12 Adar Richon (14 février). Minuit et demi.
Hôtel Bolchaya Moskowskaya, chambre 16 :
La réunion commença à midi un quart et s’acheva à quatre heures trente. Les comptes furent examinés. Les dépenses à envisager furent débattues. On parla et l’on échangea à propos de l’organisation du travail manuel. Les rabbanim G..., K... et M... s’opposèrent au Rav M... et à Monsieur A.H... et obtinrent que l’organisation et la subvention du travail manuel soit dirigée par l’organe central, comme ce fut le cas jusqu’ici. Pendant un long moment, il y eut un échange pour savoir si tous iraient voir le docteur ou si je devais m’y rendre seul et pour déterminer le montant de la participation qui lui serait demandée. Il fut décidé que je partirais seul et lui demanderais la somme qui me semblerait judicieuse en fonction de la situation du moment.
Nous priâmes Min’ha avec un minyane et décidâmes de nous rencontrer le lendemain à trois heures de l’après-midi, dans la maison de Rav Ch. I... à l’occasion d’un repas de fiançailles.
Le Trésorier, Monsieur G. et moi, nous sommes rendus chez le docteur. Nous sommes venus au moment convenu, à cinq heures. Le docteur sortit à notre rencontre et je vis qu’il était de bonne humeur. Je compris qu’une de ses réalisations publiques s’était achevée de façon fructueuse et qu’il en était satisfait, car il aimait les réalisations qui s’avéraient positives quel qu’en soit le domaine.
« Tous ceux qui participent à ce combat dans lequel ils risquent leur vie sont des élèves de la yéchiva Tom’hei Temimim. »Il nous fit entrer dans son bureau et dit avec une satisfaction évidente :
« Hier, lorsque je me suis rendu à la banque et aujourd’hui, à mon bureau, j’ai entendu parler de vous et de votre travail considérable dans différents secteurs du pays, dans le domaine de la religion et en ce qui concerne la subsistance quotidienne.
« J’ai visité hier la banque juive et Monsieur Fuchs, A.L... et Monsieur Orenson m’ont fait part des résultats positifs de vos efforts dans votre campagne pour le travail manuel. Outre le fait que vous venez en aide à des dizaines de familles pour l’achat de différentes machines de tissage, de couture et de travail du bronze pour la fabrication des boutons et des lacets, vous avez conduit des centaines de familles à s’intéresser au travail manuel.
« Hier et aujourd’hui, m’ont rendu visite différentes personnes des régions de Kiev, de Poltava, de Jitomir, de Minsk et de Vitebsk. Tous m’ont rapporté que des jeunes gens sont venus les voir dans leur ville. En secret, ils se sont déclaré être des émissaires du Rabbi Schneersohn, venus leur souligner l’importance du travail manuel. À certains, de l’aide et un soutien ont été promis pour acheter des machines de travail. Tout cela a fait grand effet.
« Toutes ces réalisations m’ont enthousiasmé et je suis prêt à vous aider en cela de tout mon pouvoir. Je vois là une possibilité d’assurer la subsistance de milliers d’âmes. »
* * *
À cet instant, je sus que D.ieu m’avait bien inspiré et que la proposition que j’avais faite au trésorier, Monsieur G..., était exacte.
Après que nous ayons quitté la réunion, nous nous rendîmes, Monsieur G... et moi, chez mon ami le ‘hassid Reb Barou’h Chalom Cohen à Zaradyé pour prendre notre déjeuner.
Monsieur G... me fit part de la discussion qu’avaient eue les participants à la réunion après mon départ, lorsque je les avais laissé statuer sur les deux questions que je leur avais soumises. Tous, à l’unanimité, avaient reconnu l’importance de mon travail et reconnu mon impartialité qui ne faisait aucune différence entre les ‘hassidim et les ashkenazim. Pendant cinq ans, il n’advint pas une seule fois que les ‘hassidim soient favorisés. De plus, tous ceux qui participent à ce combat dans lequel ils risquent leur vie sont des élèves de la yéchiva Tom’hei Temimim. Rav I.K... souligna que, sans cette action lancée dans ce pays et à l’extérieur de celui-ci, il eut été impossible de recevoir, fut-ce même le dixième de ce qui était actuellement reçu. Il fut donc décidé que je parte seul et que je sois seul juge de ce que je dirais et de ce que je proposerais au docteur.
