Linda écouta attentivement les deux conférenciers. Ils étaient tous deux des orateurs dynamiques et captivèrent chacun l’auditoire avec un discours intéressant et une présentation vivante.
Mais Linda ne put s’empêcher de remarquer à quel point leurs styles étaient différents.
Le premier conférencier était un homme qui commençait toujours par poser une question demandant réflexion. Lorsque les participants s’aventuraient à répondre, il réfutait ou discréditait leurs propositions afin de construire sa propre hypothèse centrale. Il démontrait la fausseté des réponses différentes de la sienne, conduisant ainsi les participants vers sa propre ligne de raisonnement et sa conclusion.
Le second intervenant était une femme qui posait elle aussi une question suscitant la réflexion. Mais, avec elle, chaque réponse des participants recevait un commentaire encourageant. Elle avait la capacité de découvrir ou de susciter dans les réponses de la salle, même les plus tirées par les cheveux, des points de similitude avec les idées qu’elle transmettait, qui venaient alors les compléter et les enrichir.
Linda se demanda si la différence entre leurs styles était liée à leur sexe.
Le mode masculin était-il plus direct et ciblé et le mode féminin plus intuitif, plus axé sur la vérité commune et la connexion ? Est-ce inné pour les femmes de valoriser et d’encourager et est-il naturel pour un homme d’être plus agressif et conquérant ?
Plus elle y pensait, plus Linda se demandait si ces différents modes de communication n’étaient pas le reflet de quelque affrontement cosmique des énergies masculines et féminines au sein de la création...
Les lois de l’héritage constituent l’un des sujets de la paracha de cette semaine. Ces lois furent révélées à Moïse par l’intermédiaire des filles de Tsélof’had.
Les filles de Tsélof’had, Ma’hla, Noa, ‘Hoglah, Milca et Tirsa, se tinrent devant Moïse et toute l’assemblée d’Israël en disant : « Notre père est mort dans le désert, mais il ne faisait pas partie du groupe qui se ligua contre D.ieu dans l’assemblée de Kora’h, et il n’avait pas de fils. Pourquoi le nom de notre père disparaîtrait-il de sa famille parce qu’il n’a pas eu de fils ? Donne-nous une part avec les frères de notre père. »
Moïse déféra alors leur cas devant D.ieu.
D.ieu parla à Moïse en ces termes : « Les filles de Tsélof’had parlent justement. Tu leur donneras assurément une part d’héritage. »
Parle aux Enfants d’Israël en ces termes : « Si un homme meurt et n’a pas de fils, vous ferez passer son héritage à sa fille. » (Nombres 27, 1-8)
Chaque épisode de la Torah recèle une leçon spirituelle éternelle. Les Maîtres de la Kabbale virent dans cette loi successorale une représentation métaphorique des rôles spirituels respectifs de l’homme et de la femme.
En effet, le commandement de « conquérir la terre » ne fut pas seulement adressé à la génération du désert. Chacun de nous est enjoint de « conquérir la terre », c’est-à-dire d’acquérir la maîtrise du monde matériel et le transformer en une demeure sainte digne de D.ieu.
La nature de la matérialité est d’être résistante, voire hostile au divin, à la sainteté et à la spiritualité. Traditionnellement, la « conquête de la terre » consiste donc en une guerre pour soumettre et éradiquer l’obscurité et la négativité (que ce soit en livrant bataille à des personnes ou des régimes maléfiques, ou en luttant contre des systèmes de valeurs opposés à la morale de la Torah). Nous « combattons » en supprimant la nature matérialiste du monde et en y imposant un but et une finalité plus élevés.
Mais il est une autre manière de transformer notre monde en une demeure divine. Cette approche ne combat pas agressivement la négativité, mais s’attache à cultiver et à révéler la positivité inhérente à la création. Dans ce mode, les efforts ne s’inscrivent pas dans la traditionnelle méthode linéaire consistant à imposer et à vaincre, mais dans une manière plus intérieure et plus pénétrante de rehausser et d’élever notre réalité pour la rendre plus divine.
