La transformation réciproque de la matière et de l’énergie est un thème majeur aussi bien de la physique moderne que du mysticisme juif. Ces intéressants parallèles nous donnent une vision intégrée de nous-mêmes en tant que Juifs au sein du vaste univers.
Les parallèles entre la mystique et la science
La sécularisation de la vision du monde de l’homme occidental au cours de la « révolution scientifique » des trois derniers siècles a engendré une dichotomie profonde entre ses croyances religieuses et mystiques et sa perspective intellectuelle et scientifique. Les découvertes spectaculaires dans le domaine des sciences physiques au cours de ce siècle n’ont pas encore profondément affecté cet aspect de la Weltanschauung de base de l’homme moderne. Toutefois, si l’on explore les ramifications philosophiques de certaines de ces découvertes, ce qui ressort de cette analyse est une perception scientifique de l’univers qui, dans une large mesure, a convergé vers celle de l’optique mystique traditionnelle qui est au cœur de la pensée religieuse.
Dualité énergie-matière ; unité sous-jacente de la réalité physique
En mécanique classique, une distinction fondamentale fut maintenue entre la matière et l’énergie. Les diverses manifestations de l’énergie (électrique, chimique, thermique, gravitationnelle, etc) peuvent être transformées de l’une à l’autre, comme peuvent l’être les divers états de la matière. Cependant, les domaines de la matière et de l’énergie demeurent entièrement disjoints, chaque domaine conservant sa propre intégrité et étant soumis à sa propre loi de conservation. Ce genre de dualité où le physique (la matière) est séparé de l’analogue du spirituel (l’énergie) est au cœur de la physique classique. En revanche, un principe cardinal de la physique moderne est la parfaite unité de l’univers. La matière et l’énergie ne sont que des manifestations différentes de la même réalité physique sous-jacente. Comme prédit par la théorie de la relativité restreinte d’Einstein, la matière peut être transformée en énergie et vice versa.
Matière et énergie sont deux manifestations de la Volonté Divine et peuvent être librement échangées et transforméesCette synthèse est encore plus spectaculairement en évidence dans la théorie de l’électrodynamique quantique. Le tableau que dépeint l’électrodynamique quantique du terrain sous-jacent de la réalité – de la nature même de l’espace – est profondément différent de la conception statique de la théorie classique. L’univers y est considéré comme continuellement impliqué dans des transformations dans lesquelles la matière et l’énergie sont spontanément créées et détruites. La matière sous forme de paires particules-antiparticules vient instantanément à l’existence et disparaît. Bien que cette dialectique fondamentale ne soit pas directement observable, ses manifestations apparaissent dans des phénomènes tels que la polarisation du vide,1 le Zitterbewegung (oscillations de fréquences extrêmement élevées dans la valeur attendue de la vitesse) et le décalage de Lamb (Lamb shift), phénomènes qui font l’électrodynamique quantique l’une des théories les plus précisément vérifiées de toute la physique d’un point de vue expérimental.
Ratso Vechov
Cette image correspond de manière frappante à la perspective de la Torah. Dans la mystique juive, la dialectique ultime de l’univers physique est décrite comme un processus continu de Ratso et Chov.2 Le Ratso désigne l’union mystique du fini avec D.ieu : la perte d’identité, de la perception de soi et, finalement, l’annulation du physique qui accompagne un plongeon spontané en la Source Transcendante Infinie de l’univers. Chov signifie le retour à la réalité physique, la redescente dans l’univers matériel en tant qu’entité différenciée portée à l’existence sur l’ordre de la Volonté Divine. Bien que la perspective de la Torah donne une description bien plus profonde de la dynamique du processus décrit (finalité divine, et non fluctuations spontanées inexplicables), sur le plan phénoménologique, les descriptions de cette dialectique ultime sont remarquablement proches.
Bien sûr, l’unité ultime de toutes choses comme des manifestations de la Volonté Divine est l’image centrale de la mystique juive. Tout comme le potentiel de l’infini, de l’abstrait, de l’amorphe – c’est-à-dire le spirituel et son analogue physique : l’énergie –, émane de Lui, de même le potentiel du fini, du limité, du catégorisé – c’est-à-dire le matériel – émane également de Lui. Ainsi, le physique et le spirituel, la matière et l’énergie, sont deux manifestations de la Volonté Divine qui sous-tend la réalité et peuvent donc être librement échangés et transformés. Ici aussi, nous avons un parallèle presque exact de la dualité matière-énergie de la relativité restreinte.