– Je suis absolument convaincu, dis-je à Monsieur G..., qu’il est possible de lui demander qu’il double sa participation aux subsides pour les travailleurs manuels. Je ne sais pas encore de quelle façon aborder le problème. Mais D.ieu me viendra sans doute en aide sur ce point également. Il est dit « les méandres de la pensée appartiennent au cœur de l’homme ». Il faut donc préparer son cœur pour qu’il reçoive D.ieu. Alors, on peut être certain que se réalisera « le don de la parole vient de D.ieu ».
En nous rendant chez le docteur, nous discutâmes ensemble de l’idée de doubler la subvention au travail manuel, mais nous ne savions comment introduire cette idée. Aussi, lorsque le docteur commença, de lui-même, à faire l’éloge de cette action pour le travail manuel, j’y voyais une allusion de la Divine Providence pour me permettre d’exprimer ma proposition. Je dis :
– C’est vrai, cela fait trois ans que je mène cette action pour le travail manuel. Pendant les deux premières années, les résultats ont été maigres, si ce n’est à Rostov dans le domaine de la fabrication des cigarettes et du tissage dans les régions de Tchernikhov et de Mohliv. Cette année, en revanche, mon action a été fructueuse. Ceux qui ont témoigné leur intérêt pour le travail manuel se sont multipliés. Je suis donc venu vous proposer d’importer des machines qui, pour partie, seront distribuées gratuitement et, pour le reste, seront payées en versements échelonnés.
– L’importation de l’étranger est particulièrement difficile. Je suis, par contre, disposé à vous aider à acheter ces équipements dans le pays. J’aimerai que vous me fassiez une proposition en ce sens.
– Le programme que propose l’organisation pour la diffusion du travail manuel parmi les Juifs fixe que, dans les mois à venir, différentes machines pour le travail soient distribuées, pour un montant de soixante mille Ch. Celles-ci peuvent être achetées dans le pays.
– Dans quel délai avez-vous besoin de cette somme ?
– La moitié suffira pour l’instant. Dans quatre ou cinq semaines, il en faudra vingt pour cent de plus et le reste sera nécessaire dans huit à dix semaines.
Le docteur s’enfonça dans ses pensées. À l’aide de son crayon, il griffonna sur un bout de papier. Mon cœur s’adressait à D.ieu et je L’implorai de susciter la miséricorde céleste, par le mérite de mes ancêtres, les Rebbeïm, et de bien inspirer le docteur afin qu’il prenne en charge cette subvention.
– C’est d’accord. Je vous donnerai la somme aux dates dites, la moitié tout de suite, vingt pour cent dans un mois et trente pour cent dans deux mois. (Puis, se tournant vers Monsieur G...) Pouvez-vous venir demain à midi pour recevoir le premier versement ? Je ferai part de tout cela à mon adjoint et à mon économe qui vous donneront les deux paiements suivants, car, dans deux semaines, je m’apprête à voyager à l’étranger.
– Je voudrais maintenant vous parler de l’action de renforcement des institutions religieuses, des lieux de Torah, des yéchivot, des ‘hadarim, du financement des rabbanim et des cho’hatim.
