, de voir et d’entendre ces messages, d’assembler les pièces du puzzle et de voir l’image telle qu’elle est réellement, cela peut faire toute la différence – pas seulement pour nous personnellement, mais pour le monde entier.

Vous avez le pouvoir

La Torah nous enseigne à considérer le monde entier comme étant parfaitement équilibré entre le bien et le mal, entre le mérite et le démérite. Cela signifie que votre acte unique, quelle que soit sa taille, peut littéralement faire pencher la balance. Vous pouvez changer le monde.

Si vous le choisissez, vous pouvez mettre votre pouvoir à profit pour aider à réparer une relation brisée ou pour apaiser un cœur blessé. Vous pouvez partager votre temps ou votre argent avec quelqu’un qui en a besoin. Vous pouvez dire quelques mots de prière sincères ou faire une mitsva supplémentaire et amener un surcroît de lumière divine dans le monde. Toutes ces choses sont intrinsèquement bonnes et changeront assurément votre vie et celle de ceux qui vous entourent.

Mais cela va plus loin. Car en étant attentif à vos capacités, en étant à l’écoute de vos messages, en lisant entre les lignes et en assumant votre véritable pouvoir, vous pouvez nous amener tous à bon port.