Les histoires de nos ancêtres sont dépeintes avec une palette de visions mystiques, de révélations divines et de communication avec des êtres non physiques. Pourtant, la Torah, Kabbale comprise, n’est pas définie par ces visions. L’événement central de l’histoire juive est la révélation au mont Sinaï, où « tout le peuple vit les sons et les éclairs ».

La révélation au Sinaï fut avant tout l’expérience de la vérité profonde

Imaginons que vous ayez vécu peu de temps après l’événement. Imaginons que vous ayez demandé aux gens qui y avaient assisté : « Racontez-moi ce qui s’est passé. »

Que pensez-vous qu’ils vous auraient raconté ?

« On nous a dit de ne pas avoir d’autres dieux » ?

« On nous a dit d’honorer nos parents, de ne pas voler ou d’assassiner » ?

Je ne pense pas.

Il est plus probable que leur réponse aurait été quelque chose comme ceci :

« Nous avons vu tous les secrets du cosmos exposés devant nous. Nous avons vu comment chaque chose est portée à l’existence à chaque instant. Nous avons vu qu’il n’existe véritablement rien d’autre que le Créateur unique, et tout le reste est seulement un ensemble d’articulations de Sa volonté. »

Les commandements eux-mêmes – ne pas avoir d’autres dieux, honorer ses parents, ne pas voler ou tuer – furent seulement le contenu de cette expérience. Le média, l’expérience, là était le cœur du message. C’est dans cette expérience mystique que notre peuple est né – l’expérience d’un monde, dans lequel « de toutes les directions, D.ieu leur parla ». Ils virent l’ensemble de la réalité comme rien d’autre que les paroles d’une origine unique et inconnaissable de toute chose. Et ils entrèrent en communion avec cette source.

Pendant pratiquement mille ans après la révélation au mont Sinaï, l’expérience juive resta définie par la prophétie. La sagesse était transmise au peuple par l’intermédiaire de prophètes et de voyants, des hommes et des femmes qui se séparaient des convoitises et des vanités humaines afin d’atteindre une vision claire des dimensions profondes. Pourtant, aucune de ces visions n’apporta une nouvelle révélation qui ait ajouté ou soustrait quoi que ce soit à la Torah. Elles vinrent seulement affirmer, clarifier et maintenir la vision du Sinaï.

L’ère de la prophétie prit fin au début de la période du Deuxième Temple, mais la révélation divine et la vision mystique ne disparurent jamais. Et les receveurs de cette sagesse ne furent jamais en marge de la tradition juive. Beaucoup, sinon la majorité, des maîtres les plus connus de « l’âme » de la Torah étaient également les maîtres établis du « corps » de la pratique de la Torah. Rabbi Akiva est souvent considéré comme le père de la Michna, et le Talmud comme le Sefer HaBahir décrivent ses voyages mystiques. Son élève, Rabbi Chimone Bar Yo’haï, fut l’auteur de l’œuvre classique de la Kabbale, le Zohar, et ses opinions imprègnent chaque section du Talmud.

À certains moments, et dans certains endroits, la recherche philosophique a poussé de côté la tradition reçue pour dominer la pensée juive. Cependant, cela n’a jamais été considéré comme la théologie juive originale, mais plutôt comme une sorte de greffage de vignes étrangères. La philosophie procède du bas vers le haut, s’efforçant de créer une vision unique à partir de pièces disparates. La Kabbale fait l’inverse, en commençant par une claire vision holistique et s’efforce de transmettre cette vision aux autres. Néanmoins, en particulier après l’expulsion d’Espagne, le rationalisme et une grande partie de la terminologie des philosophes se virent intégrés à la Sagesse holistique de la Kabbale. Le résultat en fut un essor et une popularité sans précédent de la pensée kabbalistique.

L’analyse philosophique ne fut jamais considérée comme notre théologie authentique. Toutefois, la Kabbale en profita par la suite à travers la synthèse qui les réunit.

À l’époque cruciale où la halakha fut codifiée et établie (depuis l’expulsion d’Espagne jusqu’à la moitié du 17ème siècle), presque tous les grands savants étaient pétris de Kabbale. Rabbi Joseph Caro, auteur du Code de loi juive, le Choul’hane Aroukh, Rabbi Moché Isserlès, dont les gloses rendirent ce code acceptable pour le monde juif ashkénaze, ainsi que la plupart des commentateurs de ce code furent également des auteurs d’œuvres kabbalistiques. Même le sermon populaire à la synagogue était souvent habillé et garni de références kabbalistiques.

Pour la plupart des Juifs originaires des pays musulmans, le Zohar est aussi sacré que le Livre des Psaumes. Le mouvement ‘hassidique émergea directement de la Kabbale. Les opposants initiaux au mouvement ‘hassidique, comme Rabbi Eliahou, le « Gaon de Vilna », étaient des maîtres de la Kabbale. De nombreux commentaires du Pentateuque, parmi les plus classiques d’entre eux étudiés de nos jours, sont pleins de références aux idées kabbalistiques.

C’est pourquoi tenter de comprendre l’expérience juive sans une compréhension de la Kabbale est comme analyser le comportement d’une personne sans savoir ce qui se passe dans son esprit. Les grands Juifs des temps jadis qui n’avaient pas gouté à la Kabbale ressentaient intuitivement cette âme profonde dans la Torah qu’ils étudiaient, dans leurs prières et dans leur pratique des mitsvot. Dans toutes ces choses, leurs âmes rayonnaient. Au cours des siècles, à mesure que le monde devint un endroit plus stérile, plus matérialiste et plus confus, cette âme s’exténua et tomba en léthargie. De nos jours, le moyen le plus efficace pour une personne réfléchie de ressentir l’âme de l’expérience juive est de goûter à ses secrets intérieurs. Aujourd’hui, le Judaïsme sans la Kabbale est un corps dépouillé de son âme.

L’étude de la Kabbale de nos jours est vitale pour une raison encore plus importante : en tant qu’étape essentielle dans l’évolution finale de l’humanité. Nous y reviendrons.