Bien que nous ne sachions pas avec exactitude comment se dérouleront les processus de la Délivrance messianique, les grandes lignes et les caractéristiques essentielles nous en ont été révélées. L’une de celles-ci, qui apparaît dans différentes sources, est que la transition de l’exil à la Délivrance ne se fera pas sous la forme d’un accroissement linéaire du bien, mais au contraire après une période de suprématie du mal.

La délivrance d’Égypte, qui constitue l’archétype de la Délivrance messianique prochaine, illustre bien ce schéma : à l’approche de la sortie d’Égypte, la souffrance des Enfants d’Israël s’amplifia et ils crièrent vers D.ieu leur désarroi (« Les enfants d'Israël gémirent du sein de l'esclavage et se lamentèrent, et leur plainte monta vers Dieu »1 ). D.ieu entendit leur plainte et leur envoya Moïse, porteur de l’annonce de la délivrance. On aurait pu croire qu’à partir de là, les Enfants d’Israël commenceraient à voir les signes de leur prochaine libération. C’est pourtant l’inverse qui se passa : Pharaon aggrava les conditions de leur servitude en ne leur fournissant plus la paille nécessaire à la confection des briques. Les contremaîtres hébreux en firent vivement grief à Moïse et celui-ci s’adressa à D.ieu en ces termes : « Pourquoi as-Tu fait du mal à ce peuple ? Pourquoi m’as-Tu envoyé ?! »2 Ce n’est qu’alors que commencèrent à s’abattre sur l’Égypte les plaies qui donnèrent ensuite lieu à la délivrance d’Israël.

Le froid s’accentue avant le lever du soleil

Voici comment le Zohar ‘Hadach3 décrit la délivrance messianique :

« Ainsi se déroulera la Délivrance d’Israël : lorsque viendra le moment que le soleil de la Délivrance brille pour eux, il leur arrivera malheur après malheur et ténèbres après ténèbres. Et, alors qu’ils s’y débattront, se répandra sur eux la lumière de l’Éternel. »

 De son côté auteur du Keli Yakar affirme4 :

« Telle est la règle: chaque jour, peu avant l'aube, l'obscurité s'accroît à l'extrême... Il en est de même en hiver où, peu avant le lever du soleil, le froid ne cesse de croître avant d'être, en fin de compte, vaincu par le soleil... De même encore : le fait que le Pharaon ait, à présent, maltraité les Hébreux beaucoup plus durement que par le passé est le signe clair que sa fin et le temps de la délivrance sont proches. »5

Le Maharal de Prague6 explique que lorsque doit se produire une « existence nouvelle », une réalité totalement nouvelle, celle-ci ne peut émaner de la précédente et il est nécessaire qu’intervienne un processus de « destruction de la réalité première », c’est-à-dire l'abolition de l'état antérieur et la création d'un vide dans lequel surgit la nouvelle réalité.

L'Admour Hazakène, auteur du Tanya, précise7 que, comme les Hébreux se trouvaient au seuil de la révélation du Nom divin lors du Don de la Torah, celle-ci devait être précédée par une phase d’« occultation de la vitalité », au cours de laquelle l'énergie divine serait dissimulée, ce qui entraina « la domination de l’Égypte ». Tel est le sens de la réponse de D.ieu à la question de Moïse lorsque celui-ci lui demanda « Pourquoi as-Tu fait du mal à ce peuple ? » : le temps était maintenant venu que se révèle le Nom ineffable de D.ieu et « ainsi, dis aux enfants d'Israël : Je suis l'Éternel. »8

Ceci explique pourquoi avant la Délivrance vient la période dite de Ikveta DiMechi'ha, « le Talon du Machia’h », d’un niveau de dégradation et de difficulté jamais connu dans les générations précédentes, ainsi que d'autres événements dont le déroulement est spécifiquement lié à la proximité grandissante de l’avènement messianique. Il nous appartient de comprendre qu'il s'agit là de l'obscurité qui s'accroît avant l'apparition de la lumière.

Les douleurs de l’enfantement

Vus dans le détail, les tourments de l’exil se répartissent en trois catégories qui correspondent à la parabole citée plus haut dans laquelle l’exil est comparé à la gestation et la Délivrance à l’accouchement :

1. Les souffrances « habituelles » du temps de l'Exil, analogues aux « peines de la grossesse » ; 2. Les souffrances croissantes de l'époque prémessianique, les « douleurs de Machia'h », ressemblants aux douleurs de l'enfantement ; 3. La douleur particulière lors du passage de l’exil à la Délivrance, comparée à celle de l'enfantement lui-même.

