On ne sait pas grand-chose de la vie de Ma’hla, Noa, ‘Hogla, Milka et Tirtsa. Mais à un moment crucial de l’histoire du peuple d’Israël, ces cinq sœurs, filles de Tsélaf’had fils de ‘Hefer, influencèrent profondément l’approche juive du monde.

Tsélaf’had appartenait à la génération, née dans l’esclavage égyptien, libérée par l’Exode et à laquelle avait été promise en héritage la terre de Canaan. Bien que cette génération ne méritât pas elle-même de prendre possession de la terre, quand ses enfants traversèrent la rivière du Jourdain pour la conquérir, c’est en qualité d’héritiers de leurs pères qu’ils le firent. Chaque famille reçut sa part de terre, partagée proportionnellement entre les six cent mille membres de la génération du désert.

Tsélaf’had avait cinq filles mais pas de fils. Les lois de l’héritage, telles qu’elles furent initialement données dans la Torah qui ne reconnaissait que les héritiers mâles, ne permettaient pas d’attribuer sa part à ses descendantes. Ma’hla, Noa, ‘Hogla, Milka et Tirtsa refusèrent d’accepter ce fait et adressèrent à Moïse une pétition : « Pourquoi le nom de notre père serait-il éliminé de sa famille, sous prétexte qu’il n’a pas de fils ? Attribue-nous un domaine parmi (les héritiers des) frères de notre père. »

Moïse présenta leur requête à D.ieu qui répondit : « Les filles de Tsélaf’had parlent justement. Donne-leur... la part de leur père. » Et D.ieu instruisit Moïse d’inclure la clause suivante dans les lois de l’héritage : « Si un homme meurt et n’a pas de fils, tu transmettras sa part à sa fille. »

Deux générations

L’Exode et la conquête de la terre sont les deux événements qui encadrent les quarante années durant lesquelles nous fûmes forgés comme le peuple et représentent les deux approches fondamentales de la vie.

« Sortir d’Egypte » représente la libération de l’âme de tout ce qui limite et inhibe sa véritable essence et son désir réel.

« Conquérir la terre de Canaan et s’y installer » signifie conquérir le monde matériel et le développer pour en faire une « résidence pour D.ieu », un environnement réceptif à la bonté et la perfection de son Créateur et qui exprime ces qualités.

La génération du désert réussit dans la première de ces entreprises, mais échoua dans la seconde. Ils s’extirpèrent de la culture païenne et de la mentalité d’esclaves dans lesquelles ils étaient immergés, raffinant leur âme au point de mériter de recevoir la Vérité des Vérités directement de D.ieu, au Sinaï. Mais ils repoussèrent la tâche de « conquérir et s’installer dans le pays », refusant d’abandonner leur héritage spirituel dans le désert pour affronter la matérialité du monde, refusant de se consacrer au travail nécessaire pour transformer « la terre de Canaan » en « Terre sainte ». Il fut donc décrété qu’ils finiraient leur vie dans le désert, laissant à leurs enfants la tâche de prendre possession de la terre à leur place.

Au niveau individuel, chacun d’entre nous est confronté à ces deux tâches au cours de notre vie : l’entreprise de libérer et de concrétiser le potentiel spirituel de notre âme et le défi de faire de notre environnement et de notre vie matérielle un lieu saint et divin. Nous devons tous lutter pour faire la transition entre une enfance et une jeunesse consacrées au développement et au perfectionnement de notre personne et une vie adulte où nous allons nous impliquer, de façon productive, dans le monde extérieur.

Une conquête différente

Mais les gens sont tous différents les uns des autres. Selon les mots du Talmud : « Tout comme leurs visages sont différents, leurs caractères sont différents. » Il existe des caractères audacieux et des caractères soumis, des natures agressives et des dispositions passives. Certains sont prêts à relever tous les défis, d’autres évitent toutes les confrontations orageuses et sont dépourvus d’instinct combatif.

C’est là que réside le sens profond des lois de l’héritage comme elles furent ordonnées par D.ieu, en réponse à la demande des filles de Tsélaf’had.

« Si un homme... n’a pas de fils » : si une personne reconnaît dans son moi intérieur un manque d’agressivité ou de combativité « viriles », elle pourrait en déduire qu’elle n’a pas de rôle à jouer dans « la conquête de la terre ». Une telle personne peut être encline à consacrer toute son énergie à se raffiner elle-même et à laisser la tâche de sanctifier un monde impur à ceux qui ont des « fils ».

La Torah statue alors : la conquête et l’installation sur la terre ne sont pas des tâches exclusivement masculines. Chacune des âmes d’Israël possède une « part de la terre », un coin du monde matériel qu’elle a la force et la mission de posséder, de civiliser et de sanctifier. Il est de fait que c’est une tâche qui demande souvent de l’agressivité et d’accepter la confrontation ; mais il existe aussi une approche « féminine » pour transformer la matérialité de notre vie et en faire une « Terre Sainte ».

« Si un homme… n’a pas de fils, tu transmettras sa part à sa fille. » Le fait même que, par nature, une personne soit dénuée de l’agressivité du « combattant masculin » indique qu’elle a été dotée de l’aptitude à transformer son entourage par le biais de sa « fille », utilisant l’aspect doux, compatissant et pacifique de son âme.

Telle est la loi révélée par les filles de Tsélaf’had : toutes les conquêtes ne trouvent pas le succès en dominant son adversaire. Parfois, la réceptivité et l’empathie sont bien plus efficaces pour surmonter l’hostilité de « l’ennemi » et transformer sa nature elle-même. L’absence d’« héritier masculin » dans l’âme peut en réalité indiquer la présence d’un moi « féminin » tout aussi capable de réclamer la part de son âme dans le monde et de la transformer en résidence pour D.ieu.

Basé sur les discours du Rabbi du 13 Tamouz 5715 (3 juillet 1955) et d’autres occasions