Qu’y a-t-il dans un nom ?
Dans la Torah, les noms ne sont pas donnés par hasard.
En de nombreuses occurrences, nous observons que le nom d’une personne ou d’un objet nous indique sa qualité profonde. Et il en va de même avec les parachas (section hebdomadaire de la Torah). Les noms qu’elles portent offrent une clé pour comprendre leur contenu bien qu’apparemment ils paraissent seulement tirés de leurs premiers mots et semblent donc bien être, quelque peu, les objets du hasard.
Toutefois, le hasard n’existe pas, puisque tout arrive par la Providence Divine, a fortiori pour ce qui concerne la Torah.
Nous pourrions penser que les noms des parachas sont une convention relativement tardive, puisqu’il n’est pas sûr qu’ils aient été mentionnés dans le Talmud, alors que les noms des Livres de la Torah et des divisions de la Michna y figurent tous.
Mais il existe une loi concernant les documents légaux qui veut qu’un nom qui y a été mentionné devienne un nom reconnu par la Torah s’il est resté incontesté pendant trente jours.
A fortiori, dans la mesure où les noms des parachas sont restés incontestés pendant plus de mille ans et sont mentionnés par nos Sages (Rachi, par exemple), ils sont reconnus comme tels par la Torah.
Dès lors, nous pouvons comprendre le sens profond de l’entière paracha de cette semaine en analysant le message de son nom : Lekh Lekha.
Lekh Lekha : va vers toi-même
Ces mots sont généralement traduits par « Va-t’en (de ton pays, de ta terre natale et de la maison de ton père...) ». Mais ils signifient littéralement : « Va vers toi-même. »
Dans la Torah, le verbe « aller » connote un mouvement vers le but ultime de toute créature, celui de servir le Créateur. Et cela est très fortement sous-entendu par la phrase « Va vers toi-même », signifiant : « Va en direction de l’essence de ton âme et de ton but ultime, celui pour lequel tu as été créé. »
C’est là le commandement qui fut donné à Abraham, et ce qu’évoque la première partie du récit de la paracha. Car il lui avait été enjoint de quitter son environnement idolâtre et de se rendre en Israël. Et à l’intérieur même d’Israël, il était « allant et voyageant vers le Sud », c'est-à-dire en direction de Jérusalem.
Il progressait sans cesse vers un niveau de spiritualité toujours plus élevé. Toutefois, nous lisons soudain : « Et il y eut une famine dans le pays et Avram descendit en Égypte. »
Pourquoi ce retournement soudain dans son voyage spirituel ? Question rendue d’autant plus aiguë par le fait que toute la paracha (comme son nom l’indique) est censée relater la progression continuelle d’Abraham vers son accomplissement intérieur et spirituel ?
Montée ou descente ?
Qu’il s’agisse d’un revirement semble indéniable.
Aller en Égypte constituait en soi une descente spirituelle, comme le dit explicitement le verset : « Et Avram descendit en Égypte. » Et la raison de ce voyage – « et il y eut une famine dans le pays » – semble également exprimer l’occultation de la bénédiction divine.
D’autant plus que D.ieu avait promis à Abraham : « Et Je ferai de toi une grande nation et Je te bénirai et te ferai un grand nom. » Ne paraît-il pas étrange que lorsqu’il atteignit enfin la terre que D.ieu lui avait indiquée, une famine le força à la quitter ?
Une réponse possible est que c’était là une des épreuves qu’Abraham devait surmonter pour prouver qu’il méritait sa mission (et le Midrach nous dit que lorsqu’il fut confronté à cette difficulté inexplicable, Abraham « ne fut pas en colère et ne se plaignit pas »).
Mais cela n’est pas suffisant. Car la mission d’Abraham n’était pas simplement personnelle. Sa tâche consistait à propager le nom de D.ieu et à rallier les hommes à Sa foi.
Le Midrach compare ses nombreux voyages à la façon dont une boîte à épices doit être secouée pour que son arôme en émane aux quatre coins d’une pièce. Ainsi, une explication de sa descente en termes de pèlerinage personnel ne saurait éclaircir cette difficulté. Et ce, particulièrement si l’on considère que son effet immédiat fut de mettre en danger la mission d’Abraham. Ce n’était pas propice à la diffusion de la connaissance de D.ieu que l’arrivée d’un homme de D.ieu dans le pays soit immédiatement suivie du mauvais présage que constitue une famine généralisée.
Et le pire était à venir puisque lorsqu’Abraham pénétra en Égypte, sa femme Sarah fut enlevée de force par Pharaon. Et bien qu’il ne la touchât pas, c’était là une descente évidente par rapport au destin spirituel qui avait semblé leur être tracé.
