C’était véritablement une réunion au sommet qui se tenait dans le palais de Ferdinand, roi de Bohème, de Moravie et Silésie (englobant aujourd’hui la Tchéquie et une partie de la Pologne). Le roi était entouré de ses fils, les princes Ferdinand et Maximilien, mais aussi des chefs de l’Église.

Cela se passait il y a plus de 400 ans, à l’époque de Rabbi Yehouda Levaï, le célèbre Maharal de Prague. Les Juifs entretenaient de bonnes relations avec le souverain et le pays tout entier bénéficiait de cette entente. Fidèles au roi, les Juifs s’acquittaient consciencieusement de lourds impôts et leur esprit d’entreprise contribuait au développement économique de toute la région.

Mais l’Inquisition qui avait déjà causé plus de cent ans auparavant l’exil des Juifs d’Espagne et du Portugal commençait à sévir aussi à Prague. Les notables de l’Église insinuaient toutes sortes d’insanités sur les Juifs et incitaient la populace contre eux. Ils tentèrent alors d’influencer également le roi.

Ce fut le cardinal qui proclama d’abord combien les Juifs étaient nuisibles : le roi devait immédiatement décréter que les Juifs n’étaient plus les bienvenus et qu’ils devaient quitter le royaume !

Le roi était partagé : d’un côté, il savait qu’il lui était nécessaire d’entretenir de bonnes relations avec le clergé, d’un autre côté il plaida la cause des Juifs en expliquant que, grâce à eux, les caisses du gouvernement étaient pleines. Il conclut qu’il s’opposait à leur expulsion. Ses deux fils volèrent d’ailleurs à son secours en louant les bons et loyaux services de leurs administrateurs juifs.

Mais les membres du clergé étaient plus nombreux, le roi et ses fils étaient minoritaires. C’est ainsi qu’après un vote rapide, la majorité se déclara en faveur de l’expulsion immédiate afin de ne pas permettre aux Juifs de vendre leurs biens à un prix correct.

La date de l’expulsion fut fixée : ce serait dans deux ans ! Entre-temps, de nombreuses restrictions s’appliqueraient aux Juifs : ils seraient obligés d’assister chaque dimanche à la messe et d’écouter les discours des curés pour qu’ils acceptent la conversion le jour où elle leur sera exigée.

Malgré lui, le roi signa le décret. Les notables ajoutèrent une clause interdisant aux rabbins d’empêcher les Juifs de se rendre à l’église. Un messager spécial fut envoyé au domicile du chef de la communauté juive, Rabbi Mordekhaï Meizel, pour lui signifier la teneur du décret. Épouvanté à la lecture de cette missive, Rabbi Mordekhaï se rendit immédiatement auprès du Maharal. Abasourdi, le Maharal réfléchit puis demanda au chef de la communauté d’inviter tous les Juifs – hommes, femmes et enfants – à une réunion urgente le lendemain après la prière du matin, dans la cour de la synagogue.

Présageant de mauvaises nouvelles, tous se rassemblèrent autour de l’estrade qui avait été érigée en hâte durant la nuit. Le silence se fit de lui-même quand le Maharal apparut, couvert de son Talit (châle de prière) et portant un Séfer Torah. Accompagné des notables de la communauté, tous enveloppés de leur Talit et portant des rouleaux de la Torah, il monta sur l’estrade et, d’emblée, s’écria : « Chema Yisrael, Ado-naï Elo-hénou, Ado-naï E’had », « Écoute Israël, l’Eternel est notre D.ieu, l’Eternel est Un ! » Bouleversés, les Juifs reprirent spontanément cette profession de foi, de toutes leurs forces, les yeux fermés et le cœur serré : tous comprenaient qu’un grand malheur se préparait.

« Écoutez-moi bien ! reprit le Maharal. C’est en proclamant le Chema Israël que, dans toutes les générations, les Juifs ont souffert le martyr et ont sanctifié le Nom de D.ieu. Nous aussi, nous devons savoir proclamer Chema Israël et être prêts à nous sacrifier pour le Nom de D.ieu. Que D.ieu nous donne la force nécessaire pour résister à toutes les épreuves ! »

La voix du Maharal résonnait de plus en plus fort. Il rappela que le règne de Ferdinand s’était distingué par les bonnes relations qu’il avait toujours entretenues avec les Juifs tout comme d’ailleurs les non-juifs simples qui avaient respecté leurs voisins juifs : « Ceux qui cherchent à nuire à notre communauté, ce sont les notables de l’Église ! » Et le Maharal exposa les terribles décrets qui venaient d’être signés : en entendant cela, les Juifs éclatèrent en sanglots, des femmes s’évanouirent, des personnes âgées furent prises de malaises. Mais le Maharal continua : « Ce n’est pas le moment de pleurer ! Nous devons au contraire faire preuve de force spirituelle et démontrer notre détermination à sanctifier le Nom de D.ieu ! Nous devons jurer, nous tous ici devant les rouleaux de la Torah, qu’aucun de nous n’ira écouter les discours des curés et que, si nous devions y être traînés de force, nous boucherons nos oreilles ! »

De la foule, un cri s’éleva : « Nous le jurons ! Nous le jurons ! »

Le Maharal demanda alors au ‘Hazane de reprendre mot à mot les versets Chema Israël, Barou’h Chem... et Hachem Hou Haélokim, que l’on prononce habituellement à la fin des offices de Yom Kippour. L’assemblée répéta ces mots avec ferveur. Puis on sonna du Choffar et, finalement les Cohanim furent appelés à bénir le peuple avec les versets traditionnels.

Durant les deux années qui suivirent, les Juifs de Prague subirent des humiliations de toutes sortes de la part des membres du clergé qui tentaient de les attirer dans les églises. Mais leurs efforts restèrent vains car même les non-juifs se moquaient de leurs curés qui étaient obligés d’user de la force : même les Juifs qu’ils avaient réussi à faire entrer dans l’église se bouchaient les oreilles et refusaient d’écouter leur message.

Pendant ce temps, le Maharal mettait tout en œuvre pour faire abolir les décrets : le roi lui-même craignait l’expulsion des Juifs qui affaiblirait certainement l’économie du pays. Le Maharal contacta les princes et demanda leur aide. Ils suggérèrent de dépêcher un messager juif au nouveau Pape qui venait d’être nommé afin qu’il annule la promesse faite par le roi Ferdinand.

Ce fut Rav Mordechai Tséma’h, un des notables de la communauté, qui fut choisi pour cette mission et qui se rendit à Rome. Il impressionna favorablement le Pape qui releva le roi Ferdinand de sa promesse.

Le décret infâme fut enfin annulé et les Juifs de Prague purent respirer en paix : la sagesse du Maharal les avait non seulement sauvés mais les avait renforcés dans leur foi.

Extrait de Sichat Hachavoua n°1253