Au mois de Tammouz, il y a de cela environ six siècles, mourut un de nos grands érudits en Torah, un de nos éminents codificateurs, Rabbi Ména'hem ben Aharon ibn Zara'h, auteur célèbre de l'ouvrage sur la loi judaïque Tseida Ladérekh (« Provision pour la Route »).

Le père de Rabbi Ména'hem, Rabbi Aharon, était l'un des Juifs exilés de France qui furent chassés au mois d'Av en l'an 5066 (1306). Cette expulsion avait été ordonnée par Louis X. Quelques-uns de ces Juifs exilés s'établirent en Navarre, territoire voisin, au nord de l'Espagne. La Navarre, alors un état indépendant, devait être rattachée plus tard à la France.

C'est là, dans la ville d'Estella que naquit Ména'hem. Il fit ses études dans la yéchivah locale que dirigeait Rabbi Benjamin Ebitz. Ména'hem fut un excellent élève, et le Roche-Yéchivah le choisit pour lui donner sa fille en mariage. Il était alors âgé de seize ans.

« La calamité du berger »

Peu de temps après, une terrible catastrophe s'abattit sur les Juifs de Navarre. Après la mort de Philippe V (en 1322), vint une période connue dans l'histoire juive sous le nom de « Calamité du Berger ». Excités par un berger fanatique qui prétendait avoir des visions, un très grand nombre de bergers et de paysans s'unirent et commencèrent à attaquer les Juifs sans défense. Pendant plusieurs années les « bergers » firent régner la terreur, détruisant et pillant beaucoup de communautés israélites dans cette partie de la France. Le tour du ghetto d'Estella ne pouvait manquer de venir. Les Juifs se défendirent bravement, mais durent céder sous le nombre. Selon Rabbi Ména'hem, témoin oculaire, quelque six mille Juifs périrent dans Estella et d'autres villes de cette province. Le père, la mère et quatre jeunes frères de Rabbi Ména'hem furent lâchement assassinés, de même que d'autres Juifs qui préférèrent mourir plutôt que d'abjurer leur religion. Rabbi Ména'hem lui-même fut laissé pour mort sur un monceau de cadavres par une bande de vingt-cinq assaillants. Il gisait là sans connaissance (c'était le 23 Iyar) depuis plusieurs heures, quand à minuit un gentilhomme, ami du père de Ména'hem, passa et reconnut le blessé qui respirait encore. Il le tira de cet amoncellement macabre et le fit porter chez lui.

« Quand le guérisseur de toute chair — ainsi qu'exprime la victime même — eut guéri mes blessures et ranimé mes forces, si peu méritant que je fusse, je décidai de me rendre à Tolède et de me consacrer à l'étude de la Torah. »

Une guerre civile

Pendant deux ans, Ména'hem étudia le Talmud sous la direction de son nouveau maître Rabbi Josué Ibn Chuib. Puis il se rendit à Alcaléa, en Espagne, où il continua à étudier jour et nuit sous la direction de Rabbi Joseph Alaïche. Il eut aussi pour maître Rabbi Yehouda ben Achère, le fils du célèbre Roche (Rabbi Achère ben Yé'hiel) à Tolède. Ainsi, il étudia le Talmud et des matières voisines pendant dix-huit ans sans interruption.

En l'an 5120 (1360), Rabbi Joseph Alaïche mourut. La communauté d'Alcaléa invita Rabbi Ména'hem à lui succéder aux fonctions conjointes de Roche-Yéchivah et de rabbin. « Je n'étais pas digne de cet honneur ; néanmoins, je ne pouvais refuser leur offre. »

Rabbi Ména'hem occupa ces deux postes pendant huit ans, jusqu'à la nouvelle catastrophe dont eurent à pâtir les Juifs d'Espagne. Encore une fois au mois d'Iyar, mais en l'an 5128 (1368), les ennuis commencèrent quand la guerre civile éclata, opposant le roi Henri à son frère Don Pedro, qui se disputaient le trône devenu vacant à la mort de leur père Alfonso de Castille. Don Henri, vainqueur de son frère, le tue et s'empare du trône. Mais la lutte fratricide avait duré. C'est pendant cette période trouble que les Juifs, boucs émissaires traditionnels, furent les victimes des deux camps à la fois. De plus, des bandes, profitant de la situation, terrorisaient les communautés israélites, prélevant un lourd tribut quotidien en vies humaines et en biens. La florissante communauté estima à 8000 les Juifs qui moururent de faim. Ceux qui survécurent à cette hécatombe durent payer de si lourds impôts qu’ils furent bien vite sans ressources.

Enfin un protecteur

Comme nombre de ses coreligionnaires, Rabbi Ména'hem, après ces événements, fut réduit à la misère. Il avait perdu son foyer, sa communauté, et jusqu'à ses livres. Puis, vint enfin un rayon de lumière. Un Juif influent et fort riche, Don Chmouel Abravanel de Séville qui occupait des fonctions importantes à la Cour de Tolède et, de ce fait, y avait de solides appuis, prit l'éminent érudit sous sa protection. Il subvint à tous les besoins de Rabbi Ména'hem et l'aida à rentrer à Tolède où les chefs locaux avaient fait appel à lui afin qu'il restaurât la vie spirituelle et le savoir toranique dans la communauté qui déployait des efforts méritoires pour se relever.

Chmouel Abravanel avait un grand amour de la Torah. Il fournit une aide généreuse aux érudits qui consacraient à son étude le plus clair de leur temps. Afin de lui montrer sa gratitude, et aussi d'aider d'autres Juifs qui, absorbés par leurs affaires, disposaient de peu de temps pour étudier longuement le Talmud et les ouvrages de Halakhah, Rabbi Ména'hem écrivit son œuvre maîtresse intitulée Tseidah Ladérekh que nous avons mentionnée plus haut. L'ouvrage fut d'une grande utilité aux Juifs dont un grand nombre étaient littéralement des « Juifs errants » à l'époque, incapables qu'ils étaient, par la faute des événements, de se fixer dans un lieu ou dans un pays. Ce livre leur fut précieux parce qu'ils y trouvèrent, exposés dans un langage clair et concis, les lois judaïques (dinim) relatives à la vie quotidienne.

Son œuvre maîtresse

Elle est divisée en cinq sections, qui traitent toutes des lois relatives aux différents aspects de la vie au jour le jour : 1) Les lois de la Prière et des Actions de Grâces ; 2) Les Lois régissant les choses permises et les choses interdites ; 3) Les Lois relatives aux Femmes ; 4) Les Lois des Chabbats et des Fêtes ; 5) Les Lois régissant les Jeûnes.

Toutes ces lois, tous ces règlements, sont formulés dans un langage simple et bref, de sorte que tout un chacun puisse les lire et les étudier aisément, et savoir comment régler sa vie quotidienne conformément à la Torah et aux mitsvoth. L'ouvrage donne aussi des explications sur l'importance et la signification de différentes mitsvoth. Et l'auteur conclut sur des paroles de consolation et de réconfort à ses frères dans la peine, les fortifiants dans l'espoir et l'attente de l'avènement du juste Messie.