« Après la décision de la Yevsektsia de briser notre organisation et de me faire emprisonner, il est nécessaire de renforcer et de consolider notre œuvre. »– En effet, j’ai entendu parler de votre action pour envoyer des rabbanim, des cho’hatim et des enseignants dans les villages de Crimée. J’ai eu, la semaine dernière, la visite du professeur ‘Hawkin, que vous connaissez depuis l’an dernier. Il revenait d’une tournée dans ces villages. Il s’est enquis partout des institutions religieuses également et il s’émerveilla devant les écoles, les rabbanim, les cho’hatim, les enseignants, les lieux de prière publique. Il lui a été rapporté que tout ceci était l’œuvre du Rabbi Schneersohn. Il a exprimé le souhait de vous rencontrer. Pour l’heure, il fait un voyage de recherche sur la fièvre, à laquelle il se consacre depuis une quarantaine d’années, dans les villes du Caucase. Il y restera environ deux mois. Il serait bon que vous vous rencontriez lorsqu’il sera de retour à Moscou. Il en résultera le plus grand bien pour les besoins publics.
Hier, j’ai eu la visite d’un jeune homme, l’un de mes proches parents, le fils de ma sœur, qui fait partie de l’association des jeunes Juifs contre la religion. Il a participé à la réunion du comité pour la destruction de la religion. Le directeur de la Yevsektsia, Litvakov, a tenu un discours corrosif contre les rabbins qui s’opposent à ses desseins de façon acharnée et en particulier contre le Rabbi Schneersohn qui a mis sur pied une puissante organisation dans l’ensemble du pays, fait fonctionner des maisons d’étude, des écoles, des rabbanim et des cho’hatim, a fait imprimer des rituels de prières, maintient en fonctionnement les bains rituels et en construit même de nouveaux, délègue des émissaires parmi ses disciples pour encourager les personnes âgées, a grande influence également sur ceux qui sont un peu plus jeunes et effectue son travail avec empressement et ruse.
« Savez-vous ce que j’ai appris ? poursuivit Litvakov, lisant un document rédigé à l’avance. Lorsque je suis arrivé dans la ville de Koulach, dans la région de Tiflis, le Savnarkom, le conseil municipal s’est réuni et j’ai tenu devant eux un discours. Lorsque mon intervention fut achevée, le maire se leva, me remercia pour mon discours, fit l’éloge de l’organisation centrale qui est à Moscou et m’a délégué auprès d’eux pour leur rendre visite et les encourager. “Je dois en outre vous remercier, me dit le maire, au nom de tous les camarades juifs pour le délégué que nous a envoyé l’organisation centrale de Moscou afin de construire un bain rituel pour nos femmes. Cela fait dix mois que ce bain rituel est achevé, près du bain public et je vous invite, me dit le maire, estimé représentant de l’organisation centrale de Moscou, à venir le visiter vous-même. Ainsi, vous pourrez en rendre compte aux membres du comité central et leur transmettre notre profonde reconnaissance.”
« Je compris, dit Litvakov, d’après différentes histoires que j’entendis dans plusieurs villes que je visitai au cours de mon voyage, qu’il y avait là une intervention de Schneersohn. Il me fallut contenir ma colère et sauver les apparences. Je sentais mon sang bouillir en moi. Le maire, innocemment, me raconta que, deux semaines après la visite du camarade Chevelyov, qui resta sur place pendant une semaine et parvint, au prix d’un grand effort, à fermer la synagogue et à la transformer en club et à fermer le bain rituel, les femmes protestèrent énergiquement contre cette fermeture. Un jeune délégué arriva alors, qui s’exprimait en russe avec aisance, accompagné d’un ami, qui parlait géorgien. Ils prétendirent être envoyés par l’organisation centrale pour rétablir le bain rituel comme auparavant. Ils leur proposèrent deux cents tchervontsy pour couvrir les dépenses de sa remise en fonctionnement. Mais ils les refusèrent. En quelques jours, ils réparèrent le bain rituel et ils firent appel au Rav Slavin, un élève de la yéchiva de Schneersohn, pour leur certifier sa conformité. La joie de leurs jeunes ne connut alors aucune limite. Je suis allé avec eux voir ce bain rituel et, en voyant leur grande satisfaction, je n’osai pas leur dire la vérité. En tout état de cause, je savais que cela ne servirait à rien.
