Pendant les « Trois Semaines », lorsque nous nous souvenons de la destruction des Saints Temples à Jérusalem, il est de coutume d’étudier les parties du Talmud qui détaillent la structure et la fonction de ces magnifiques bâtiments où la présence de D.ieu était manifeste.

Deux traités étudiés à cette occasion sont le traité Midot, qui traite de la structure du Second Temple, et le traité Tamid, qui définit la routine quotidienne des Lévites et des Cohanim servant dans le temple.

Fait intéressant, les deux traités commencent par la même phrase : « En trois endroits, les Cohanim gardaient le Temple », puis ils s’engagent dans une discussion sur les emplacements des gardes d’honneur qui restaient éveillés toute la nuit pour garder le mont du Temple.

Le premier point sur lequel les deux textes commencent à diverger est que Tamid ne mentionne que les trois endroits où se tenaient les Cohanim, tandis que Midot dresse aussi la liste des 21 endroits où les lévites montaient la garde. (Le reste des traités sont très différents, bien qu’ils aient certaines similarités.)

Pourquoi cette différence ? Rabbi Lévi Its'hak consacre 25 pages de dense texte kabbalistique pour l’expliquer à travers le prisme de la mystique juive.

Ce qui suit est un simple échantillon extrait d’une analyse riche et profondément nuancée :

‘Hessed vs Gevoura

Notre premier indice réside dans les noms de ces deux traités.

Tamid, qui signifie « Constant », ainsi nommé parce qu’il énumère ce qui se passait de façon constante, représente le flux illimité d’énergie divine qui caractérise la modalité kabbalistique de ‘Hessed – la bonté.

Midot, signifiant « Mesures », ainsi nommé parce qu’il parle de la mesure précise de nombreux bâtiments du Temple, représente l’attribut divin de Guevoura – la rigueur, la force et la justice. Avec la Guevoura, D.ieu restreint le flux débordant de ‘Hessed.

La même distinction qui existe entre ‘Hessed et Guevoura se retrouve entre les Cohanim et les Lévites.

Les âmes des Cohanim émanent de ‘Hessed, qui est la raison pour laquelle ils bénissent la nation d’Israël après avoir dit : « Béni sois-Tu... qui nous a sanctifiés de la sainteté d’Aaron et nous a ordonné de bénir Sa nation d’Israël avec amour. »

Les âmes des Lévites, d’un autre côté, viennent de Guevoura.

En toute logique, Midot traite ainsi de l’emplacement des gardes lévites, car aussi bien ce traité que la tribu de Lévi ont Guevoura comme orientation. Et Tamid indique seulement l’endroit des gardes Cohen, qui partagent son inclination au ‘Hessed.

L’auteur révélé

Épluchons maintenant une autre couche. Le Talmud nous dit que Midot put être rédigé grâce aux souvenirs de Rabbi Eliezer ben Yaakov, qui vécut les terribles années de la destruction du Second Temple et de la dispersion de notre peuple qui s’ensuivit.1

On ne sait pas avec certitude si Rabbi Eliezer était lui-même un Lévite, mais nous savons qu’il disait être de lignée maternelle lévite.2 Or les sages nous disent que la plupart des garçons ressemblent aux frères de leur mère.3 Ainsi, dans la mesure où les frères de la mère de Rabbi Eliezer étaient des Lévites naturellement inclinés à la Guevoura, il va de soi qu’il avait lui-même également une bonne dose de cet attribut. Il est donc à propos qu’il fût l’auteur d’un traité dont le thème relève de la Guevoura.

Un oubli plein de sens

En ouvrant le livre, nous découvrons qu’à deux reprises Rabbi Eliezer ben Yaakov arrête le récit, remarquant qu’il ne se rappelle pas d’un détail spécifique : au sujet d’une certaine salle dans la « cour des femmes », il dit avoir oublié à quoi elle servait. Abba Shaoul complète alors, disant qu’elle était utilisée pour stocker l’huile et le vin, et qu’elle était appelée la Chambre des Huiles en araméen.4

Le deuxième cas concerne une salle appelée la « Chambre du Bois ». Là encore, Rabbi Eliezer a oublié sa fonction et Abba Shaoul intervient de nouveau, disant qu’elle était à l’usage du grand prêtre.5

Or, l’idée même de l’oubli, dans lequel tombe une certaine partie de la connaissance, correspond bien à Guevoura, qui limite le flux incessant de ‘Hessed.

Mais pourquoi oublia-t-il la fonction de ces deux pièces spécifiques ?

En ce qui concerne la Chambre du Bois, la réponse est simple. Comme le grand prêtre incarnait par excellence le ‘Hessed des Cohanim, il est logique qu’il ne trouvât pas une place permanente dans l’esprit Guevoura de Rabbi Eliezer ben Yaakov.

Incidemment, cela est également exprimé dans la façon dont la Torah traite de l’homicide, que nous lisons dans la paracha de Massei.6 Si une personne en tue une autre par accident, elle doit fuir dans une ville de refuge où elle vit parmi les Lévites jusqu’à la mort du grand prêtre. Qu’est-ce qu’un tueur a à voir avec le grand prêtre ? Pourquoi rentre-t-il chez lui seulement lorsque le grand prêtre meurt ? Le Midrash explique : « Le tueur raccourcit les jours de l’homme, et le grand prêtre allonge les jours de l’homme. Il ne convient pas que celui qui raccourcit les jours soit présent avec celui qui allonge les jours. »7

Nous voyons ici à nouveau la même division. Le grand prêtre, associé à la bonté infinie (l’allongement des jours), n’a rien en commun avec le tueur accidentel. En revanche, les Lévites orientés Guevoura peuvent l’aider à s’amender, car ils partagent un trait commun, bien qu’exprimé d’une manière très différente.

De fait, la nature prodigue du grand prêtre est exprimée dans le nom même de sa pièce dans le Temple, la Chambre du Bois, car les arbres vivent souvent très longtemps, beaucoup plus que les humains.8

Intéressons-nous à présent à l’autre salle dont Rabbi Eliezer avait oublié la fonction : la Chambre des Huiles. L’huile est également très fortement associée au grand prêtre, traditionnellement intronisé lors d’une cérémonie comprenant une huile d’onction particulière.9

Comme l’huile intarissable était si étroitement liée au grand prêtre, la chambre ainsi-nommée ne pouvait pas demeurer dans la conscience penchant à la Guevoura de Rabbi Eliezer.

Terminons par une prière que nous méritions bientôt de voir à nouveau le Temple dans toute sa splendeur, avec le grand prêtre, oint par l’huile, dans sa Chambre du Bois, et les Lévites accomplissant leur service de garde, chacun impliqué dans le service constant et éternel du Tout-Puissant.

Sur la base d’une longue discussion dans Torat Levi Its’hak 270-294.