Imaginez que vous vous promenez dans les bois, tout est calme. Soudain, à travers les feuillages, vous apercevez un spectacle horrible : un vieillard à l’allure certes imposante ligote un tout jeune homme sur une construction en pierre sur laquelle un feu est allumé. Il saisit un grand couteau et...

Vous sortez votre téléphone portable et appelez la police. En attendant, vous criez et faites de grands gestes pour empêcher l’irréparable. La police arrive à toute allure, envoie des messages par mégaphone : « Posez le couteau, défaites les liens du jeune homme, il ne vous sera fait aucun mal... » Le vieillard accepte, défait les liens et explique posément : « D.ieu m’a parlé il y a trois jours et m’a demandé d’aller sacrifier mon fils... »

Si cet homme était votre proche parent, seriez-vous fier de lui ? Voudriez-vous agir comme lui ?

Et pourtant, le récit du sacrifice d’Its’hak – ou plutôt de la tentative de sacrifice – figure en bonne place dans le rituel de Roch Hachana. Il doit donc être une source d’inspiration pour toute l’année qui commence. Expliquons cela par un récit.

Il était une fois un roi qui partit à la chasse. Emporté par son élan à poursuivre le gibier, il ne s’aperçut que trop tard qu’il était seul et perdu alors que la nuit tombait et qu’il pleuvait des cordes. Il retourna son manteau royal pour qu’on ne le reconnaisse pas (il craignait les ennemis) et se traîna misérablement dans la forêt glaciale. Au bout de quelques heures, son angoisse augmenta : il entendait les hurlements des loups, le vent mordait son visage, il avait faim... Soudain, il aperçut une faible lumière : c’était une cabane habitée par un bûcheron. Transi et grelottant de froid, il frappa à la porte. L’homme – un vieux Juif – lui ouvrit et, comprenant immédiatement la situation de son visiteur, s’empressa de lui servir une soupe chaude, de lui procurer des vêtements usés, mais propres et secs, ainsi qu’un lit près du poêle. Tard le lendemain matin, le roi se réveilla, remercia son hôte qui n’avait pas soupçonné l’identité réelle du visiteur, le força à accepter une pièce d’or puis remonta sur son cheval pour retourner à son palais.

Le lendemain, le bûcheron entendit frapper à sa porte : mais cette fois-ci, il eut un choc ! Les huissiers du roi avec leurs uniformes rutilants le poussèrent sans ménagement dans le carrosse royal après lui avoir intimé l’ordre de revêtir ses plus beaux habits.

Deux heures plus tard, le bûcheron hébété se retrouva devant le roi – qu’il ne reconnut évidemment pas tant il était entouré de courtisans et paré de vêtements étincelants.

– Zalman ! déclara le roi d’un ton qui ne souffrait pas de réplique, je t’ai observé depuis quelque temps. Mes espions m’ont rapporté que tu étais un des hommes les plus honnêtes du royaume. J’ai décidé que tu deviendras mon conseiller privé. Tu travailleras une heure par jour pour un salaire de mille pièces d’or pour commencer. Tu bénéficieras de toutes les facilités du palais, avec tous les serviteurs dont tu auras besoin pour toi et ta famille. Ah, j’oubliais un petit détail : il faudra te convertir, car je ne veux pas de Juifs à la Cour. C’est tout. Félicitations !

– Majesté ! s’écria le Juif, atterré. Je vous remercie pour votre bonté que je ne mérite pas, mais je ne peux pas accepter votre offre. Je suis né juif et je mourrai comme un Juif, je ne peux pas me convertir. Je suis obligé de refuser votre offre si généreuse.

Un grand silence se fit, les musiciens s’arrêtèrent de jouer, tous les courtisans guettaient la réaction du roi.

Soudain, celui-ci ne parut plus du tout aussi sympathique. Le regard chargé de haine devant une telle « ingratitude », il claqua des doigts et trois hommes immenses, vêtus de noir, la tête recouverte d’une cagoule se saisirent de Zalman et le jetèrent à terre. L’un d’entre eux brandit une épée, la souleva au-dessus de la tête de Zalman…

– Peut-être veux-tu te rétracter et accepter mon offre ? demanda le roi d’un ton doucereux.

– Pas du tout ! suffoqua Zalman qui cria de toutes ses forces la prière que chaque Juif récite avant de mourir : « Chema Israël Ado-naï Élo-hénou Ado-naï É’had ! »

Alors le roi s’approcha de lui, le releva avec beaucoup d’égards :

– Zalman ! Tu me reconnais ? Tu es mon ami ! C’est toi qui m’as sauvé la vie l’autre jour quand j’étais perdu dans la forêt.

– Mais... alors pourquoi m’avez-vous causé une telle frayeur ? Que se passe-t-il ?

– Zalman ! Sans toi, je serais depuis longtemps mort de froid. Je voulais te remercier, mais je ne savais pas comment. Je savais que ta vie modeste te contentait et que tu n’étais pas attiré par la richesse. Je me suis souvenu que, quand j’étais enfant, mon père le roi m’avait emmené voir ses sujets et j’avais été impressionné par un tailleur juif. Il était différent des autres artisans, il s’occupait de l’éducation de ses enfants, leur racontait des histoires de la Bible. Un jour, il leur raconta l’histoire d’Abraham qui avait voulu offrir son fils de 37 ans en sacrifice à D.ieu et le jeune homme avait accepté avec enthousiasme ! Le tailleur avait expliqué que cela signifiait qu’Abraham était prêt à faire abstraction de son passé, de son présent et de son futur, tous les peuples du monde crieraient qu’il n’était qu’un criminel, il perdrait instantanément son image d’humaniste et surtout son fils bien-aimé ; et peut-être même sa place dans le monde futur pour avoir transgressé l’interdiction de tuer. Mais pourquoi étaient-ils prêts, le père et le fils, à accomplir ce sacrifice suprême ? Parce qu’ils étaient heureux d’accomplir la volonté de D.ieu. J’avais trouvé ce raisonnement étrange : après tout, nous sommes habitués à n’agir que pour obtenir une récompense tandis que ces Juifs ne pensent qu’à satisfaire leur D.ieu.

C’est pourquoi j’ai compris que la meilleure façon de te récompenser était de t’offrir la possibilité de démontrer que tu étais prêt à donner ta vie pour ton D.ieu. C’est ainsi que j’ai arrangé toute cette mise en scène.

Tel est l’héritage que nous a transmis Abraham et que nous rappelons chaque année à Roch Hachana : Souviens-Toi, ô D.ieu, que nous désirons Te servir quelles que soient les difficultés et accorde-nous une bonne et douce année !