« Lorsque je vins à la dernière réunion avant de repartir, le maire me tendit une pétition signée par cent vingt-neuf camarades, avec le seau du Savnarkom local pour fermer le club et rétablir la synagogue afin que l’on puisse y célébrer les offices comme auparavant. “Les émissaires qui étaient là précédemment, me dit-il, m’ont affirmé que si cinquante personnes signaient une pétition en ce sens, il serait possible de rétablir la synagogue.”
Ainsi le stipulait la loi. En l’occurrence, les signatures de cent vingt-neuf camarades ont bien été obtenues. Je vous fais donc part de cette pétition. »
Et le directeur Litvakov leur donna lecture de la lettre des membres du Savnarkom de Koulach.
« De même, lorsque j’arrivai à Oni, je m’aperçus qu’après le départ du camarade Chevelyov de cette ville, lorsque la synagogue avait été fermée et le bain rituel bouché, les jeunes gens étaient venus et s’étaient adressés à eux au nom de l’organisation centrale, leur avaient donné trois cents tchervontsy, avaient ouvert et arrangé le bain rituel, convoqué le Rav Perlov, un élève de la yéchiva de Schneersohn, pour certifier sa validité, avaient retiré le club des locaux de la synagogue et y avaient rétabli les offices qui y ont encore lieu maintenant.
« Il est une honte et un déshonneur, poursuivit le directeur Litvakov, lisant son discours, pour la direction de l’association des jeunes Juifs contre la religion que nous n’ayons pas le pouvoir de lui fermer la bouche, de ligoter les bras d’un homme qui, à lui seul, casse notre travail.
« En fait, dit Litvakov en interpellant les présents, notre camarade Dimitri a bien raison. Il est l’auteur de ce discours. N’avons-nous pas le pouvoir de faire taire Schneersohn, de lier ses mains ? Acceptons tous ensemble de faire emprisonner Schneersohn pour le reste de sa vie. Ainsi, en peu de temps, son organisation sera démantelée. Nos camarades de Leningrad, poursuivit Litvakov, m’ont fait savoir qu’hier soir Schneersohn s’était rendu à Moscou. Je propose de nommer un comité de trois membres des jeunes Juifs pour la destruction de la religion. Eux trois prendront la responsabilité de l’emprisonnement de Schneersohn et du démantèlement de son organisation. »
Tous les présents acceptèrent à l’unanimité.
Je poursuivais mon dialogue avec le docteur.
– Désormais, après la décision de la direction et des membres de la Yevsektsia de briser notre organisation et de me faire emprisonner, il est nécessaire de renforcer et de consolider notre œuvre. Et de grands moyens sont indispensables pour cela.
– Mais il y a tout juste deux semaines que je vous ai donné vingt mille Ch. !
– C’est vrai. Ces vingt mille Ch. étaient destinés à couvrir les dépenses de la subvention de la demi-année passée, de Roch Hachana à Adar. Maintenant, il nous faut envisager le budget de la seconde demi-année, d’Adar Cheni à Eloul. Je me chargerai d’en trouver une bonne partie et vous devez donc couvrir le reste.
– Combien ?
– Ce ne sera pas plus que quarante mille Ch.
– Et pas moins que ?
– Quarante mille Ch.
– Bien, en deux fois. Mais, à mon avis, vous devriez vous méfier. Les membres de la Yevsektsia sont décidés et prêts à tout.
Le docteur et Monsieur G... se rendirent à son bureau pour fixer les versements financiers. Je restai seul. Lorsqu’ils revinrent, je lui dis au revoir et le docteur me raccompagna. Lorsque nous sortîmes, il était sept heures du soir. Je savais que je ne pourrais rester dans ma chambre, au Bolchaya Moskowskaya, qu’à onze heures. Nous partîmes donc visiter Monsieur Ostrawsky et Monsieur Chneerov.
