Au temps du Roi Salomon, dans un petit village aux environs de Jérusalem, vivait une pauvre vieille veuve. Elle gagnait péniblement sa vie en lavant le linge que les voisins voulaient bien lui confier. Elle n'était pas seule. Léah, sa petite-fille, partageait son sort. Elle contribuait aussi à le lui faire supporter, car, malgré son jeune âge, l'enfant tâchait de soulager sa grand-mère en mettant activement la main à l'ouvrage – quand il y en avait.
Mais, de nature imaginative et portée au rêve, Léah souffrait au contact de cette dure réalité. Et puis, pour rêver, il faut aussi du temps. Où l'aurait-elle pris ? Pauvres comme elles l'étaient, elle et sa grand-mère, il fallait travailler sans relâche à elles deux pour arriver juste à ne pas mourir de faim.
Un jour que Léah et sa grand-mère, accroupies au bord de la rivière, s'occupaient de laver un gros paquet de linge, frottant et rinçant, elles entendirent un chant d'oiseau d'une pureté extraordinaire. Il venait d'un arbre qui étendait ses branches jusqu'au dessus de leurs têtes. Saisie, le visage reflétant un ravissement sans bornes, Léah ne put s'empêcher d'arrêter son travail pour prêter l'oreille aux notes enchanteresses.
« Assez rêvé, Léah ! » gronda la grand-mère. « Continue à laver. Tu sais aussi bien que moi que si nous ne livrons pas le linge avant l'aube à Yéhoudith, la femme du boulanger, elle sera bien contente de le confier dorénavant à la fille du berger qui a plus de force que nous deux réunies. »
Obéissante, Léah fit un effort pour tâcher de concentrer son attention sur l'ouvrage et, avec une vigueur renouvelée, elle se remit à frotter le linge mouillé sur la large dalle, le battant de temps en temps avec une petite palette de bois dur.
La grand-mère venait de s'avancer de quelques pas dans l'eau afin de procéder à un dernier rinçage du linge quand, tout à coup, le chant de l'oiseau retentit à nouveau dans l'air.
Léah ne tenait plus en place. Toute vibrante, elle fut d'un bond sur ses pieds. Il fallait qu'elle vît l'oiseau qui chantait avec tant de suavité. Elle s'efforçait de le découvrir parmi les branches au-dessus de sa tête quand l'Oiseau Bleu, battant des ailes, disparut. Léah se lança à sa poursuite comme si rien au monde ne comptait davantage à ses yeux. Mais sitôt qu'elle avait retrouvé sa trace, l'oiseau chanteur battait à nouveau des ailes et disparaissait.
Littéralement ensorcelée, Léah reprit sa course n'entendant même pas les appels frénétiques de sa grand-mère qui lui criait de revenir.
La vieille femme courait après sa petite-fille, mais elle n'avait aucune chance de la rattraper. Léah s'enfonçait de plus en plus dans la forêt profonde. Bientôt, à bout de souffle, la grand-mère fut obligée de s'arrêter. Elle avait perdu la trace de Léah, force lui fut de revenir sur ses pas. Prise de panique, pressentant le pire, elle se précipita au village, pleurant en se tordant les bras de désespoir et suppliant ses voisins de l'aider à retrouver sa petite-fille.
Les recherches s'organisèrent. Elles furent poussées bien avant dans la nuit, mais, de Léah on ne trouva aucune trace.
Le cœur brisé, la pauvre vieille fit un paquet des quelques hardes qu'elle possédait et prit la route de la ville sainte de Jérusalem. Elle avait l'intention de faire des prières dans le Saint Temple ainsi que de demander secours au sage Roi Salomon.
Ayant déversé sa peine devant D.ieu qu'elle pria les yeux baignés de larmes, la pauvre femme se sentit soulagée. Elle dirigea alors ses pas vers le palais royal.
La cour du Roi Salomon était ouverte au public deux jours par semaine, le lundi et le jeudi. Hommes, femmes, enfants, tous y avaient librement accès pour aller faire part de leurs soucis ou de leurs ennuis au souverain.
La vieille veuve entra dans le somptueux palais où le marbre, l'or, l'argent et les bois précieux mêlaient leur richesse et, patiemment, elle attendit son tour. Elle se présenta enfin devant le Roi, le plus sage des hommes, qu'elle salua en faisant une profonde révérence.
« Femme, quelle est la cause de tant de peine et d'amertume ? » lui demanda le roi avec douceur, car il avait déjà lu au fond du cœur de la vieille.