La dualité sujet-objet
Un autre exemple de la dualité qui régnait dans la physique classique est la différenciation nette entre le sujet observant et l’objet observé. Pour la mécanique classique, l’homme – l’observateur subjectif – peut être considéré comme étant totalement séparé de l’objet de son observation. Ses interactions avec cet objet sont totalement négligeables au regard du processus d’observation. La vie subjective et intérieure de l’homme est déconnectée de la réalité extérieure et objective de l’univers qui l’entoure. Ceci est en opposition directe à la vision de la mécanique quantique. Dans celle-ci, une telle dualité n’existe pas. L’observateur (le sujet) et l’observé (l’objet) ne peuvent être décrits que comme des parties d’un système global. Le processus d’observation lui-même modifie l’état du système, c’est-à-dire les conditions de la chose même à observer. La vie intérieure et l’univers extérieur, l’homme et son environnement, constituent une entité indissoluble. Dès lors, toute idée de séparation, toute dualité fausse la situation réelle au point de rendre le système qui en résulte vide de sens.
La vie intérieure et l’univers extérieur, l’homme et son environnement, constituent une entité indissolubleDans la philosophie mystique juive, il y a semblablement une image profondément holistique de l’homme comme part de l’ensemble de la réalité. Dans une certaine mesure, cela se traduit par l’apposition microcosme-macrocosme dans laquelle l’univers – le macrocosme – est considéré comme un reflet et une manifestation de l’archétype – l’homme, et simultanément l’homme reflète et manifeste la structure de l’univers.3 La théorie sous-jacente de cette relation réciproque est que chaque aspect de l’univers est une révélation des énergies créatrices divines. Par conséquent, à tous les niveaux du processus cosmogonique s’exprime le schéma des mêmes énergies créatrices divines primaires – un « homéomorphisme » –, que ce soit au niveau de l’individu, de celui de la société humaine ou de la totalité de l’univers.
Environnements extérieur et intérieur : une relation réflexive
Une autre manière à travers laquelle la mystique juive dément toute distinction artificielle entre sujet et objet est sa représentation de l’homme comme celui qui intériorise son environnement.4 L’homme ne peut pas demeurer un observateur séparé et objectif. Il intériorise toutes les expériences extérieures auxquelles il est exposé et les intègre dans son être même.
Les actions de l’homme affectent profondément sur les plans physique et métaphysique la nature même du monde autour de luiLorsqu’il est exposé au potentiel de mal dans le monde, l’homme ne reste pas déconnecté de cette réalité. Il assimile une partie de ce mal en lui-même, rendant ainsi ses efforts pour surmonter sa nature grossière beaucoup plus difficiles. La nature de l’environnement dans lequel vit l’homme affecte profondément sa perception et sa compréhension du monde autour de lui. D’un autre côté, les actions de l’homme, la manière dont il se comporte dans le monde, affectent profondément sur le plan physique ainsi que métaphysique la nature même du monde autour de lui.
En contraste marqué avec la plupart des systèmes mystiques, la mystique juive est profondément orientée vers l’action. Les élans les plus exaltés de la spéculation métaphysique, les états les plus sublimes d’union mystique extatique sont une perversion sans valeur de la finalité de l’homme si elles ne sont pas couplées avec un bekheïn, une conséquence pratique constructive à l’égard de la vie de l’homme et de ses relations dans l’ici et maintenant, dans le monde matériel qui l’entoure. Que ce soit pour le sensibiliser dans le cadre de ses relations avec ses semblables ou de l’inspirer de nouveau à plus de dévotion envers son Créateur à travers ses actions (mitsvot) dans ce monde, il est fondamental que son comportement connaisse des évolutions positives. L’homme, le sujet intérieur, et son univers, l’objet extérieur, doivent devenir un ensemble synthétique.
[Condensé de l’article original et réimprimé avec la permission de B'Or HaTorah vol. I (1982), pp 35-40.]
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