Le directeur de la yéchiva « ‘Hayé Olam » souffrit pendant plusieurs années de ses jambes au point qu’il finit par être condamné à rester au lit ; les médecins envisageaient de l’amputer d’une jambe et peut-être même de la seconde, à D.ieu ne plaise.
En 1954, son fils se maria et de nombreuses personnalités du monde rabbinique assistèrent au mariage.
Le directeur de la yéchiva demanda qu’on le transporte dans son lit jusqu’à la salle du mariage et insista pour prendre la parole. Comme il était très faible, un silence impressionnant régnait dans l’assistance.
« Quand j’étais jeune, dit-il, j’ai étudié à la yéchiva de Stoutchine. Nous étions une trentaine de jeunes gens à étudier dans la synagogue. Sur un banc dormait celui que toute la communauté surnommait « Itché le soûlard » : dès qu’il se réveillait, il buvait une rasade de vodka et se rendormait aussitôt. Nul ne savait où il résidait et, d’ailleurs, personne ne s’intéressait à lui outre mesure. Les enfants se moquaient de lui, mais il n’en avait cure.
Un soir d’hiver, alors que nous étudiions assidûment, un cocher entra en coup de vent dans la synagogue en s’écriant : « Venez m’aider ! Ma charrette chargée de marchandises s’est retournée et mon cheval est prisonnier sous la charge. Il faut absolument le dégager sinon il va mourir et j’aurais perdu l’unique moyen de gagner ma vie. Tout seul, je ne parviens pas à le dégager, il faut que vous m’aidiez ! »
Entre nous, nous avons discuté : avions-nous le droit d’abandonner notre étude de la Torah pour un cheval ? Nous avons conclu que l’étude était plus importante et nous ne l’avons pas aidé.
Horriblement déçu, le cocher quitta la synagogue et nous avons repris notre étude. Soudain, Itché le soûlard se réveilla : « Jeunes gens, vous devez l’aider ! Son cheval va s’étrangler avec les lanières qui retiennent la charrette et son chargement. Et si vous n’y allez pas, vous ne pourrez plus marcher sur vos jambes, à D.ieu ne plaise ! »
Je fus pris d’un fou rire : « Itché ! Depuis quand un soûlard est-il devenu un décisionnaire ? »
Il ne répondit pas.
Une demi-heure plus tard, le cocher revint, nous suppliant à nouveau de l’aider. Nous avons de nouveau discuté entre nous et finalement en sommes venus à la conclusion qu’il fallait l’aider. Mais quand nous sommes arrivés sur place, il était trop tard, le cheval était mort.
Le lendemain Itché m’appela : « ‘Haïm ‘Haykel, j’ai quelque chose à te demander. Ce soir, je vais mourir et je veux que tu restes à mes côtés au moment où mon âme quittera mon corps. »
J’éclatai de rire, mais il insista. Je lui demandai où il habitait : « Au bout de la ville, dans une maison en ruine. »
Le soir je réfléchis et décidai d’y aller : « De toute manière, je dois étudier. Que ce soit ici ou chez Itché… »
Quand j’arrivai chez Itché, il dormait sur un assemblage de planches. J’ouvris mon livre de Guemara et me mis à étudier, sur une caisse branlante qui me servit de chaise. Au bout de quelques heures, je voulus partir, mais Itché m’appela : « Reste. C’est exactement à 4 heures du matin que je vais mourir. Tu préviendras la ‘Hevra Kadicha (la société des derniers devoirs), car je veux être enterré à côté du Gaone (il me dit le nom d’un des grands rabbins de la ville) dans le vieux cimetière. »
– De quoi parles-tu, Itché ? Toi qui ne mets même pas les Téfilines chaque jour, tu désires être enterré à côté du Gaone ?
– Comment peux-tu prétendre cela ? Regarde dans le coffre là-bas...
J’ouvris le coffre et, à ma grande surprise, y trouvai de très beaux Téfilines. J’étais vraiment stupéfait. Mais je continuai d’argumenter :
– Jamais la ‘Hevra Kadicha1 n’acceptera...
– Sous le coffre, continua Itché imperturbable, il y a une petite caisse dans laquelle se trouvent mes manuscrits. Montre-les aux gens de la ‘Hevra Kadicha et ils agiront comme je le désire. Je feuilletai les pages écrites finement et compris qu’il s’agissait de notes sur des livres de Kabbalah et des sujets de Torah dont je n’avais aucune notion. Je compris alors enfin que l’homme qui gisait sur ces planches était un « tsadik caché », un juste parfait qui avait dissimulé sa grandeur jusqu’au dernier moment.
Effectivement, à quatre heures pile, son âme quitta son corps. Je courus avertir le rav de la ville ainsi que les hommes de la ‘Hevra Kadicha et leur montrai les manuscrits. Néanmoins, ils hochèrent la tête : il n’y avait plus de place à côté du Gaone et, de toute manière, cela faisait des années qu’il n’y avait plus de place dans le vieux cimetière. Nous sommes partis vérifier et avons, à notre grande surprise, trouvé un endroit libre juste à côté du Gaone ! L’enterrement fut suivi par toute la communauté.
« Itché le soûlard était donc un tsadik et je suis certain que les problèmes liés à mes jambes sont un résultat de sa malédiction... » conclut le directeur de la yéchiva en pleurant.
En entendant cette histoire, je n’ai pu me retenir et en écrivis tous les détails dans une lettre au Rabbi de Loubavitch. Quelque temps plus tard, je méritai de recevoir la réponse suivante : « Transmettez au directeur de la yéchiva qu’il prenne sur lui d’étudier chaque jour « ‘HiTaT »2ainsi que l’a institué mon beau-père, le regretté Rabbi Yossef Its’hak de Loubavitch. De plus, il doit influencer toutes les personnes qui suivent son enseignement (puisqu’il a de nombreux disciples depuis toutes ces années qu’il enseigne la Torah) ; du fait qu’il marchera dans cette voie, dans la voie du Rabbi (précédent), D.ieu lui permettra par ce mérite de marcher physiquement sur ses deux jambes »
Je montrai la lettre du Rabbi au directeur de la yéchiva. Il en fut si heureux qu’il embrassa la lettre. Je lui demandai de me rendre la lettre – qui m’était adressée –, mais il demanda à la garder quelque temps.
Six mois plus tard, je lui rendis visite : déjà il pouvait rester assis à table. Les médecins ne parlaient plus d’amputation, mais déjà comment l’aider à mieux marcher ! Sa situation s’améliorait de jour en jour.
Et chaque personne avec qui il entrait en contact d’une manière ou d’une autre se voyait proposer d’étudier chaque jour le ‘HiTaT : « Faites cela pour moi, suppliait-il, cela contribuera à ma guérison ! »
Rav Leib Friedman
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