Lorsque l’on proclame que la Délivrance messianique est proche, qu’elle se tient au pas de notre porte, cela suscite un étonnement : comment cette Délivrance pourrait-elle intervenir alors que de si nombreux Juifs n’observent pas la Torah et ses mitsvot, qu’il y a tellement de profanation du nom de D.ieu, etc ? Ce sont pourtant nos péchés qui sont à l’origine de l’exil.1 Dès lors, quand il y a autant de péchés, comment la Délivrance pourrait-elle se faire ?

Cette question découle de l’idée selon laquelle l’avènement messianique ne pourra avoir lieu que lorsque l’ensemble du peuple juif sera retourné à la Torah et que les fautes et les péchés auront disparu. Cette idée demande à être clarifiée. Nous savons en effet que la rectification du monde et le retour des Juifs aux voies de la Torah font partie de la tâche que le Machia’h doit accomplir, ce qui implique qu’il apparaît avant que le peuple juif et le monde n’aient atteint cette perfection. Dans les paroles des Prophètes, il est également mentionné que ce n’est que lorsque « résonnera le Grand Chofar » que retourneront « ceux qui étaient égarés dans le pays d'Achour et ceux qui étaient éloignés en terre d'Égypte »,2 ce qui témoigne du fait que seule la lumière de la Délivrance les fera s’amender.

Téchouva et Délivrance

Certes, l’exil est venu « à cause de nos péchés » et la Délivrance sera le fruit de la téchouva, comme le dit le Talmud3 :

« Toutes les échéances sont dépassées et la chose ne dépend désormais que de la téchouva. »

Toutefois, il est nécessaire de préciser ici deux choses : quelle est la nature de cette téchouva qui est demandée pour déclencher la Délivrance et, si celle-ci est une condition sine qua non, qu’est-ce qui permet de penser que le peuple juif tout entier reviendra un jour réellement de tout son cœur vers D.ieu ? La Délivrance ne peut-elle se faire avant que nous ayons fait une parfaite téchouva ?

Il y a, dans le Talmud, un désaccord à ce sujet entre Rabbi Eliézer et Rabbi Yéhochoua :

« Rabbi Eliézer dit : Si Israël fait téchouva, ils seront délivrés, et sinon, ils ne seront pas délivrés. »

Rabbi Yéhochoua ne conteste pas la nécessité de la téchouva avant la Délivrance, mais il refuse la formulation de Rabbi Eliézer « sinon, ils ne seront pas délivrés ». Selon lui, lorsque le moment de la Délivrance arrivera, rien ne pourra l’entraver. Si les Juifs font téchouva d’eux-mêmes, tant mieux. Dans le cas contraire, D.ieu les forcera à faire téchouva et à être ainsi délivrés :

« Le Saint béni soit-Il suscitera sur eux un roi dont les décrets seront durs comme Haman, et Israël fera téchouva et reviendra dans le droit chemin. »

Le Machia’h éveille au repentir

Dans les Lois sur le Repentir,4 le Rambam statue :

« Le peuple d’Israël ne sera délivré que grâce à la téchouva ; et la Torah a déjà assuré que les Juifs feront téchouva à la fin de leur exil, et ils seront alors immédiatement délivrés. »

C’est-à-dire que la Délivrance se fera après que le peuple juif se soit repenti, et la Torah a assuré que ceci interviendra à la fin de l’exil. Le libre arbitre nous est toutefois laissé de faire téchouva de nous-mêmes, ou d’attendre que D.ieu crée des circonstances qui nous contraindrons à faire téchouva.

Il ressort donc de l’ensemble des sources talmudiques que, dans une première étape de l’avènement messianique, l’époque dite du « Talon du Machia’h » sera marquée par une perte des valeurs et un affaiblissement de la moralité, et le peuple juif sera éloigné de la Torah et de la pratique des mitsvot. C’est alors, lorsque le fond sera atteint, que se fera la téchouva qui déclenchera la Délivrance.

Dans ce scénario, celui qui commence à éveiller le peuple à la téchouva est le Machia’h lui-même. Dans la mesure où la Délivrance ne s’est pas encore faite, il est évident que le Machia’h n’est pas encore révélé, toutefois il œuvre déjà à « amener tout Israël à suivre les chemins [de la Torah] et à en fortifier les positions », comme le décrit le Rambam dans les signes permettant de reconnaître le Machia’h avant sa révélation.5 Alors, si le peuple juif fait téchouva, la Délivrance se fera immédiatement, sans épreuves supplémentaires. Mais si l’appel à la téchouva reste sans réponse, D.ieu agira de manière à contraindre le peuple à la téchouva.

Un instant de repentir

Il demeure toutefois nécessaire de définir la sorte de téchouva que D.ieu attend pour déclencher la Délivrance. S’agit-il que le peuple juif tout entier revienne à la pratique du Judaïsme ? Et, dans ce cas, de quel degré de pratique parle-t-on ? Faut-il que tous les Juifs deviennent des tsadikim guemourim, des « justes parfaits », pour que Machia’h vienne ?