« Puissiez-vous vivre éternellement, Majesté ! » s'exclama-t-elle et secouée de sanglots elle raconta les circonstances dans lesquelles sa petite-fille avait disparu. « Léah était tout ce que j'avais au monde et je suis si âgée. Mais l'Oiseau Bleu me l'a ravie. Faites comparaître l'accusé, ô Roi, et sommez-le de me rendre ma petite-fille. »
« Ta cause est bonne, dit le monarque. Ne te tourmente pas. Justice sera faite, sois-en assurée. Reviens me voir dans trois jours ; entre temps mes serviteurs te logeront et pourvoiront à tes besoins. »
Pleine de gratitude, la vieille femme s'inclina et, faisant trois pas en arrière, elle se retourna et sortit.
Le Roi Salomon dont le pouvoir s'étendait à tous les oiseaux puisqu'il commandait à tous les animaux, manda l'aigle, le roi des bêtes à plumage. Aussitôt l'aigle royal, chargé d'ans, parut devant lui. « Je suis à votre service, ô mon roi et maître ! » dit-il humblement.
« Il faut que tu retrouves l'Oiseau Bleu qui a enlevé la petite Léah et que tu m'amènes cette dernière sans retard. Elle a à répondre à de sérieuses accusations », ordonna le Roi.
Aussitôt l'aigle déploya ses vastes ailes et disparut. Le lendemain il revint. Il semblait fort triste.
« Hélas ! mon Maître, dit-il. J'ai lancé mes plus rapides serviteurs à la recherche de l'Oiseau Bleu, j'ai fouillé moi-même l'espace, mais nous n'avons trouvé : trace ni du ravisseur, ni de la petite-fille. »
Le Roi Salomon donna congé à l'aigle et fit comparaître le Roi de la Forêt.
« Quelque part, lui dit-il, à l'intérieur de ton domaine, un petit Oiseau Bleu se cache avec une petite fille qu'il a ravie à sa grand-mère. Amène-les-moi tout de suite ! »
Le lendemain le Roi de la Forêt parut devant Salomon. Lui aussi était triste et soucieux. Il n'avait pas eu plus de succès que l'aigle. Il n'avait trouvé trace ni de l'Oiseau Bleu, ni de la fille.
Le Roi Salomon ordonna alors au Vent d'Est, le Roi de tous les Vents et des Orages, de se présenter devant lui.
« L'un de tes serviteurs, lui dit-il, la Brise du Matin, a porté à la petite Léah le chant de l'Oiseau Bleu, contribuant ainsi à la séduction de l'enfant et, par suite, à son enlèvement. Il faut que tu me trouves cette dernière et son ravisseur. Mais attention ! Pas d'orages ni de dégâts nulle part, que ce soit sur terre ou sur mer ! Va ! »
Doucement, retenant son souffle jusqu'à se sentir éclater, le Vent d'Est se retira. Peu après il était déjà de retour avec la même réponse : « J'ai fouillé les quatre coins de la terre, mais en vain. Je n'ai rien trouvé. »
Ayant donné son congé au Vent d'Est, le Roi Salomon porta son regard sur sa bague à cachet sur laquelle le Nom de D.ieu était inscrit. Avec elle, il n'y avait rien qu'il ne pût réaliser sous le soleil. Il manda Achmédaï, le roi de tous les Esprits et Génies.
Il parut aussitôt tout tremblant de peur et à peine capable de bégayer : « Ordonne, mon Roi et Maître. Je suis à ton service. »
Encore une fois le même ordre fut donné et Achmédaï disparut pour l'exécuter. C'était le troisième jour depuis que la vieille femme s'était présentée devant le Roi Salomon. Il n'y avait plus de temps à perdre. D'ailleurs, Achmédaï n'en perdit guère. Quelques minutes s'étaient à peine écoulées qu'il reparut rayonnant de plaisir.
– Suivez-moi, Maître. Je vais vous conduire auprès de la petite fille, dit-il.
Le Roi Salomon fit préparer sur-le-champ sa « Forteresse Volante ». Il y monta, accompagné de sa suite. Alors, en un clin d'œil, Achmédaï emporta l'équipage vers l'endroit où l'Oiseau Bleu et la petite Léah se cachaient.
Ils survolèrent maintes collines et maints vallons. Finalement, le véhicule volant se posa doucement dans un bosquet charmant, couvert de plantes toujours vertes et de fleurs odorantes.
– Suivez-moi, Maître, dit Achmédaï.
Il conduisit le souverain étonné à l'intérieur du bosquet, à travers des tapis de verdure, des buissons et des arbres aux senteurs suaves.
Soudain le roi entendit un chant que plusieurs voix composaient dans une harmonie parfaite. À mesure qu'il en approchait, les sons devenaient à la fois plus forts et plus doux. Maintenant il pouvait distinguer la voix éclatante d'une petite fille se mêlant harmonieusement aux trilles d'un oiseau. Un chœur d'autres chanteurs à plumage les accompagnait.
