On raconte que le tsadik qu’on surnommait le Shpoler Zeïdé – le « Grand-Père de Shipoli » – adressa un jour au Tout-Puissant ce poignant appel : « Maître du monde ! Envoie la Délivrance et le Machia’h tant que le peuple juif l’attend et désire Ton dévoilement. Car si Tu ne le fais pas, un jour viendra où l’on n’attendra plus ni Toi, ni Ton Machia’h, et alors Tu seras bien obligé de l’envoyer. »
Cette déclaration à la fois virulente et incisive, que seul un tsadik comme le Zeïdé pouvait oser, illustre une vérité remarquable : si le peuple juif ne mérite pas que la Délivrance intervienne plus tôt, dans des générations antérieures, celle-ci se fera alors dans une génération orpheline et défaillante sur le plan spirituel.
C’est également ce qui ressort des signes que les Sages du Talmud annoncent comme caractérisant la période prémessianique, dite du « Talon du Machia’h ». Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce ne sera pas une période d’élévation spirituelle, de sainteté, de pureté, marquée par l’attachement à la Torah et aux qualités morales. Ce sera au contraire une période d’une bassesse jamais égalée, aussi bien sur le plan moral que sur le plan de la pratique du Judaïsme et de la connaissance de la Torah. Une époque d’arrogance, de rébellion contre les traditions ancestrales, de ternissement du prestige de la Torah et de ceux qui l’étudient,1 comme l’expriment nos Sages dans cette saisissante formule : « La face de la génération sera semblable à la face du chien. »
La majorité des gens sont « égarés »
On constate que tout cela décrit la réalité actuelle. Ainsi, à en juger par tous les signes qui se manifestent dans le monde, il est clair que le Machia’h est actuellement sur le point de venir, dans notre génération. Celle-ci n’est certes pas une génération de renégats déclarés contre la Torah, comme ce fut le cas de celle des « maskilim »2 ou de celle qui la suivit, mais une génération « d’enfants captifs ».3 Cependant, concrètement, elle reste une génération éloignée de son Créateur. Lorsque le Machia’h viendra et rassemblera les exilés d’Israël, la plupart des Juifs qu’il ramènera des quatre coins du monde appartiendront aux catégories des gens « égarés » et « éloignés ». Et c’est précisément dans une telle génération que se fera l’avènement messianique !
En vérité, ce scénario ne devrait pas constituer un motif d’étonnement, car il est clairement annoncé dans le verset : « En ce jour résonnera le Grand Chofar ; alors arriveront ceux qui étaient égarés dans le pays d'Achour, et ceux qui étaient éloignés dans la terre d'Égypte, et ils se prosterneront devant l'Éternel, sur la montagne sainte, à Jérusalem. »4 C’est donc ainsi que se définit l’avènement du Machia’h : il apparaîtra précisément dans une réalité où la masse des Juifs sera constituée de « égarés » et d’« éloignés », il les rassemblera et les amènera se prosterner devant l’Éternel.
Un espace vide
Bien évidemment, ceci n’est pas fortuit, mais correspond à un dessein profond.
Dans son ouvrage Netsa’h Israël,5 le Maharal de Prague explique qu’une situation nouvelle peut apparaître de deux manières : elle peut surgir du sein même de la situation antérieure, celle-ci se modifiant progressivement pour donner lieu à la nouvelle situation ; mais lorsqu’il s’agit de donner lieu à une réalité fondamentalement nouvelle, celle-ci ne peut se baser sur la situation qui prévalait auparavant. Il est donc nécessaire qu’intervienne un processus de « disparition de la réalité antérieure », c’est-à-dire que la situation précédente périclite et donne lieu à un « espace vide », dans lequel surgira la nouvelle réalité.
Il en est de même concernant l’avènement messianique : étant une réalité intrinsèquement nouvelle, il n’est pas possible d’y parvenir par un processus graduel qui viendrait modifier la réalité antérieure petit à petit. Ce n’est qu’à travers une déchéance considérable, détruisant l’état précédent et créant un vide, que survient la Délivrance messianique qui remplit alors ce vide.
La qualité du pauvre
Le Rabbi de Loubavitch ajoute à cela un éclairage supplémentaire,6 basé sur l’enseignement du Baal Chem Tov sur le verset des Psaumes « Prière d’un pauvre qui se sent défaillir et répand sa plainte devant l’Éternel »7 Le Baal Chem Tov enseigne que la prière d’un pauvre possède une qualité particulière qui est que, du fait qu’elle émane d’un cœur brisé, elle est une demande de se trouver « devant l’Éternel », d’être attaché à D.ieu, et se trouve de ce fait d’autant plus agréée. Une autre qualité du pauvre est que sa joie est encore plus grande lorsqu’il voit sa prière exaucée, du fait de l’ampleur du manque dont il souffrait précédemment.
Ceci permet de comprendre que c’est grâce aux « égarés » et aux « éloignés » que la révélation messianique sera si importante. Car lorsque des Juifs proches de D.ieu et de la Torah prient pour la révélation de la royauté divine, ils ont en tête des éléments partiels, tels que pouvoir avoir plus de ferveur dans la prière, plus d’enthousiasme dans l’étude de la Torah, plus d’attachement à D.ieu dans l’accomplissement des commandements, etc. En revanche, lorsque le « Grand Chofar » du Machia’h réveillera l’âme des « égarés » et des « éloignés », ils ne demanderont pas d’atteindre tel ou tel « niveau », mais ils réclameront D.ieu Lui-même : C’est afin d’être « devant l’éternel » qu’ils « répandront leur plainte ». C’est justement parce qu’ils se trouvent dans la plus grande « étroitesse » qu’ils susciteront la plus grande mesure de « largesse » dans la révélation divine.8
Et qu’en sera-t-il des Juifs qui servent D.ieu ? Le Rabbi explique qu’ils peuvent aussi mériter la révélation du Grand Chofar à travers le sentiment d’être « égarés » et « éloignés » de la grandeur infinie de D.ieu. Une telle humilité constitue le réceptacle adéquat pour recevoir l’incommensurable révélation messianique.
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