Dans la perspective historique du Judaïsme, on trouve l’idée d’un affaiblissement progressif des générations : il y eut la génération des Patriarches, d’une extrême hauteur spirituelle ; celle qui sortit d’Égypte et reçut la Torah, certes moins élevée, mais néanmoins qualifiée de « génération de connaissance » ; il y eut ensuite la période des Prophètes qui s’acheva peu avant la destruction du Temple. Ce fut ensuite le temps des Tannaïm, les Sages de la Michna, dont l’autorité juridique dépasse celle des Amoraïm, les Sages du Talmud, qui leur succédèrent. Il y eut ensuite les Guéonim, recteurs des grandes académies talmudiques de Babylone, puis les décisionnaires médiévaux que l’on appelle les Richonim (« Premiers »), suivis des A’haronim (« Derniers »), jusqu’aux A’haronei haa’haronim (« Derniers parmi les Derniers »), chaque génération étant perçue comme inférieure à la précédente. De ce principe, il ressort que notre génération, dite du « Talon du Machia’h », est la plus basse de l’histoire.
Et cependant, c’est précisément cette génération orpheline qui est appelée à accueillir le Machia’h et à connaître les immenses bienfaits matériels et spirituels de l’ère messianique. Les Prophètes n’en ont pas mérité l’avènement, ni les Tannaïm, ni les Amoraïm, ni les Richonim et les A’haronim, ni toutes les illustres générations qui nous ont précédés et c’est nous, malgré notre insignifiance en comparaison à eux, qui allons le mériter. À ce sujet, le Talmud s’interroge : « une telle génération en est-elle digne ? »
Sur les épaules des géants
Plusieurs réponses ont été données à cette question :
1. Le nain sur les épaules du géant :
La situation est comparable au cas d’un nain juché sur les épaules d’un géant : il s’agit certes d’un nain, mais sa position lui confère une hauteur de vue qui lui permet de voir plus loin encore que le géant lui-même. Ainsi en est-il de notre génération : il s’agit d’une génération humble et pauvre, mais du fait qu’elle vient à la suite des géants spirituels qui l’ont précédé, elle est l’héritière de leur Torah et de leurs accomplissements, et c’est donc grâce à leurs forces qu’elle peut s’élever à un degré supérieur au leur.1
2. Le bien accumulé :
À mesure que les générations se succèdent, le bien accompli dans le monde s’accumule de manière considérable. C’est en effet la différence fondamentale entre le bien et le mal : le mal ne constitue pas une existence objective, et dès lors que le pécheur a reçu son châtiment, il ne reste pas de trace du mal ; le bien, en revanche, est éternel et s’accumule ainsi de génération en génération. Il en ressort que c’est précisément aujourd’hui que se trouve dans le monde la plus grande mesure de bien : le bien accumulé par tous ceux qui nous ont précédés.2
3. Il ne reste que les tâches simples :
Chaque génération s’est vue attribuer une mission particulière dans le plan divin. Les premières générations reçurent des tâches ardues et complexes, et furent ainsi dotées de forces colossales pour les mener à bien. Ils furent donc en mesure de révéler une immense mesure de sainteté dans le monde et mener ainsi à bien l’essentiel du combat contre l’obscurité de l’exil. Ainsi, après ce travail considérable, il ne reste que de « petites choses » à réaliser, des tâches « simples » (analogues à celle de débarrasser un chantier des détritus qui l’encombre une fois la construction achevée). Pour ce faire, il n’est pas besoin de géants de l’esprit ; des gens simples comme nous suffisent. Lorsque notre faible génération aura achevé le travail, le Machia’h viendra, non par notre mérite, mais par celui des puissantes générations qui nous ont précédés.3
Une génération de don de soi
Une autre approche considère à l’inverse que notre génération est dotée d’une qualité qui la rend supérieure aux précédentes : nous vivons en effet une période dans laquelle les esprits se sont atrophiés et la grandeur d’âme s’est raréfiée. Une époque obscure sur le plan spirituel, dans laquelle nous n’avons plus les repères que pouvaient constituer pour les générations passées les grands hommes qui vivaient alors, tandis que nous sommes confrontés à de si nombreuses perturbations concernant l’observance de la Torah et des Mitsvot, au premier rang desquelles la nécessité constante de « ne pas se laisser abattre par les moqueurs ».4 Et malgré ces difficultés, les Juifs observent avec abnégation la Torah et les Mitsvot ! Une telle génération mérite assurément de recevoir le Machia’h.5
Sur le verset « Or, cet homme, Moïse, était fort humble, plus qu'aucun homme qui fût sur la terre »6 il est expliqué dans l’enseignement ‘hassidique7 que pour l’essentiel, Moïse se sentait humble vis-à-vis de notre génération, la génération du « Talon du Machia’h ». Lorsque Moïse vit prophétiquement que celle-ci connaîtrait de si terribles malheurs matériels et spirituels et aurait à affronter tellement d’opposition et d’obscurité et, malgré cela, persévèrerait envers et contre tout dans son attachement à la Torah et aux Mitsvot, il fut pénétré d’un sentiment d’humilité devant elle. Paradoxalement, c’est précisément l’affaiblissement des générations qui est à l’origine de la qualité particulière de la nôtre.
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