Le Roi Salomon avait entendu tant de belles musiques dans sa vie, mais ce que percevaient maintenant ses oreilles était si envoûtant qu'il s'y sentait attiré comme par un phénomène magique.
Quand il eut traversé le dernier fourré qui le séparait de l'étrange chœur, ses yeux étonnés découvrirent une scène dont la beauté inattendue le frappa.
Au bord d'une mer calme que les rayons de soleil faisaient rougeoyer, une femme de grand âge, toute de blanc vêtue, était assise. Son visage était si rayonnant qu'à côté d'elle la beauté de la Reine de Saba elle-même eût pâli. Tout près était assise une fillette, apparemment la petite Léah qu'on recherchait. L'une et l'autre, accompagnant le chant, faisaient glisser des doigts experts sur les cordes de leurs harpes, et de temps en temps les sons argentés des cymbales ponctuaient le rythme de la musique
L'Oiseau Bleu, lui aussi, était de la fête. Perché à proximité sur un buisson, il dirigeait un chœur d'autres oiseaux. Tout autour d'eux s'étaient rassemblés de nombreux habitants de la forêt, animaux de toutes espèces, et tous paisiblement assis ou étendus. Spectacle incroyable ! Ici l'agneau à côté du loup, là le chevreau à côté du léopard. L'aspect féroce de la forêt s'était évanoui. On n'y voyait plus que des animaux posant un regard rêveur sur les chanteurs et écoutant avec une attention ravie.
Tout cela était beau à voir et même plus beau à entendre pour le Roi Salomon, le Roi de la Paix.
Ce dernier et sa suite restaient cloués sur place, subjugués par le charme de cette scène paradisiaque et de cette musique enchanteresse.
À un moment le chant et la musique s'arrêtèrent et un silence tout imprégné de profond bonheur se répandit partout. Alors, le Roi Salomon s'avança de telle manière que tous les présents purent le voir.
La femme vêtue de blanc se leva et le salua. « La paix soit avec toi, Salomon, fils de David », dit-elle.
– D.ieu te bénisse, répondit le roi. Dis-moi, je te prie, qui es-tu et qui t'a appris à tirer de ton instrument de si divines mélodies ? Est-ce toi qui as envoyé l'Oiseau Bleu pour séduire la petite Léah et pourquoi l'as-tu amenée ici ?
– Je répondrai par ordre à chacune de tes questions, ô Roi, répondit la vieille femme. Sache que je suis Myriam, la sœur de Moïse et d'Aaron. Une fois par génération je suis envoyée sur terre pour chercher une petite fille juive qui puisse donner tout son cœur et toute son âme à la puissante séduction de la musique céleste. Je lui enseigne les chants de louanges que j'ai enseignés aux femmes juives au bord de la Mer Rouge, juste en cet endroit, Majesté, où nos ancêtres l'ont traversée à leur sortie d'Égypte. Aussi longtemps qu'une telle fille juive jouera et chantera cette musique céleste, mettant ainsi l'univers à l'unisson de son harmonie, la paix et le bonheur – au lieu des luttes et des discordes – régneront dans les foyers de notre sainte nation. Une telle fille doit non seulement avoir une belle voix, elle doit aussi craindre D.ieu, être bonne, généreuse et désintéressée, en un mot une vraie fille d'Israël. La petite Léah s'est révélée digne de remplir cette sainte obligation. Mais maintenant que je lui ai enseigné tout ce qu'elle doit savoir, mon travail est terminé. Léah retournera avec vous rejoindre sa grand-mère si éprouvée par l'inquiétude.
En se tournant vers Léah, Myriam dit : « Va mon enfant avec le Roi Salomon. Va, porte la joie, la paix et l'harmonie à notre peuple. »
Sur ces mots, la femme en blanc posa un baiser sur le front de la petite fille et lui dit adieu.
Le Roi Salomon ne voulait pas être en retard à l'audience de la Cour. Il fit asseoir Léah à côté de lui dans la « Forteresse Volante » et, le temps d'un éclair, ils se retrouvèrent à Jérusalem.
La rencontre de la grand-mère et de la petite fille fut si émouvante que les larmes montèrent aux yeux de tous ceux qui y assistaient.
Toutes deux n'avaient plus besoin désormais de se briser les reins à laver du linge. Le Roi Salomon leur offrait l'hospitalité pour toute leur vie. Elles demeurèrent au palais royal et furent promues au rang de princesses. Chaque matin, les accents merveilleux que Léah savait tirer de sa harpe résonnaient dans le palais et l'Oiseau Bleu entrait par la fenêtre pour l'accompagner. La brise du matin emportait la mélodie bien au-delà des collines de Judée et la paix et l'harmonie régnèrent en Terre d'Israël.
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