Rabbi Tarfon est l'un des grands Tannaïm qui vécurent au temps de la destruction du Beth Hamikdache. Il résidait à Lydda, mais se rendait souvent à Yavneh prendre part aux discussions du Sanhédrin. Il descendait d'une famille sacerdotale, tant du côté paternel que maternel. Il évoquait volontiers le temps où il avait l'habitude de réciter la bénédiction des Cohanim dans le Beth Hamikdache et décrivait dans ses détails la cérémonie de la Avodah (le service sacré).

Bien qu'il fût riche, il ne refusait pas la Teroumah (offrandes aux Prêtres), et ce, afin de ne pas manquer d'accomplir la Mitsva qui s'y rapportait. D'autre part, l'argent qu'il recevait pour le « rachat du premier-né », il le donnait aux pauvres.

Des biens éternels

Nous venons de le dire, Rabbi Tarfon était riche. Un jour, son disciple et collègue Rabbi Akiba lui dit : « Voulez-vous que j'achète pour vous des biens particulièrement durables ? » Rabbi Tarfon lui répondit en lui donnant sur-le-champ quatre mille pièces d'or. Rabbi Akiba prit l'argent et le distribua à des érudits dans le besoin. Quand plus tard Rabbi Tarfon le rencontra, il s'enquit des achats que Rabbi Akiba devait faire pour son compte. Ce dernier le prit alors par le bras et le conduisit au Beth Hamidrache. Là, les deux hommes s'étant assis, il ouvrit un livre de Psaumes et se mit à réciter ceux-ci depuis le commencement, jusqu'à ce qu'il fût arrivé au verset : « Il donna aux pauvres... » L'ayant lu, il s'interrompit et, se tournant vers Rabbi Tarfon, lui dit :

– Voici les biens éternels que j'ai achetés pour vous...

Rabbi Tarfon se leva alors et, se penchant sur Rabbi Akiba, lui baisa la tête et s'exclama :

– Mon maître et mon directeur ! – mon maître en sagesse, et mon directeur en conduite.

« Pauvre Tarfon ! »

Rabbi Tarfon se refusait à tirer un profit personnel quel qu'il fût de sa vaste culture toranique, de même qu'il s'opposait à ce que sa réputation de grand érudit fût jamais pour lui une source d'avantages matériels quelconques. Une fois, cependant, il lui arriva de tirer parti de son renom, mais ce fut en toute dernière extrémité, et seulement pour sauver sa vie. Il en eut néanmoins un regret tel qu'il en fut tourmenté pour le reste de ses jours. L'épisode vaut d'être conté :

Rabbi Tarfon possédait un grand nombre de vergers, à la garde desquels plusieurs hommes étaient affectés. Mais ces derniers ne connaissaient pas personnellement leur maître. Un jour, le grand érudit pénétra dans l'un de ses vergers, y cueillit une figue et se mit à la manger. Le gardien qui faisait sa ronde le vit. Croyant avoir affaire à un maraudeur et fort satisfait de le prendre en flagrant délit et de lui administrer ainsi le châtiment qu'il méritait, il se jeta sur lui et commença par le rouer de coups. Puis, entraîné par sa colère, il le prit à bras le corps et voulut le jeter dans la rivière, au risque de le noyer. Alors Rabbi Tarfon gémit : « Pauvre Tarfon ! Ta dernière heure a sonné... » Le gardien l'entendit ; se rendant compte de sa méprise et, tout confus de ce qu’il venait de faire, relâcha son maître sur-le-champ. Quand plus tard l'éminent érudit pensait à cet incident, il se sentait tout malheureux d'avoir « utilisé à son profit la Couronne de la Torah ».

Rabbi Tarfon était souvent en désaccord avec Rabbi Akiba quant à la signification à donner aux Mitsvot. Lui arrivât-il de constater après coup qu'il avait soutenu une opinion erronée, il n'avait aucune peine à le reconnaître et à faire sienne celle de son collègue. Ce fut le cas, par exemple, quand se posa la question de savoir si un Prêtre infirme pétait autorisé à sonner du Chofar dans le Beth Hamikdache. Rabbi Akiba la trancha par la négative. De son côté, Rabbi Tarfon soutint avoir vu sonner du Chofar au Beth Hamikdache son propre oncle maternel, lequel était affligé d'une malformation qui le faisait boiter. Rabbi Akiba n'en douta certes pas, mais remarqua que cela s'était peut-être produit en une occasion exceptionnelle, comme par exemple en l'année « jubilaire ». Rabbi Tarfon, s'en souvenant soudain, reconnut que c'était, en effet, le cas, et s'exclama : « Abraham, notre père, peut être heureux d'avoir un fils tel qu'Akiba ! Tarfon a vu et a oublié ; mais Akiba a compris de lui-même. Celui qui se sépare de toi, Akiba, se sépare de la vie même ! »