* * *
Lorsque je me trouvai chez Chneerov, j’eus l’idée de rendre visite à Monsieur Orinson pour lui décrire la situation actuelle et lui demander son avis sur le comportement à adopter. Je sus, grâce au téléphone, qu’il était chez lui. Je m’y rendis donc.
« Calmez-vous. Je n’ai pas peur. Je passerai normalement par la porte. »Monsieur G... voulut m’accompagner, mais je l’en décourageai. Je lui demandai de ne pas m’appeler au téléphone. Le lendemain, à midi, nous nous retrouverions, avec l’aide de D.ieu, chez Rabbi Barou’h Chalom Cohen.
Monsieur Orinson me réserva un bon accueil, écouta, avec une attention toute particulière, tout ce que je lui racontai. Il m’affirma qu’ici, à Moscou, la Yevsektsia n’avait aucun pouvoir auprès de la police régulière et encore moins auprès du K.G.B. qui, bien au contraire, était opposé à son action. Il est de notoriété publique que Liechtineski avait dit que « la Yevsektsia est un trompe-l’œil pour le gouvernement ».
« Elle peut à la rigueur vous effrayer, mais guère plus, me dit Orinson. Si quelqu’un se présente, même en compagnie d’un commissaire de police, il n’y a pas lieu d’avoir peur. Bien au contraire, il faut être fort, demander au policier sa carte et se renseigner au commissariat. »
Monsieur Orinson me donna un numéro de téléphone d’un département particulier du commissariat central qui ne figurait pas dans l’annuaire. Si un policier se présentait, il faudrait interroger ce département pour savoir s’il était habilité à me poser ses questions.
Monsieur Orinson me raconta que les chefs de la communauté avaient tenu une réunion secrète à la banque juive, en présence de Monsieur R. Il avait été question de l’action importante qui était réalisée dans tout le pays. Monsieur Fuchs et Monsieur Mendel parlèrent de mon succès dans le domaine du travail manuel et dirent qu’à leur avis, la banque juive devait participer à cette campagne.
Cette fois-ci, Monsieur Orinson me témoigna beaucoup plus de sympathie qu’auparavant. Lorsque je me levai pour partir, il me dit qu’il avait un ami qu’il connaissait depuis de nombreuses années. Il était un des membres du comité suprême et secret. Ce jour même, il lui avait rendu visite chez lui. Lorsque je l’avais appelé au téléphone, de la maison de Chneerov, il était assis auprès de lui. Il lui avait parlé de ses origines et de son travail. Il avait été surpris d’apprendre qu’il était issu de la famille Lioubinski de Sasnitsa, dans la région de Tchernikhov, qui avait un lien de parenté avec les Schneersohn. Il désirait donc me connaître personnellement. Monsieur Orinson me promit que, lors de ma prochaine visite à Moscou, il nous ménagerait une entrevue chez lui.
* * *
Après mon départ de chez Monsieur Orinson, je rencontrai près de la porte Warwarsky, Reb Mendel Elkind. Il me dit qu’il revenait de l’hôtel St Warwarsky, car il voulait me voir. Il me proposa de me rendre dans sa propriété et de m’y reposer pendant un jour ou deux. Je le remerciai pour sa gentille invitation qu’il ne m’était pas possible d’accepter cette fois-ci, car ces jours étaient emplis d’une activité intense.
Lorsque j’arrivai à l’hôtel St Warwarsky, j’entrai dans ma chambre et fus suivi par l’employé Kouznetsov. Il me dit que l’on était venu me chercher à quatre reprises dans le courant de la journée. Il s’agissait de jeunes gens. Une fois, ils vinrent même avec un policier. L’employé de la réception que je connaissais ajouta qu’il ne s’agissait pas d’un policier du district et qu’il ne le connaissait pas. L’employé Kratov, celui qui m’avait effrayé le matin et avait cherché à se disputer avec moi, avait laissé un ordre impératif pour que, dès le retour de Schneersohn, le locataire de la chambre 67, on l’appelle immédiatement par téléphone au numéro qu’il avait laissé. J’ai estimé qu’il était de mon devoir, me dit Kouznetsov, de vous raconter tout ce que j’ai entendu. Toute la journée, l’employé Kratov était emporté, hors de lui. Il a juré de se venger de façon violente de Schneersohn.
