Pourquoi ce jeûne fut-il institué ?
L’ensemble du peuple juif observe la coutume de jeûner... le treizième jour d’Adar, en commémoration du jeûne entrepris du temps d’Haman, comme il est écrit2 : « [Pour établir pour eux-mêmes...] la matière des jeûnes et leurs cris. »3
De par l’emploi par le Rambam d’un texte de preuve qui emploie le pluriel « jeûnes », plusieurs des commentateurs classiques déduisent qu’il fait référence aux trois jours de jeûne successifs4 qu’Esther demanda à Mordekhaï de faire observer par le peuple en son nom avant qu’elle rencontre le roi A’hachvéroch.5
R. David Avoudraham, l’une des autorités les plus éminentes sur la prière juive, diffère. Il écrit6 :
Even HaYar’hi [R. Avraham HaYar’hi, Provence, XIIe siècle] écrit que ces jeûnes ne sont pas une commémoration des jeûnes d’Esther, car nous ne jeûnons pas trois jours consécutifs, jour et nuit, [comme Esther l’a fait]. De plus, ses jeûnes eurent lieu pendant Pessa’h... En réalité, ces jeûnes ont été institués à cause du verset7 : « Et les Juifs... se sont rassemblés le treizième » ; [ce rassemblement] avait pour objet le jeûne [collectif].
Selon cette opinion, les Juifs ont jeûné le 13 Adar pour susciter la miséricorde divine avant de faire la guerre à leurs ennemis. Notre histoire offre des précédents à cela. Par exemple, lorsque Yehochoua mena les Juifs au combat contre Amalek, Moché, Aharon et ‘Hour ont jeûné.8
Les difficultés soulevées par Even HaYar’hi sont aisément résolues du point de vue du Rambam.9 Il a été soutenu, par exemple, que, bien que les sages aient souhaité commémorer les jeûnes observés à l’époque d’Esther, ils ne voulaient pas imposer un jeûne de trois jours au peuple juif, quelque chose d’extrêmement difficile. Ils ont choisi de placer le jeûne en Adar plutôt qu’e, Nissan, parce que Nissan est le joyeux « temps de notre rédemption », et est également l’époque de la joyeuse dédicace du Sanctuaire. Jeûner en Nissan aurait donc été inapproprié.
De plus, il serait difficile de soutenir que le jeûne que nous observons commémore le jeûne observé par les Juifs le 13 Adar, puisqu’il n’y a aucune mention explicite d’un tel jeûne dans la Méguila. On pourrait même soutenir que, puisque les Juifs étaient sur le point de faire la guerre pour se défendre ce jour-là, il leur aurait été interdit de jeûner, de peur que le jeûne les affaiblisse et les expose au danger.10
Pourquoi le jeûne est-il appelé le Jeûne d’Esther ?
D’autre part, le nom du jeûne ne semble avoir de sens que s’il commémore les jeûnes demandés par la reine Esther. En revanche, s’il commémore le jeûne entrepris par les Juifs avant la bataille, l’association avec Esther pose problème.
Cette difficulté peut être résolue, du point de vue d’Avoudraham, en postulant que, bien qu’en principe les Juifs souhaitaient jeûner le 13 Adar pour invoquer la miséricorde divine, cela leur était interdit car cela aurait sapé leur force. Au lieu de cela, ils ont promis de jeûner à une date ultérieure.11 Toutefois, Esther, qui passa le 13 Adar dans le palais royal, n’était pas en danger,12 et elle a effectivement jeûné ce jour-là. C’est pourquoi le jeûne est appelé « le Jeûne d’Esther », car parmi tout le peuple juif, elle fut la seule à avoir réellement jeûné à cette date.
Les effets de nos jeûnes
Les positions tant du Rambam que d’Avoudraham peuvent nous guider dans notre propre service divin. La Torah nous dit13 que « D.ieu te bénira dans tout ce que tu feras », impliquant que le succès comporte deux éléments : « tout ce que tu feras » (c’est-à-dire, les efforts de l’homme dans le monde matériel), et la bénédiction de D.ieu. Les jeûnes entrepris par les Juifs étaient destinés à susciter la bénédiction de D.ieu et à apporter le succès à leurs efforts terrestres.
Selon l’opinion d’Avoudraham, le Jeûne d’Esther souligne l’importance de rechercher les bénédictions de D.ieu même dans des circonstances favorables. Tous les officiels du roi soutenaient les Juifs dans la bataille, et « aucun homme ne pouvait leur résister, car la crainte [des Juifs] était tombée sur tous les peuples ».14 Néanmoins, reconnaissant qu’ils avaient besoin de l’assistance de D.ieu, les Juifs ont fait le vœu de jeûner avant de sortir pour la bataille.
Selon l’opinion du Rambam, le jeûne enseigne que nous pouvons susciter des bénédictions divines illimitées et transformer les circonstances mêmes dans lesquelles nous nous trouvons. Le dessein d’Haman d’exterminer le peuple juif reflétait un décret céleste à leur encontre. Cependant, bien qu’il sembla que situation fut sans espoir, après qu’Esther et les Juifs aient entrepris ces jeûnes, elle fut prête à risquer sa vie dans l’espoir de sauver son peuple.
Les femmes et la Rédemption
Le nom « Jeûne d’Esther » met en lumière le rôle des femmes dans la dynamique de la rédemption. Nos sages enseignent15 que « grâce au mérite des femmes vertueuses, les Juifs furent libérés d’Égypte », ce qui fut également vrai des exils ultérieurs.16 Il nous a été promis « Comme aux jours de ta sortie d’Égypte, je te montrerai des merveilles ».17 Le Arizal enseigne18 que la génération qui vivra la rédemption messianique sera la réincarnation de celle qui a vécu la Sortie d’Égypte. Il s’ensuit que la rédemption future reflétera le modèle de la rédemption d’Égypte, de sorte qu’il est légitime de supposer qu’elle viendra également grâce au mérite des femmes vertueuses. Puisse cela advenir dans un avenir immédiat.
Adapté de Likoutei Si’hot, vol. 6, pp. 371–372 ;
et de la si’ha de Taanit Esther 5740.
Commencez une discussion