Ces deux méthodes, pour faire bref, reflètent respectivement les modalités spirituelles masculine et féminine. Nous utilisons le mode « masculin » quand nous nous employons à conquérir, soumettre ou vaincre. Nous employons l’approche « féminine » quand nous cultivons, nourrissons et révélons les qualités intérieures. (Cela ne signifie pas que les hommes utilisent systématiquement le mode masculin et les femmes, systématiquement le féminin, mais que telles sont les énergies masculines et féminines au sein de la création.)
Ces rôles sont tous deux essentiels pour rendre le monde divin. Le rôle masculin a cependant toujours été traditionnellement perçu comme étant supérieur et plus efficace. Et, pendant un certain temps, c’est ce rôle qui fut prépondérant. En effet, lorsque le mal foisonne, il est nécessaire de l’attaquer de front de la manière la plus agressive possible.
Mais il y a un stade où l’humanité est prête à faire la transition des valeurs masculines aux valeurs féminines en passant de l’autorité au dialogue, de la domination à la persuasion, du pouvoir au dévouement.
Les filles de Tsélof’had avaient compris cette réalité. Elles prirent conscience qu’un temps viendrait où « conquérir la terre et s’y établir » ne serait plus une entreprise exclusivement masculine. Toutes les conquêtes ne sont pas nécessairement le résultat d’un rapport de force. Il existe une manière féminine de faire de la matérialité de notre vie une « terre sainte ».
D.ieu acquiesça à leur vision.
D.ieu ordonna : « Si un homme meurt et n’a pas de fils, vous ferez passer son héritage à sa fille. » Selon les Maîtres de la Kabbale, cela signifie qu’il arrive que les qualités du « fils » – la nature masculine, agressive et combative – gagnent à être remplacées par celles de la « fille » : l’aspect réceptif, empathique et non conflictuel.
L’humanité parviendra à un temps qui verra la revalorisation et la réhabilitation des qualités féminines de réceptivité, de préservation et d’empathie comme tenant un rôle au moins identique, sinon supérieur, dans la transformation de la nature même et de l’hostilité de « la terre » pour en faire une demeure pour D.ieu.
Les Maîtres ‘hassidiques expliquent que chacune des quarante-deux étapes du voyage de l’Égypte à la Terre Sainte reflète une génération et un stade de l’histoire du monde. L’incident des filles de Tsélof’had eut lieu lors de la dernière étape de ce voyage et reflète ainsi la fin de notre voyage cosmique, juste avant notre conquête ultime de la Terre, à l’ère messianique.
Depuis le temps de nos Patriarches et à travers toute l’histoire juive, il y eut toujours des femmes particulières qui manifestèrent des qualités spirituelles que leurs époux (eux-mêmes de grands hommes et des chefs d’Israël) ne pouvaient pas atteindre. Ces femmes goûtèrent à l’ère messianique en leur temps. Elles touchèrent du doigt le futur de notre monde, ce temps où les valeurs féminines s’élèveront au-dessus des valeurs masculines.
La génération du désert fut également exposée à cette réalité messianique. Les femmes y réparèrent ce que les hommes avaient brisé. Elles refusèrent de participer à la fabrication du Veau d’or. Elles refusèrent d’écouter les conseils des explorateurs qui médirent contre la Terre d’Israël. Et dans notre paracha, alors que les hommes avaient refusé d’entrer en Terre d’Israël, les filles de Tsélof’had demandent à recevoir en héritage une portion de cette terre.
Le grand kabbaliste Rabbi Its’hak Louria (le « Arizal », 1534-1572) explique que la génération de la rédemption finale est une réincarnation des âmes qui furent libérées d’Égypte. Leurs puissantes valeurs féminines se retrouveront dans la dernière étape de notre histoire, suscitant et annonçant la rédemption lors de laquelle le rôle féminin sera valorisé et apprécié.1
C’est sans doute à cela est qu’il est fait allusion dans le sacrifice spécial de la Nouvelle Lune relaté plus tard dans la paracha. Ce sacrifice était en effet différent de tous les autres sacrifices des jours fériés.