L’auteur du Min’hat Eleazar écrit6 : « Dire que la Délivrance ne pourra se faire avant que l’ensemble du peuple juif se soit repenti contredit de nombreux versets. » Et il amène pour preuve la description négative que le Talmud donne de la période du « Talon du Machia’h » et poursuit : « Au contraire, la majorité des gens seront dans cet état de dégradation morale, comment pourraient-ils mériter l’avènement messianique s’ils sont tous censés être des justes parfaits ? » Et il conclut : « De tels propos ne sont que mensonges et vanité. »

Si l’on se penche sur le chapitre7 de la Torah qui décrit la téchouva qui précédera l’avènement messianique, on y distingue deux niveaux de téchouva : d’abord une téchouva générale qui amènera la Délivrance :

« Et tu reviendras à l’Éternel ton D.ieu... et Il te rassemblera de parmi les nations. » ;

puis, après la Délivrance, une téchouva plus parfaite :

« Et tu reviendras, et tu écouteras la voix de D.ieu et tu accompliras tous Ses commandements. »

Le commentaire du Keli Yakar sur ces versets le dit explicitement : « Dès que tu auras décidé dans ton cœur de revenir pleinement vers D.ieu, bien que tu ne l’aies pas encore accompli dans la mesure souhaitable » la Délivrance viendra, si seulement « D.ieu verra sur toi des “signes de pureté” – que ton cœur est sincère –, mais qu’il t’est impossible d’accomplir concrètement tous Ses commandements, alors “D.ieu ramènera tes exilés”. » C’est-à-dire que la téchouva peut être immédiate : en un instant, s’éveiller et se tourner vers D.ieu « et immédiatement ils seront délivrés ».8

Le fait que des fautes demeureront au sein du peuple juif n’empêchera pas la Délivrance. Sur le verset « Il affranchira Israël de toutes ses fautes »,9 les commentateurs disent10 : « Les péchés eux-mêmes n’entraveront pas la Délivrance, car Il affranchira Israël de ses fautes. » Cela est également exprimé dans l’ordre des versets que l’on dit lors des prières de ta’hanoun (supplications) : d'abord, « Délivre Israël de tous ses malheurs », c’est-à-dire la sortie de l’exil, et seulement ensuite « Et Il affranchira Israël de toutes ses fautes ».11

Dans la prophétie de Michée, il est dit12 :

« Qui, D.ieu, et comme Toi, qui pardonne aux fautes, qui passe sur les offenses, à la survivance de Son héritage ? »

Les commentateurs expliquent : « “La survivance de Son héritage”, ce sont les Juifs qui auront survécu aux “douleurs de l’enfantement du Machia’h”. Il pardonnera leurs fautes, ne cherchera pas à les châtier, mais passera sur les offenses, comme s’Il ne les voyait pas. »13 Ainsi l’explique également le Radak : « Il ne tiendra pas toujours rigueur de leurs actions, car Il désire la bonté... Et Sa bonté l’emportera sur leurs péchés lorsque le moment de la Délivrance sera venu. »

Ce qui précède ne remet pas en cause la nécessité de téchouva avant la Délivrance. Celle-ci est nécessaire, et ce, d’autant plus que nous désirons une Délivrance dans laquelle nous serons « méritants », où s’accomplira la promesse « Je la hâterai ».14 Cependant, le seuil de téchouva à atteindre pour déclencher la Délivrance n’est pas celui d’une téchouva parfaite, où toutes les fautes seront effacées, mais un début de téchouva est suffisant. L’effacement des fautes et la téchouva totale se feront après l’avènement messianique.

La téchouva des religieux

Outre ce qui précède, il apparaît que ce qui empêche la Délivrance n’est pas le comportement de ceux qui sont éloignés de la Torah et de la pratique des mitsvot. En effet, ceux-ci ont le statut d’« enfants enlevés en bas âge et élevés parmi les non-juifs », en particulier à notre époque où la plupart des Juifs n’ont pas grandi dans la Torah et les mitsvot. À eux s’appliquent les mots du Rambam :

« Les enfants de ces égarés, et les enfants de leurs enfants, eux-mêmes égarés par leurs parents... sont comme des “enfants enlevés en bas âge”... Ils sont considérés comme contraints [à fauter], car on les a élevés dans l’erreur. »15

Dès lors, ce ne sont pas leurs actions qui peuvent empêcher la Délivrance.

Il est donc clair que l’essentiel de l’éveil à la téchouva nécessaire à l’avènement de la Délivrance messianique est attendu de la part des Juifs croyants et pratiquants. C’est ainsi qu’écrit le Min’hat Eleazar16 : « Lorsque le Rambam a écrit que le peuple juif ne sera délivré que grâce à la téchouva, il parle des Juifs moyens (beinonim) et croyants, des gens comme nous, mais pas d’attendre que l’ensemble du peuple fasse téchouva. »

Après la Délivrance, il y aura une téchouva plus intense et plus profonde, de tout Israël. Lorsque la gloire de D.ieu se révélera aux yeux de toute chair, il est évident que tous reviendront vers Lui et Le serviront.17 Il semble toutefois que l’annonce de la Délivrance, à elle seule, suscitera déjà un regain de téchouva pour tout le peuple juif, comme l’écrivit Rabbi Tsadok HaCohen de Lublin18 : « Même les pécheurs juifs que la moindre pensée de repentir n’aura pas effleurés... lorsqu’on leur annoncera que le Machia’h, fils de David, arrive, ils le croiront assurément et feront une véritable téchouva. Et même les renégats qui ne reviendront pas de par cette simple annonce, lorsque le Grand Chofar retentira, alors reviendront “ceux qui étaient égarés et ceux qui étaient éloignés”. »

Il est donc temps de faire entendre avec force l’annonce de la Délivrance et de s’éveiller à la téchouva en préparation à la Délivrance qui s’approche !