Je me souviens des Séders de mon enfance. Des tables sur tréteaux et des chaises pliantes serpentant le long des murs leur, les miettes de matsa constellant les tapis, des odeurs merveilleuses qui s’échappaient de la cuisine et, nous autres, une bande de gamins renversant du jus de raisin sous l’effet de l’excitation.

La famille grandissant, le lieu et le menu ont changé, des sous-groupes restaient dans leurs belles-familles un des deux soirs et, chaque année, il y avait quelques cousins venus de l’autre bout du pays ou de l’étranger. Cependant, malgré tous les changements, il y avait une constante : en tête de table, l’objet de toute notre attention et resplendissant dans son long kitel blanc, était assis mon grand-père, « Zeidé ».

J’entends encore dans mon esprit sa voix mélodieuse chanter les airs de mon enfance

C’était Zeidé qui dirigeait le Seder chaque année et toute la famille chantait avec lui sur les airs familiers. Il marquait toujours une pause aux mêmes endroits de la liturgie pour intercaler de profonds commentaires du texte et répétait des précieux enseignements de son père. Encore maintenant, des années après sa mort, et après quelques 15 ans à participer à d’autres Séders, j’entends encore dans mon esprit sa voix mélodieuse chanter les airs de mon enfance.

Il y en avait un que j’ai toujours apprécié pour sa simplicité et l’émotion qu’il dégageait. La Haggadah cite un verset de l’Exodus1 et le commente :

Je parcourrai le pays d’Égypte et Je frapperai tout premier-né et Je ferai justice de toutes les divinités de l’Égypte, moi, D.ieu.

Les sages relèvent l’emploi répété de la première personne par D.ieu et expliquent que D.ieu était en train de promettre qu’Il ferait tout cela Lui-même :

Je les sauverai et n’enverrai pas un ange. Ce sera Moi, et non un séraphin. Moi, et non un messager. Je ferai tout Moi-même.

Mon Zeidé chantait le refrain à sa manière inimitable, insistant sur le point et le contrepoint du texte. Toute la famille reprenait en chœur ce passage qui a toujours été l’un de mes moments préférés du Seder.

Cette semaine, j’ai découvert un enseignement du Rabbi sur ces mots. Le Rabbi s’interrogeait sur la raison pour laquelle D.ieu a tant insisté sur le fait de tout faire Lui-même. Pourquoi n’a-t-Il pas laissé quelque chose à faire aux anges ? Il n’y a rien de mal à déléguer, alors pourquoi fallait-il absolument relever que D.ieu a agi seul ?

Dans un commentaire qui résume assez bien la philosophie de vie de mon Zeidé et décrit son constant souci des autres, le Rabbi a expliqué que D.ieu nous enseigne ici ce qu’il faut faire face à des personnes en détresse.

De temps en temps nous croisons des gens qui ont besoin de notre aide et il est de notre devoir de répondre à leur appel. Cela peut parfois être pénible, voire éprouvant, mais nous devons être prêts à sacrifier notre confort pour sauver un autre Juif, à « descendre en Égypte », à quitter notre position de confort et de facilité pour s’engager dans un bourbier parsemé d’embûches et de dangers. Aucun sacrifice n’est trop grand.

Il a tout fait Lui-même sans attendre que des anges jouent un rôle

Il serait tellement facile de se détendre et de laisser le gros du travail aux autres. « Évidemment que je remplirai mon rôle. J’entends bien participer à l’effort commun. Toutefois, il est clair que sauver le monde doit être une action collective. Je me satisfais parfaitement de ma petite part de gloire. Personne ne m’en voudra si j’attends d’être rejoint par d’autres avant de faire un pas en avant. »

Mais ce n’est pas la leçon que nous apprenons de D.ieu. Il a tout fait Lui-même sans attendre que des anges ou d’autres protagonistes jouent leur rôle. Quand vous voyez quelqu’un qui attend d’être sauvé, ne restez pas en arrière avec la foule des spectateurs. Joignez-vous aux efforts de secours. Les personnes en danger n’ont pas le temps d’attendre que vous ayez terminé d’ergoter sur la chaîne de commandement ; elles attendent que vous les sauviez.

Si nous voyons un problème, il nous revient de lui apporter une solution. Si nous apprenons que quelqu’un subit un tort, nous devons nous battre pour lui. Sa cause est notre cause, ses besoins sont notre responsabilité. Nous n’attendons pas que d’autres nous relayent. Nous acceptons avec reconnaissance notre mission de sauver le monde et de forger l’avenir.