Azariah dei Rossi fut un érudit juif de grand renom, doublé d'un médecin éminent, qui mourut en Italie il y a un peu plus de quatre siècles. Il naquit à Mantoue en l'an 5273 (1513) de parents dont les origines remontaient à l'époque romaine, plus précisément à une famille juive très distinguée qui avait été emmenée en captivité à Rome par Titus, après qu'il eut détruit Jérusalem et le Beth Hamikdache.

Dès sa jeunesse, il fut un brillant érudit en Torah. Plus tard, il étudia les langues anciennes (le grec et le latin) et modernes (l'italien et l'espagnol), de même que la médecine. Il se maria tard pour l'époque, vers l'âge de trente ans, et s'établit à Ferrare, qu'il quitta ensuite pour d'autres villes d'Italie, revenant enfin dans sa ville natale où il partagea avec ses coreligionnaires les affres d'un terrible séisme. Celui qu’Azariah décrit dans l'un de ses ouvrages se produisit le 17 Kislev en l'an 5031 (1571) et dura plusieurs jours. La plus grande partie de la ville fut détruite, et environ deux cents personnes périrent dans la catastrophe. Il s'en fallut de peu qu’Azariah lui-même y laissât la vie. Lui et sa femme partageaient une maison avec leur fille mariée. Les deux parents en occupaient l’étage supérieur. Quand les premières secousses se firent sentir, détruisant des maisons voisines, Azariah et sa femme se précipitèrent au rez-de-chaussée où se trouvait leur fille. L'instant d'après, le toit de l'habitation s'effondrait sur leur chambre à coucher. Ce fut par miracle qu'ils eurent la vie sauve.

La « Lettre d'Aristéàs »

Azariah alla habiter dans les faubourgs de la ville, de l'autre côté du fleuve, où il eut pour voisin un érudit chrétien. Celui-ci lui demanda s'il existait une traduction hébraïque de la « Lettre d'Aristéàs ». Azariah répondit par la négative, ce qui lui donna l'idée de combler aussitôt cette lacune. Il le fit en vingt jours, donnant à sa traduction le titre de « Hadrath Zékénime » (« la Gloire des Anciens »).

La Lettre d'Aristéàs est un ouvrage en grec qui relate en détail les circonstances dans lesquelles fut faite la première traduction grecque de la Torah, connue sous le nom de Septuagint ou « Version des Septante [Anciens] ». L'événement est brièvement mentionné en différents endroits du Talmud. Mais Aristéas, qui était un haut fonctionnaire à la cour de Ptolémée Philadelphe (le roi égyptien qui donna sa caution à la traduction), en a laissé un compte rendu très détaillé.1

L'auteur y relate que Ptolémée, ayant beaucoup entendu parler du Livre (la Bible) des Juifs, avait désiré en avoir une traduction en grec pour sa bibliothèque. La Terre Sainte émit â l'époque sous la domination des rois grecs d'Égypte. Car, après la mort d'Alexandre le Grand de Macédoine, son vaste empire avait été démembré et réparti entre ses généraux. La terre d’Israël était échue aux Ptolémées d'Égypte. Ptolémée adressa une lettre à Élazar le Grand Prêtre à Jérusalem, lui demandant de lui envoyer des érudits juifs afin qu'ils se chargeassent d'une traduction en grec de la Torah. Élazar lui en envoya soixante-douze. Le roi leur offrit un banquet, et en profita pour leur poser un certain nombre de questions dans le but d'éprouver leur sagesse et leur savoir. Les réponses de ses hôtes juifs lui firent une profonde impression. Il les installa alors chacun dans une pièce séparée, où ils devaient traduire, à leur manière, les cinq livres de Moïse. Les traductions individuelles achevées, on constata qu'elles étaient en tout point-identiques !

D'autres œuvres

Après qu'Azariah eut traduit la Lettre d'Aristéàs, il entreprit de rédiger une relation du tremblement de terre dont il avait failli être victime, et qu'il intitula « Kol Elokime » (« la Voix de Dieu »). Puis il écrivit une troisième œuvre appelée « Imrei Binah » (« Paroles de Sagesse »), qui est divisée en quatre sections, et qui traite de divers sujets tirés des enseignements talmudiques, de l'histoire et de la science. Il y présente des études sur Yédiyah (Philon) d'Alexandrie et sut la vie juive à l'époque du second Beth Hamikdache et sur les sectes juives qui existaient en ce temps-là ; sur la guerre de libération menée par Bar Kokhba ; sur les Dix Tribus et d'autres sujets semblables, de même que sur les enseignements des Sages du Talmud relatifs aux sciences naturelles, à l'astronomie, aux mathématiques et à d'autres disciplines. Il s'efforça d'harmoniser ces enseignements avec l'état des sciences à l'époque.

Un rêve prémonitoire

Azariah publia ces trois œuvres en un seul volume qu'il intitula « Méor Enayim » (« Lumière pour les Yeux »), et qui parut à Mantoue en 1575. La même année il eut un rêve où on lui disait qu'il avait encore trois années à vivre. Le lendemain matin, il rédigea son rêve en vers hébraïques (que nous traduisons approximativement) :

Sur ma couche, reposant, au mois de Kislev mil trois cent trente-cinq,

Elle apparut disant : trois années encore tu vivras,

Aussi en mil trois cent trente-huit, mon âme bien haut s'envolera,

Ô Dieu miséricordieux, accepte-la dans la pureté et la lumière.

Il écrivit aussi sa propre épitaphe, et le 13 Kislev, en l'an 5338 (1578), il rendit son âme à Dieu.

Certains de ses écrits, comme cela ressort de la troisième partie de son œuvre, soulevèrent, dès leur parution, beaucoup d'objections de la part des rabbins les plus éminents de son temps. Ces derniers craignaient que ses vues fussent mal comprises et mal interprétées. L'œuvre fut ainsi mise à l'index pour les étudiants au-dessous de vingt-cinq ans. Azariah se défendit par un écrit où il expliquait que sa position était en parfait accord avec la tradition juive.

À part les ouvrages dont nous avons parlé, il composa des Piyoutim (poésies religieuses), dont quelques-unes furent incluses dans l'office du Chabbat et des fêtes des communautés juives italiennes.