Et même avant cela, lorsqu’ils approchèrent de l’Égypte, Abraham dit à Sarah « Je sais que tu es une femme de belle apparence ». Abraham avait commencé à voir (comparativement à son niveau si élevé) avec des « yeux égyptiens » ; car, auparavant il n’avait pas remarqué cela à cause de la spiritualité et de la sainteté de leur relation.
Comment donc, face à tant d’indications contraires, peut-on affirmer que toute l’histoire de Lekh Lekha est, comme son nom devrait l’impliquer, celle de l’ascension spirituelle continuelle d’Abraham vers sa destinée ?
Un présage de l’Histoire
Nous pouvons progresser vers la résolution de ces difficultés en comprenant le sens profond du fameux adage : « Les actes des Pères sont un signe pour les enfants. »
Cela ne signifie pas simplement le fait que le destin des Pères est reflété dans celui de leurs enfants, mais, de façon plus forte, que ce que les Pères accomplissent entraîne ce qui arrive à leurs descendants.
Leurs mérites donnent à leurs enfants la force de suivre leur exemple. Et, dans les tribulations d’Abraham, l’histoire des Enfants d’Israël qui allait suivre connut son précédent et fut ainsi rendue possible.
Le voyage d’Abraham en Égypte annonce le futur exil égyptien. « Et Avram sortit d’Égypte » présage la délivrance des Israélites. Et tout comme Abraham s’en alla « chargé de bétail, d’argent et d’or », ainsi les Juifs quittèrent-ils l’Égypte « avec de grandes richesses ».
Et même le mérite par lequel les Juifs furent sauvés d’Égypte, le durent-ils à Sarah. Car si leurs femmes se préservèrent de tout péché avec les Égyptiens, c’est parce que Sarah s’était protégée des avances du pharaon.
La fin est implicite dans le commencement
À la lumière de ce qui précède, nous pouvons voir que la fin du voyage d’Abraham en Égypte était présente dans son commencement. Car le but en était son départ futur « chargé de bétail, d’argent et d’or », exprimant la façon dont il allait transformer les choses les plus matérielles, voire idolâtres, et les investir dans le service de D.ieu.
Et c’était bien là également le but de l’exil des Enfants d’Israël en Égypte : pour que la Présence Divine soit ressentie dans le lieu qui en était le plus éloigné.
L’élévation finale était implicite dans la descente.
Il y a, dans l’enseignement juif, une image qui illustre cette démarche indirecte.
Le Talmud de Babylone, contrairement au Talmud de Jérusalem, n’atteint jamais directement ses décisions, mais y parvient à travers des digressions et une dialectique qui apportent, dans leur parcours apparemment sinueux, plus de lumière que ne l’aurait fait un raisonnement direct. Ceci au point où, quand les deux livres sont en désaccord, on suit toujours la décision du Talmud de Babylone.
De même, ces apparentes digressions de l’histoire juive représentent non pas un éloignement du chemin du destin, mais une manière d’apporter la lumière de D.ieu dans des endroits encore vierges du monde, en tant que préparation, en donc partie, de leur rédemption future.
Le passage d’Abraham en Égypte n’était donc pas une interruption mais une partie intégrante du commandement « Lekh Lekha », de voyager vers un accomplissement de soi qui constitue le service de D.ieu.
Et puisque la destinée d’Abraham s’avéra plus tard être celle des Enfants d’Israël, elle est également la nôtre.
Notre exil, tout comme le sien, est une préparation à (et donc également une partie de) la délivrance messianique. Et celle-ci nous amènera à un niveau plus élevé que celui que nous aurions pu atteindre sans exil.
Comme il est dit « Plus grande sera la gloire de cette dernière maison (le Temple des temps messianiques) que celle de la première (le premier Temple). »
L’exil est donc une partie intégrante du progrès spirituel ; il nous permet de sanctifier le monde entier par nos actions, et pas seulement un petit territoire.
L’on pourrait peut-être objecter : « Où apparaît ce progrès ? Le monde ne semble pas devenir plus saint, il semble même en être tout le contraire ! »
Mais ce n’est qu’un jugement superficiel. Le monde n’évolue pas de son propre chef. Il est façonné par la Providence Divine.
Ce qui apparaît superficiellement comme un déclin est en réalité une partie, quoique voilée, d’un processus de transformation continuel que nous imprimons au monde chaque fois que nous nous consacrons à la Torah et à la volonté divine. En d’autres termes, le monde s’élève et se raffine constamment. Rien ne pourrait l’illustrer plus clairement que l’histoire des périples d’Abraham, vus d’abord extérieurement, puis dans leur véritable perspective.
Quelle que soit la situation d’un Juif, quand il se tourne vers son réel accomplissement, suivant l’injonction de Lekh lekha, il place sa vie et ses actions dans la perspective de la Torah et joue son propre rôle dans l’avènement de la délivrance future.1
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