Gérone, petite ville de Catalogne, en Espagne, était connue parmi le peuple d'Israël comme une espèce de seconde patrie. Car elle avait vu naître quelques-uns des plus grands érudits juifs de la Diaspora dont les écrits constituent, même de nos jours, de véritables phares qui éclairent toute notre histoire. Parmi eux, nous citerons l'illustre talmudiste aveugle Rabbi Isaac Sagui-Nahor. Plus célèbre encore, Rabbi Zéra'hiah Halévi, auteur du Sefer Hamaor dont il commença la rédaction à l'âge de 19 ans. Le Ramban (Na'hmanide), Rabbi Moche ben Na'hmane. Enfin le RaN, Rabbénou Nissim ben Réouven. Ce sont là des noms si illustres qu'aucun étudiant de yéchivah ne peut les ignorer. Dans cette ville naquit également Rabbénou Yonah.

Il était un cousin de Na’hmanide. Son père Abraham fut, très probablement, l'un des membres les plus éminents de la communauté. Le petit Yonah reçut sa première éducation dans sa ville natale. Plus lard il se distingua par une attitude fort personnelle. Tandis que beaucoup d'érudits juifs de cette époque consacraient une partie de leur temps aux études séculières, Rabbénou Yonah, lui, porta toute son attention à l'étude du Talmud. Il voyagea dans les différentes villes du Midi de la France et en Provence, et visita les centres les plus importants des Tossafistes (illustres commentateurs et interprètes du Talmud), développant ainsi de jour en jour ses connaissances en cette matière. Il finit par se fixer à Montpellier où il devint le disciple de Rabbi Salomon ben Abraham.

La présence à ses côtés de Rabbi Salomon de Montpellier, unie à son éducation et à son entraînement, eut sur la vie de Rabbénou Yonah une profonde influence et joua un rôle déterminant dans son orientation en tant que philosophe. Car son maître était rien moins que le chef de l'opposition dressée contre les écrits philosophiques de Rambam (Maïmonide). D'un élan sans pareil, Rabbénou Yonah se jeta à ses côtés dans la mêlée. Avec lui il voulait porter tout le poids de ses efforts en vue de combattre l'influence de la philosophie et de la culture séculière sur l'éducation de la jeunesse juive. Ces grands chefs du peuple d'Israël suivaient depuis quelque temps, avec intention et inquiétude à la fois, les effets néfastes de l'assimilation parmi les jeunes israélites d'Espagne et de France, et ils blâmaient l'absence d'une éducation idoine pour la contrecarrer. C'était devenu une mode parmi la jeunesse juive de se plonger dans l'étude de la philosophie avant d'y avoir été préparé adéquatement. Quelques philosophes juifs avaient même fait des tentatives pour réconcilier la religion divine avec la philosophie humaine, ou de « rationaliser » (expliquer au moyen de la raison) là où la foi était nécessaire, oubliant ainsi que les limites de l'esprit humain l'empêchent d'expliquer nombre de commandements et de préceptes prescrits par D.ieu. Aussi ces éminents directeurs spirituels sentirent-ils que même les écrits philosophiques du grand Maïmonide pouvaient être un danger pour la jeunesse juive.

Aussi Rabbénou Yonah, de concert avec un autre disciple de Rabbi Salomon de Montpellier nommé Rabbi David ben Saül, fit cause commune avec leur maître. Tous trois signèrent une proclamation (1232) mettant à l'index le Moreh Névoukhim (le « Guide des Égarés » de Maïmonide) et d'autres écrits philosophiques de Maïmonide. Tout le monde juif prit parti dans cette querelle, et deux camps violemment opposés se formèrent : l'un pour, l'autre contre Maïmonide. La communauté de Montpellier s'enflamma elle aussi et se trouva séparée en deux camps. Na’hmanide, le cousin de Rabbénou Yonah, essaya d'exercer une influence modératrice dans le conflit, mais les passions étaient allées si loin que les œuvres de Maïmonide furent publiquement brûlées à Paris par des prêtres Franciscains et Dominicains qui, prenant avantage de la situation, livrèrent au feu, en même temps, de nombreux ouvrages talmudiques (1242).

Cette lutte spirituelle, désastreuse pour le peuple juif en ce temps-là, fit regretter amèrement par la suite à Rabbénou Yonah l'attitude intransigeante qu'il avait opposée aux écrits du saint Maïmonide. Dévoré de remords, il fit le vœu de voyager de ville en ville, proclamant publiquement dans chacune d'elle son repentir, et ce, jusqu'à ce qu'il eût atteint la Terre Sainte. Là, pour obtenir son pardon, il prierait sur la tombe de Maïmonide en présence de dix Juifs pendant sept jours consécutifs, ainsi qu'il est prescrit par la loi juive dans le cas où l'on demande le pardon à une personne défunte.

Rabbénou Yonah commença son voyage par le sud. Il traversa Barcelone et arriva enfin à Tolède. Là, une de ses conférences talmudiques fit sur la communauté juive une impression si profonde, qu'il fut prié de demeurer dans cette ville afin d'enseigner aux jeunes étudiants dans la yéchivah. Rabbénou Yonah y consentit et consacra désormais tous ses efforts à la jeunesse et à ses écrits. Mais en 1263 il mourut d'une maladie étrange, ce qui fit prétendre à ses détracteurs passés que c'était là l'effet d'un châtiment divin, Rabbénou Yonah ayant manqué d'accomplir son vœu.

La perte d'un si grand maître fut ressentie avec douleur par tout le peuple juif. Na’hmanide composa une lamentation spéciale intitulée Léketh Tsiouni pour commémorer la disparition du grand homme qu'avec révérence le peuple juif appelait « Ha'hassid », le pieux.

Érudit en Talmud, Rabbénou Yonah devint célèbre par ses commentaires sur Alfassi (le « RIF »), lesquels furent réunis et édités par ses disciples. Toutefois, seul existe son commentaire sur le livre de Bérakhoth. De nombreuses notes d'intérêt halakhique sont citées par son disciple le plus remarquable Rabbi Chlomo ben Adereth (RaCHbA). De même, la Chitah Mékoubétseth de Rabbi Betsalel Ashkénazi contient certains de ses « 'hidouchim » (déductions talmudiques originales). Rabbénou Yonah écrivit également des commentaires sur les Maximes des Pères et le Livre des Proverbes qui furent accueillis avec beaucoup de faveur.

Mais, de son œuvre, la part la plus importante pour nous est constituée par ses ouvrages éthiques, responsables de sa plus grande célébrité. En effet, Chaarei Téchouvah (les Portes du repentir), Sefer Hayirah (le Livre de la piété) et Iguéreth Hatéchouvah (Épître sur la repentance) exercèrent une influence durable sur les Juifs à travers les âges. On dit que Rabbénou Yonah écrivit ces œuvres pour expier ses attaques passées contre les livres de Maïmonide. Que ce soit cette raison ou une autre qui l'incitèrent à nous donner ces ouvrages sur l'éthique et la morale, nous lui devons toute notre reconnaissance, car ils ont toujours été une source d'inspiration infinie pour tous ceux qui recherchent la piété simple, la modestie et la sincérité dans le service de D.ieu, et font des efforts pour accéder à un niveau plus élevé de vie morale et religieuse.