En grandissant, je n’étais pas conscient de mon héritage juif. Ma mère s’est convertie au christianisme avant son mariage avec mon père et elle nous a activement caché, à ma sœur et moi-même, nos racines juives. Considérant que tous nos parents de son côté de la famille sont sans aucune ambiguïté juifs, ce n’était pas une tâche simple, et à mesure que nous avons grandi, nous sommes devenus de plus en plus soupçonneux. Mais quand nous lui avons posé la question, notre mère nous a expliqué que le reste de sa famille s’était convertie au judaïsme quand elle était à l’université. Cela nous a semblé un peu suspect, mais comme nous n’avions qu’une connaissance assez générale du Judaïsme, nous avons pensé que c’était comme n’importe quelle autre religion que les gens rejoignent et quittent facilement.
Mon premier véritable indice est venu quand j’avais 17 ans, quand j’ai rendu visite à mes cousins orthodoxes. Ils ont essayé de me convaincre que j’étais juif et je n’arrêtais pas de les contredire. La conversation se déroula à peu près comme cela :
« Tu es juif. »
« Non, je ne suis pas juif. Je ne crois pas en D.ieu. »
Comme je suis clairement métis, les gens ont toujours été curieux de connaître mes origines.« Ça n’a pas d’importance. Tu es juif parce que ta mère est juive. »
« Mais ma mère n’est pas juive, elle est chrétienne. »
« Ta mère est juive parce que sa mère est juive, ce qui fait de toi un Juif. »
C’est le point où les choses ont commencé à se mettre en place : la réalisation que la judéité est héréditaire par la mère, et la compréhension que les gens ne convertissent généralement pas au judaïsme de façon désinvolte, en particulier pas l’ensemble d’une grande famille.
Quatre ans plus tard, mon oncle est venu me rendre visite à Santa Cruz où je faisais mes études. Ce fut la première fois, étant adulte, que je le rencontrais seul à seul et je saisis l’occasion de lui demander à brûle-pourpoint : « Alors, Ray, on est juifs ? »
« Complètement juifs », fut sa réponse.
Il m’expliqua que, non seulement nous étions juifs, mais que, lorsqu’ils étaient enfants, lui, ma mère et tous leurs frères et sœurs avaient fréquenté l’école hébraïque et la synagogue et observé le Chabbat. Comme vous pouvez l’imaginer, ce fut pour moi une révélation majeure.
Comme je suis clairement métis, les gens ont toujours été curieux de connaître mes origines. Tout au long de mon enfance, je répondais : « Mon père est chinois et ma mère est Heinz 57 »,1 ce qui était une autre façon de dire : « une sorte de mélange générique de blanc ».
Mais voilà que j’avais soudain acquis une seconde identité, sauf que ce n’était ni une race, ni une religion, ni une ethnicité. J’avais tout à coup découvert que j’étais un Juif, et je n’avais aucune idée de ce que cela signifiait réellement. Je savais cependant que ce n’était pas une petite chose. Et je savais que je faisais désormais partie d’un groupe très clanique et uni, avec un passé commun jalonné de génocide, de persécutions, de controverse, et un rôle démesuré dans le cours de l’histoire du monde.
Franchement, cela faisait beaucoup à digérer.
Ma sœur le pensait aussi – je l’ai appelée dès ma découverte.
« Je le savais ! », a-t-elle dit. Je savais qu’elle fronçait les sourcils d’un air conspirateur à ce moment. « Alors qu’est-ce que cela signifie ? » a-t-elle demandé.
« Je ne sais pas ! Mais c’est quelque chose, c’est sûr... Je pense qu’on a le droit d’aller en Israël gratuitement. »
« Est-ce que nous voulons aller en Israël ? »
« Gratuitement ? Bien sûr ! »
« Haha, tu parles déjà comme un Juif ! »
« Tu es juive... »
J’avais découvert que j’étais un Juif, et je n’avais aucune idée de ce que cela signifiait.
Et c’est à peu près dans cet état que nous avons laissé les choses. Je n’ai jamais réussi à faire ce voyage « Taglit » en Israël et, mis à part quelques petites amies juives, je n’ai pratiquement pas eu de contacts avec la communauté, la culture ou la religion juives pendant les sept années qui suivirent.
Après avoir reçu mon diplôme universitaire, j’ai navigué d’un emploi à l’autre pendant quelques années. Finalement, je me suis retrouvé à travailler dans un salon de thé chinois à Austin, au Texas, à pratiquer une cérémonie du thé traditionnelle connue sous le nom de gong fu cha. J’avais toujours été attaché à mon héritage chinois et, bien qu’ayant grandi sans connaître la langue, j’ai cultivé un intérêt pour la culture chinoise depuis mon jeune âge. Le travail consistait principalement à servir le thé et à être charmant, et j’ai fait la connaissance de beaucoup de clients avec des connexions en Chine. En 2010, après avoir reçu ma feuille d’impôts et une lecture de tarot non sollicitée, je me suis installé à Chengdu, en Chine, pour travailler pour une ONG environnementale dont l’objet est la recherche sur la conservation de l’eau douce.
Début 2012, je parlais désormais couramment chinois, j’avais plusieurs emplois simultanés et je louais un petit appartement près du fleuve. Mes racines juives servaient essentiellement de prétexte pour prendre une cuite quand je rencontrais des voyageurs israéliens. C’est alors que ma cousine orthodoxe la plus âgée, celle qui m’avait déconcerté il y a toutes ces années, est venue me rendre visite. Elle m’a apporté un sidour et a commencé à m’initier à la prière juive et, finalement, elle m’a amené à ma première fête de Pourim.
La fête avait lieu au centre ‘Habad de Chengdu. Le jeune rabbin israélien, Dovi Henig, était arrivé avec sa femme une semaine plus tôt à peine, et la fête de Pourim était leur premier événement majeur. Dovi et moi nous sommes tout de suite entendus. Il était fasciné par mon ignorance quasi totale de mon propre patrimoine et semblait prendre un réel plaisir à répondre à mes questions sur les aspects les plus fondamentaux du Judaïsme. J’ai fini par lui rendre visite presque tous les jours les deux semaines suivantes et, au bout d’un mois, il m’a fait célébrer ma bar-mistva.
Et maintenant me voilà en train d’écrire un article pour un site internet dont je n’aurais pas été capable de prononcer le nom il y a un an. J’ai célébré Pourim, Pessa’h, Lag BaOmer et de nombreux Chabbatot, et j’ai mis les téfilines une douzaine de fois.
Est-ce que je sais maintenant ce que signifie être juif ? Pas vraiment. C’est quelque chose que je suis en train d’apprendre lentement. Mais j’ai découvert ce qu’est le sentiment d’être juif.
C’est le sentiment d’appartenir à une famille.
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