« Et au début de vos mois, vous offrirez... un jeune bouc en sacrifice expiatoire à D.ieu. » (Nombres 28, 11-15)
Rachi : Le jeune bouc apporté le premier jour du mois diffère (de tous les autres sacrifices) car il y est dit « à D.ieu »... Dans la aggadah, il est expliqué : Le Saint, béni soit-Il a dit : « Apportez une expiation pour Moi parce que J’ai diminué la lune. » (Talmud, Chevouot 9a).
Quand D.ieu a-t-Il « diminué la lune » et pourquoi nous demande-t-Il d’apporter une expiation en Son nom pour cela ? Le Talmud relate cette histoire : le quatrième jour de la création, lorsque Dieu fit « les deux grands luminaires », la lune se plaignit à D.ieu qu’elle était de la même taille que le soleil.
La lune dit à D.ieu : « Souverain de l’univers, deux rois peuvent-ils partager une seule couronne ? »
D.ieu répondit : « Va et fais-toi plus petite. »
« Souverain de l’univers, Lui dit-elle, parce que j’ai fait une demande légitime devant Toi, devrais-je me faire plus petite ? »
Il lui dit : « Va, et tu règneras à la fois sur le jour et la nuit. »
Elle dit : « A quoi sert une lampe en plein jour ? »
Il dit : « Va ! Israël t’utilisera pour compter les jours et les années. »
En voyant que la Lune n’était pas consolée, D.ieu répondit : « Apportez une expiation pour Moi parce que J’ai diminué la lune. » (Talmud, ‘Houline 60b)
La lune met en évidence une lacune fondamentale dans la création : comment deux « rois » peuvent-ils dominer également le même territoire ? D.ieu ordonne à la lune de se faire plus petite, ce qui implique qu’un des deux luminaires doit être plus grand. Mais la lune se plaint que cette décision est injuste, et quels que soient les cadeaux et avantages qu’elle se voit offrir, elle refuse de renoncer à sa demande. D.ieu admet que la situation est injuste et fait un sacrifice expiatoire chaque mois pour réparer cette injustice.
À l’époque de Machia’h, cependant, la lune retrouvera sa stature originale et sera restaurée dans sa pleine gloire.
Lorsque la lune fut créée, elle était un joyau étincelant. Elle ne faisait pas que refléter la lumière, mais elle la transformait et en révélait la beauté intérieure. La lune était ainsi supérieure au soleil, car le soleil brille seulement de sa surface, alors que la lune brillait de son essence profonde. Et il en sera de nouveau ainsi, et bien plus encore, dans les temps à venir. (Rabbi Isaac de Homil, Maamar Chnei Meorot)
Les femmes ont un lien fort avec la lune et avec la fête de la Nouvelle Lune, le Roch ‘Hodech. La lune symbolise métaphoriquement l’énergie féminine, avec sa croissance, sa décroissance et son renouvellement mensuel.
Au début de la création, pour des raisons qui dépassent notre entendement, la lune fut diminuée, tout comme dans notre perception, les énergies féminines, plus intimes et protectrices, furent dévaluées comme si elles étaient de moindre importance que le rôle public masculin, agressif et autoritaire.
Cependant, D.ieu nous assure-t-Il, un temps viendra où l’humanité évoluera et où ces valeurs changeront. Il y aura une époque où nous atteindrons notre destination finale, à la dernière étape de notre voyage de six millénaires, où nous serons prêts à entrer dans la terre sainte.
Et à ce moment-là, à cette époque, la « fille » héritera elle aussi de la terre et la lune brillera avec autant d’éclat, sinon plus, que le soleil.
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