Le Machia’h viendra-t-il au milieu de retentissants miracles qui bouleverseront le monde entier, ou bien son avènement est-il censé s’inscrire dans un « processus naturel » ?

Maïmonide mentionne les deux éventualités. Dans son Code de Loi,1 il statue ainsi : « Qu’il ne te vienne pas à l’esprit que le Roi Machia’h devra opérer miracles et merveilles, changer quelque chose au monde ou ressusciter les morts, ou opérer des choses semblables. » D’un autre côté, dans l’Épître au Yémen2 il écrit : « Les signes et les prodiges qu’il accomplira seront la preuve de la vérité de son message et de sa lignée. »

Ces deux sources présentent respectivement le Machia’h de manières très différentes :

Dans le Michné Torah, le Machia’h est décrit comme un important leader qui fera revenir le peuple juif dans le chemin de la Torah, qui combattra les ennemis d’Israël, vaincra les peuples alentour, reconstruira le Temple et rassemblera les exilés d’Israël. C’est seulement après tout cela qu’il sera considéré comme étant le Machia’h avec certitude (« Machia’h vadaï »).

En revanche, dans l’Épître au Yémen, l’apparition du Machia’h est décrite comme un événement totalement surnaturel : un homme inconnu se présentera et accomplira toutes sortes de prodiges. Les nations, terrifiées, se soumettront à lui, acceptant toutes sur-le-champ sa royauté.

Deux éventualités

Puisque ces deux textes ont le même auteur (Maïmonide), il y a lieu de penser qu’il n’y a pas de contradiction entre elles3 et que ces deux descriptions se réfèrent à deux scénarios possibles de l’avènement messianique. Il est en effet certain que des miracles se produiront lors de l’ère messianique et que l’ordre naturel sera modifié. La question est de savoir si cela surviendra immédiatement, avec la venue du Machia’h, ou si ce sera plutôt dans un second temps, après un début qui semblera suivre le cours de la nature.

La chose dépend essentiellement du facteur déclencheur de la Délivrance4 : dans une situation où le peuple juif sera méritant, la Délivrance sera d’emblée surnaturelle, et si – à D.ieu ne plaise – le peuple juif devait être déméritant, les miracles et les prodiges n’interviendraient que dans une deuxième période.

Dans son livre de loi, Maïmonide s’emploie à donner une définition juridique stricte de l’avènement messianique et en évoque donc seulement les caractéristiques obligées. De ce point de vue, il n’est en effet pas obligatoire qu’il se produise des miracles. Il n’est donc pas requis de notre part d’attendre spécifiquement un événement surnaturel et soudain, car l’éventualité existe que le Machia’h se fera d’abord connaître comme un chef au sein du peuple juif, qui mènera une action au sein du peuple et dans le monde, et c’est seulement après qu’il aura construit le Temple et rassemblé les exilés que nous saurons pour sûr qu’il est le Machia’h.5

Toutefois dans l’Épître au Yémen qui fut écrite à des Juifs dont la foi et l’espérance en la délivrance messianique avaient besoin d’être ravivées, Maïmonide ne décrit pas la révélation messianique en termes minimalistes, mais telle que nous espérons qu’elle soit : nous serons méritants et Machia’h viendra soudainement, au sein d’une grande révélation divine. Il accomplira des miracles et des prodiges et le monde acceptera immédiatement sa royauté.

Nous prions pour des miracles

On peut peut-être ajouter qu’une délivrance messianique sans miracles (à son début) peut survenir seulement au terme de toutes les étapes préliminaires décrites par nos Sages. Il doit en effet y avoir une période dite du « Talon du Machia’h », à laquelle s’ensuivront des changements dans le monde qui le prépareront à l’avènement messianique. Tant que ceci n’était pas arrivé, il n’était pas possible d’attendre une délivrance qui suive un cheminement « naturel ».

C’est pourquoi dans l’Épître au Yémen, qui fut écrite pour son époque, Maïmonide évoque une délivrance soudaine et miraculeuse, car c’est la seule manière dont elle pouvait survenir alors. Mais dans son œuvre législative, écrite pour toutes les générations à venir, Maïmonide se devait de considérer l’éventualité qu’il arrive un temps où tous les signes donnés par nos Sages se réaliseront et où le monde sera prêt à la venue du Machia’h sans miracles ni prodiges. C’est pourquoi il énonce uniquement les caractéristiques obligatoires du Machia’h, afin que nous puissions croire en lui dès son apparition, avant la seconde période qui sera celle des miracles et des changements radicaux de la conduite du monde.

Cependant, nous prions tous pour que Machia’h vienne au milieu de miracles et d’un grand dévoilement divin, qui rendront la délivrance plus aisée, plus rapide et plus merveilleuse.6