Les souffrances « habituelles » de l’exil sont comme le pressage de l’olive, par lequel celle-ci donne son huile.9 Tel est le but profond des malheurs de l’exil et de toutes les persécutions : révéler « l’huile » présente dans le peuple juif, sa capacité de messirout nefech – de don de soi – et d’attachement absolu à D.ieu. C'est précisément à travers les épreuves subies en temps d'exil que le peuple juif exprime davantage la profondeur de sa foi et la puissance de son attachement à D.ieu, ouvrant ainsi la voie à la pleine révélation de la Majesté divine lors de la Délivrance.

Une seconde sorte de malheurs et de souffrances apparaît peu avant la Délivrance, ce sont les « douleurs de [l’enfantement du] Machia'h » qui ont pour objet de réaliser l’ultime raffinement avant l’avènement messianique et d’en créer les circonstances. En effet, dans la mesure où la Délivrance constituera une réalité totalement nouvelle, elle ne pourra pas se concrétiser sur les bases de l’existence ordinaire, d’où la nécessité d’un processus de destruction de cette dernière et de la création d’un espace vide dans lequel pourra se construire la Délivrance.10

La troisième sorte de souffrances de l’exil est comparée aux douleurs de l’accouchement lui-même. C’est le dernier soubresaut de l’exil, particulièrement douloureux, mais qui ouvre la voie à la Délivrance. C’est ce qui arriva en Égypte : juste avant la délivrance, après que l’annonce en avait été faite par Moïse, vint l’étape si douloureuse où Pharaon ordonna « Que le travail s’appesantisse sur les hommes ! », jusqu’à ce que Moïse s’écrie à l’adresse de D.ieu « Pourquoi as-Tu fait du mal à ce peuple ?! » Mais immédiatement après survinrent les miracles de la délivrance, comme le déclara D.ieu dans sa réponse à Moïse : « Maintenant tu vas voir ce que Je vais faire à Pharaon. »

Et, de fait, il ressort clairement des enseignements de nos Sages que juste avant l’avènement messianique se produit la déchéance générale de la période du « Talon du Machia’h ». Le Talmud11 dit que le Fils de David viendra « lorsque tout le gouvernement sera renégat » et lorsque la bassesse triomphera, ce qui portera atteinte dans la foi de nombreux Juifs en l’éventualité même de la Délivrance : « ...au point où ils désespèreront de la Délivrance. » C’est l’instant qui précède immédiatement sa concrétisation.

Combattre l’obscurité

Toutefois, le fait de comprendre cela n’a pour unique avantage que de nous éviter de désespérer et de douter – à D.ieu ne plaise – de la Délivrance. Mais, simultanément, nous devons faire entendre notre cri et notre prière à l’adresse de D.ieu pour que l’obscurité prenne fin et que la Délivrance intervienne immédiatement. Le Rabbi de Loubavitch explique, dans l’un de ses discours,12 la raison pour laquelle Moïse s’était écrié « Pourquoi as-Tu fait du mal ? », bien qu’il n’ait assurément pas mis en doute la promesse divine d’une délivrance prochaine et qu’il eut su qu’il ne convient pas de remettre en cause les choix de D.ieu. Moïse savait qu’en sa position d’observateur de la souffrance du peuple d’Israël asservi, il était de son devoir de crier à D.ieu « Pourquoi leur as-Tu fait du mal ? », même si D.ieu devait le réprimander pour cela.

Une telle situation exige une approche complexe : un Juif qui constate à quel point la période du « Talon du Machia’h » est corrompue ne devra assurément pas la « justifier » au motif que tel est l’ordre des choses avant la Délivrance messianique. Il doit se rappeler que, bien que cela soit le signe de sa proximité, ce n’en est pas moins son antithèse absolue. Un Juif doit combattre le mal et le désespoir. Il doit lutter de toutes ses forces contre l’obscurité régnante en priant D.ieu, en intensifiant la lumière de la Torah et des Mitsvot, etc. Et, parallèlement, devant l’état de fait, devant l’obscurité qui s’est installée, il doit comprendre qu’il ne s’agit que d’une étape transitoire vers la Délivrance prochaine.

Le Talmud13 enseigne : « Que doit-on faire pour se voir épargner les douleurs [de l’enfantement] du Machia’h ? S’investir dans la Torah et les bonnes actions. » La Torah, la bienfaisance et le renforcement de la foi en la Délivrance sauvent de ces souffrances, raccourcissent la durée de « l’accouchement » et rapprochent la Délivrance.