Lorsqu’il résidait encore dans la maison de ses parents, à Amtsislav, dans la région de Mohliv, il entendit parler de la famille Schneersohn de Loubavitch. Pendant les jours obscurs de la cinquième année, 5665 (1905), alors qu’il était âgé de quinze ans, il dut abandonner sa ville natale d’Amtsislav pour se rendre chez son oncle, le frère de son père. Celui-ci enseignait dans l’un des ‘hadarim du Rabbi Schneersohn à Loubavitch. Pendant les quatre mois qu’il passa chez son oncle le professeur, le directeur (c’est ainsi que l’on appelait le fils du Rabbi Schneersohn) qui gérait la yéchiva et les ‘hadarim, ne le laissait pas tranquille. Il ordonna qu’on le surveille sans cesse. Maintenant, il désirait se venger.
Je dois dire, poursuivit Kouznetsov que, dans les trois derniers mois, depuis que la direction de l’hôtel a été confiée à Kratov, il a inspiré la crainte, par sa méchanceté et sa cruauté, à tous les employés de la réception et à tout le personnel de l’hôtel. Outre tous ses défauts, il se complait dans la diffamation.
Je dis à Kouznetsov que, dans le quart d’heure, je déciderai si je passerai la nuit là où si je partirai. Si je décidai de rester, il devrait faire ce que Kratov lui avait ordonné.
Kouznetsov partit et je commençai à réfléchir, trouvant des arguments aussi bien dans un sens que dans l’autre. Je n’ai pas peur du tout. Mais, d’une façon comme d’une autre, il en résultera toute une histoire. On pourra me calomnier, me conduire au commissariat pour enquêter, trouver le moyen de me retarder d’un jour ou deux. Ceci aurait une conséquence négative sur l’avancement des choses. Je décidai donc de quitter l’hôtel, de prendre mon sac et mon bâton et de me retirer.
Lorsque je sortis, je vis Kouznetsov qui marchait à ma rencontre, les yeux pincés, le visage blanc comme de la chaux. D’une voix tremblante, il me dit :
« On vient d’appeler par téléphone pour savoir si Schneersohn avait regagné sa chambre. Le jeune garçon, l’aide-standardiste a répondu que vous étiez dans la chambre 67. Vous ne pouvez donc plus maintenant passer par l’entrée. Que faire ? »
« Calmez-vous. Je n’ai pas peur. Je passerai normalement par la porte. »
Nous avancions lorsque le jeune garçon, l’aide-standardiste vint vers nous. Il dit à l’employé qu’on le demandait au téléphone. Puis, il revint sur ses pas. L’employé se dépêcha de le suivre. Moi, j’avançai lentement, perdu dans mes pensées. Lorsque je passai devant la réception de l’hôtel, l’employé me chuchota que son collègue du Bolchaya Moskowskaya lui avait demandé de me transmettre qu’il m’attendait devant la porte des cuisines. Je le priai de lui faire part de ma reconnaissance. Qu’il ne m’attende cependant pas là-bas, car je viendrai par la porte, normalement.
Descendant vers l’entrée, je vis que Rabbi Barou’h Chalom Cohen était là. Je lui demandai pourquoi il était venu à une heure aussi tardive.
– Je suis venu vous prévenir de l’arrivée des élèves Bentsion et Avraham Yossef, me dit-il.
Je lui dis que je les verrai le lendemain à neuf heures du matin chez lui. Rabbi Barou’h Chalom partit. Je me rendis à l’hôtel Bolchaya Moskowskaya. Je passai normalement par la porte et je fus bien reçu par l’employé.
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