Depuis qu’avec mes parents, je suis arrivée à Sumy en Ukraine en tant qu’émissaires du Rabbi, ma mère et moi-même nous rendons dans des familles juives afin d’aider les femmes et les filles à allumer les bougies avant Chabbat.
Un jour, quand j’avais sept ans, nous devions aller chez une dame : on nous avait dit qu’elle était paralysée. Nous avions son nom et l’adresse de son appartement écrits sur un morceau de papier ; nous avions aussi pris avec nous des bougies, des allumettes et des petites ‘Hallot, les pains tressés et dorés de Chabbat qui sortaient du four. Nous avons appelé un taxi pour nous y amener.
Nous sommes parties un peu plus tard que prévu et, au fur et à mesure que le taxi fonçait dans la ville, ma mère réalisa que notre destination était bien plus lointaine que ce qu’elle avait prévu.
Quand nous sommes enfin arrivées, le conducteur du taxi dit qu’il nous attendrait et nous ramènerait à la maison. Nous avons monté les cinq étages, avons frappé à la porte, mais ce n’était pas le bon appartement ! Nous avons frappé à toutes les portes de l’étage mais sans succès.
Ma mère téléphona à mon père qui promit de nous rappeler avec le renseignement désiré. Le temps passait et nous ne pouvions pas nous permettre d’attendre plus longtemps puisque nous devions arriver chez nous avant Chabbat pour allumer nos propres bougies. Nous avons commencé à descendre les étages et, une fois que nous sommes presque arrivées au rez-de-chaussée, mon père rappela : l’appartement était situé au 7ème étage ! Ma mère jeta un regard anxieux sur sa montre : « Nous n’avons pas le temps ! Nous reviendrons la semaine prochaine ! » Puis elle se ravisa : « Parce que je m’angoisse pour mes propres bougies et que je n’ai pas vraiment envie de grimper sept étages, une femme juive n’allumerait pas ses bougies ? Viens Mouchka ! Nous remontons immédiatement ! »
Nous sommes remontées à toute allure et cette fois, nous avons trouvé l’appartement. La femme nous accueillit avec joie : elle était si heureuse de pouvoir allumer les bougies de Chabbat ! Nous nous sommes excusées de ne pas pouvoir rester plus longtemps et nous avons dévalé les escaliers aussi vite que notre souffle le permettait. Le taxi nous attendait et ma mère murmura un des seuls mots de russe qu’elle connaissait : « Bistra ! Bistra ! » (Vite, vite !) Effectivement il fonça.
Mais soudain, aux abords d’un grand carrefour, il s’arrêta net : panne d’essence ! Le conducteur sortit prestement de la voiture qu’il poussa vers le côté. Ma mère consulta nerveusement sa montre et appela mon père : « Nous ne parviendrons pas à la maison avant Chabbat ! Je t’en prie ! Allume les bougies à notre place ! » Puis, comme lui parlait couramment le russe, elle lui dit de demander au chauffeur de rapporter toutes nos affaires chez nous, car, à cause du Chabbat juif, nous n’avions plus le droit de porter quoi que ce soit en dehors de nos maisons.
« Je suis juste en panne d’essence ! C’est une question d’une demi-heure, ne vous inquiétez pas ! » expliqua le chauffeur à mon père. Mais mon père insista : d’ici ce délai, ce serait déjà Chabbat et nous n’aurions plus le droit de rouler en voiture.
Soudain ma mère réalisa que, dans son sac, elle possédait encore quelques bougies que mon père avait préparées « au cas où » nous rencontrerions d’autres femmes juives dans le bâtiment de la vieille dame. Elle compta et découvrit le nombre exact de bougies qu’elle avait l’habitude d’allumer – une pour chaque membre de la famille – plus une pour que moi aussi je puisse allumer. Nous étions émues par cette preuve d’existence de la Providence Divine: D.ieu s’occupait de nous ! Ma mère reprit le téléphone du conducteur (qui tentait encore de convaincre mon père qu’il nous ramènerait à la maison très vite) et l’informa : « Nous avons exactement le nombre de bougies nécessaire ! » puis elle rendit l’appareil au chauffeur.
Nous avons posé les bougies sur le trottoir, j’ai allumé ma bougie, couvert mes yeux de mes mains et j’ai récité la bénédiction. Ma mère a posé les cinq autres bougies et fait de même en poussant un gros soupir. Nous avons remarqué que tous les passants observaient le moindre de nos actes. Nous sommes restées immobiles quelques minutes pour contempler nos bougies puis nous avons entamé notre route – à pied – vers la maison. De temps en temps, nous jetions un regard en arrière : les gens avaient même traversé la rue pour regarder nos bougies ! Étions-nous quittes de la Mitsva du point de vue de la loi juive ? Je l’ignore, mais il est évident que nos bougies étaient devenues l’attraction à ne pas manquer !
« Qui sait pourquoi nous avons été obligées d’allumer nos bougies exactement à cet endroit ? remarqua ma mère tout en continuant sa route. Peut-être aucune bénédiction n’avait encore jamais été prononcée ici depuis la Création du monde ! Peut-être un des passants ou un des spectateurs qui nous observe de son balcon est-il juif et s’est ainsi souvenu de l’importance du Chabbat ? Ce qui est sûr, c’est que D.ieu voulait que nous allumions nos bougies ce Chabbat justement dans cette rue de Sumy et Il a même veillé à ce que nous soyons en possession des bougies nécessaires ! »
Nous avons marché presque une heure. Tandis que nous approchions de notre rue, il faisait alors très sombre, les réverbères se sont soudain allumés – pour nous, certainement ! Le Tout-Puissant veillait sur nous à tout instant et nous facilitait la tâche jusque dans les moindres détails.
Quand nous sommes arrivées à la maison, mon père nous apprit que le chauffeur de taxi était effectivement venu rapporter le sac de Maman. Mon père lui avait demandé de prendre dans le porte-monnaie le prix de la course puisque lui-même ne pouvait plus toucher l’argent à cause du Chabbat. Le chauffeur avait été très impressionné et, en prenant congé, avait demandé : « Quelle est cette religion qui est si importante pour vous que vous accordez votre totale confiance à un étranger en lui donnant porte-monnaie et téléphone portable ? »
Mushky Levitansky (11 ans) - L’Chaim n°1122
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